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moyens impoffibles. Obligés de camper hors de la
portée du canon 3 nous fomr.es dans'Timpoffibi-
lité de nous approcher aff.z. de l’ennemi pour
l ’empêcher de nous cacher les entreprifes. Dé la
grande portée des armes à feu s’enfuit encore d’avoir
des gardes du camp bien plus en avant que les
anciens n’en avoient befoin } d’ailleurs, tout étoit
pofition pour les anciens , & il s’en faut bien que
les modernes en trouvent facilement qui puiffent
leur convenir.
11 faut pourtant l’ avouer : les anciens n’auroient
pas ofé non plus avoir des corps détachés , des
portes répandus comme nous, à caufe de la célérité
des mouvemens que l’ennemi pouvoit exécuter,
& aufli par la difficulté qu’ils avoient de
fe procurer des nouvelles de l’ennemi, n’ayant
pas, comme nous , la reffource des efpions, des dé
ferteurs ou des habitans du pays où ils faifoient
la guerre 5 il ne leur reftoit guère que la reffource
des prifonniers, mais on n’en fait pas quand on
v eut, ni tels qu’on les veut pour être inftruit.
Sans donc s’étendre davantage fur la poffibilité
de fe rapprocher des anciens fur cette partie de
l ’art de la guerre, & en s’arrêtant au point où
elle eft chez nous depuis un fiècle, l’auteur en
conclut avec raifon , que ces combinaifons de détachement
& de polirions la rendent infiniment
plus vafte & plus difficile pour nous que pour les
anciens.
Ce qui donnoit encore de grands avantages aux
anciens fur les modernes, continue l’auteur, c’eft
que la nature de leurs armes & de leur ordonnance
leur faifoit trouver partout des portes &
des polirions : le choix d’un camp ne devoir leur
coûter que la peine de jeter les yeux autour d'eux:
une hauteur quelconque, avec de l ’eau & quelques
pâtures à portée, leur fournilfoit une pofition
avantageufe, & cela fe rencontre partout j
ainfine pouvoient-ils jamais fe trouver embarraffes
dans un mouvement qu’ ils projetoient, par la
difficulté de ne pas trouver une bonne pofition.
Les modernes ont de bien plus grands obftacles à
furmonter -, ils exigent, pour un camp, que fon af-
fiète foit fo r te , que toute l’armée y ait de la
place pour combattre, fans que cependant il foit
trop grand & qu’elle ne puilfe pas le garnir 5 que
les flancs foient convenablement appuyés, qu’on
puilfe y entrer & en fortir aifément, qu’il y ait
de l’eau & du fourrage : voilà pour l’affiète du
camp, indépendamment de fon rapport avec le
plan de la campagne.
Les armes & l'ordonnance des anciens les ren-
doitnt biens moins exigeans que nous fur tous
ces points: il y en avoit même, l’appui des flancs
fi importans pour nous , qui ne leur étoient point
elfentiels : partout ils trouvoient les moyens de
remplir les conditions que leur art de la guerre
leur prefcrivoit pour fe camper.
Tandis que les anciens ne s’inquiétoient en aucune
manière d’avoir des flancs appuyés dès que
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leur armée n’étoit pas beaucoup inférieure à celle
de l'ennemi, nous, au contraire, fi les flancs de
nos camps ne font pas couverts & alfurés, s’ils font
expofés à être tournés par un mouvement rapide,
nous fommes infailliblement perdus : l’appui de
nos flancs devient donc par-là infiniment difficile
; il ne nous refte guère que des hauteurs inac-
ceffibles, des rivières, des marais impraticables,
de grands ravins, des places fortes où l’on puiffe
affeoir fes ailes en affurance, encore faut-il que le
feu de l’ennemi ne puilfe pas les atteindre en s’emparant
de quelques points d’où il les domineroit.
Chez les anciens, des armées à peu près égales
en force ne pouvoient fonger à fe tourner j car
l’une n’auroit pu vouloir tourner l’autre fur une
aile, & la dépalfer'fans lailfer l’ennemi dépalfer
l’aile oppofée & lui fournir les moyens de la tourner
auffi , ou bien fans s’affoiblir ou même s’ouvrir
dans quelque partie du front} ce qui l’auroit
expofée à être battue.
Le front étendu de nos armées nous met à
même de dérober un nombre infini de mouve-
mens : il fuffit de nous trouver à portée des armes
a feu , fur le flanc de l’ennemi, pour avoir rempli
notre but. D’un autre côté 3 il nous eft bien plus
facile de nous étendre fans nous mettre- en danger
} il nous fuffit de bien couvrir les intervalles
par le feu , pour que l ’ennemi ne puilfe y pénétrer.
Si des ailes on parte au front du camp , il faut
encore bien plus de précautions pour le rendre
bon.
Toutes les pariies d’une armée doivent être dif-
pofées de manière à s’entre-fecourir & à communiquer
entr’elles } rien ne doit féparer les unes
des autres : or , il arrive que prefque tout ce qui
forme un bon appui pour les flancs, formeroit une
féparation entre les parties de la même armée fi
le front le débordoït : il faut donc exactement fe
renfermer entre les points d’appui des ailes } ce
qui rend très-difficile de trouver un camp jufte
pour les troupes qu’ on a.
Avec ce front énorme, il faut encore que toutes
les parties en foient fortes , qu’aucun marais,
ruiffeau ni ravin ne croifent le fron t} qu’aucune
hauteur du côté de l’ennemi ne domine nos troupes
, au moins à la moyenne portée du canon ; il
faut que quelques parties confidérables du front
foient couvertes , afin de réduire l’ennemi à certains
points d’attaque 5 il faut que votre artillerie
foit placée fur des élévations d’où elle puiffe voit
approcher l ’ennemi j il faut qu’ une armée en bataille
puiffe fe remuer dans un camp, & qu’elle
ait au moins fix cents pas derrière e lle , où il n’y
ait ni ravin, ni rivière, ni marais, ni bois touffu >
enfin, aucun obftacle qui empêcheroit la libre
communication de toutes les parties de l’armée.
Chez les anciens il leur fuffifoit de trouver une
hauteur: l’ennemi, alors obligé de grimper, arrivant
effouflë 8c fatigué à la crête , où il étoit
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attendu , étoit bien vite culbuté , & leurs traits,
f.utout le pilum des Romains , faifoient bien plus
d’effet lancés du haut en bas. C ’étoit là tout ce
qu’il falloit pour rendre très-forts les camps des
anciens : nulle néceffité d’avoir des défilés devant
le camp, parce qu’ il n’ y avoit point d’artillerie
pour en rendre le partage difficile & meurtrier :
nulle néceffité que les hauteurs euffent telle ou
telle fituation , quelles formaffent tel ou tel angle
entr’elles.
Une autre condition pour nos camps, c'eft de
pouvoir en fortir du côté par où l’ on v eut} cette
condition n’en faifoit pas une pour les anciens :
un feul chemin , propre à y faire marcher des
hommes & des chevaux , & qu’on ne pût pas leur
couper , leur fuffifoit pour fortir de leur camp }
mais nous, comment fortirions-nous d’un camp
par un feul chemin ? Il nous en faut au moins cinq
ou fix de chaque côté , d’où nous pouvons avoir
intérêt de déboucher. Chez les anciens , il étoit
à peu près impoffible d’embarraffer leur marche 5
chez nous , il fuffit à l’ennemi de pouvoir occuper
quelque hauteur où il puiffe inquiéter l’une
des cinq ou fix colonnes de marche de l’armée ,
ou feulement fe mettre à portée de la marche de
l’une d’elleSi
Chez les anciens, la fûreté des troupes dans les
camps exigeoit de les fortifier 8c d’entourer le
camp de troupes légères. Chez nous, rien de plus
rare que des furprifes , par la difficulté qu’on au-
roit à dérober fa marche } cependant le tems con-
fidérable qu’il faut pour déblayer un camp , l’embarras
d’une armée qui combattroit fon camp tendu
, les arrangemens infinis qu’exige notre attirail
de guerre pour fe trouver préparé à combattre ,
nous obligent à nous entourer d’ une chaîne dè
portes pour exifter en fûreté.
L’auteur termine fesobfervations furies camps,
en s’élevant contre l ’idée de quelques écrivains
militaires, qui ont prétendu qu’il y auroit de grands
avantages à fortifier nos camps à l ’inftar des Romains.
Il traite des camps retranchés avec des
lignes, & en prouve l ’inutilité. Quant à ceux
retranchés avec des redoutes placées de diftance
en diftance, il foutient qu’ ils n’exigent pas une
moindre furveillance que ceux entièrement ouverts.
Ce n’ eft pas cependant qu’ il ne .croie que
l’on ne puiffe fortifier un camp en l’entourant de
travaux qui retiendroient long-tems l’ennemi fous
le feu & éloigné des retranchemens > en multipliant
autour d’eux les obftacles pour en défendre '
l’accès. Mais tous ces moyens étant très-longs à
exécuter , & nullement infaillibles, on ne doit
pas fonger, félon l ’auteur, à tirer des retranchemens
les reffources qu’ en ont tirées' les anciens 5 ce
qu’ils fourniroient fi nos armées mettoient plus
d’équilibre entre l'attaque & la défenfe } mais ce
moyen ne répare en aucune façon la difficulté dans
le choix des camps, objet qui eft devenu infiniment
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plus difficile & plus compliqué dans l’art de la
guerre moderne, que dans celui des anciens.
§. V 1 1 .
PaJJdge d e s r iv iè r e s & d es d é f ilé s .
Le partage des rivières & des défilés, quand on
agit ofFeiifivement, & leur défenfe quand on fe
tient fur la défenfive, étant une des principales
manoeuvres de la guerre, l’auteur a jugé à propos
de s’en occuper, parce que les opérations relatives
à cet objet ont fouffert des changemens con»
fidérables par l’invention de la poudre.
L’auteur diftingue d’abord deux efpèces de paf-
fages , l’un de vive force , l’autre par furprife.
Le partage d’une rivière , de vive fo re s , for-
moit, chez les anciens, un obftacle d’une difficulté
toujours égale , fans que le terrein y entrât pour
rien : chez nous, il y a telle fituation où un paf-
fege de vive force feroit impoffible à exécuter,
& telle autre où il eft également impoffible ds
l’empêcher.
Quand la rivière forme un recoude du côté de
celui qui veut forcer le partage , & que le bord
oppofé eft dominé par le fien , nos armes de jet
font fi perfectionnées pour la rapidité , la violence
& la jufteffe, que leurs coups, fe réunifiant
en avant de l’endroit où l’on veut paffer, en interdirent
abfolument l’ approche à l ’ennemi le plus
déterminé : dès-lors les ponts fe conftruifent Sc
les troupes fe déploient fous un pareil feu fans que
rien puiffe les troubler:
Chez les anciens, la chofe étoit bien différente :
leurs machines ne portant ni affez loin ni affez
jufte, & ne pouvant être fer vies affez promptement
pour donner à cet égard une protection efficace,
les ennemis pouvoient fe pofter fans crainte,
auffi près du débouché qu’ils le jugeoient à propos
, & qu’il étoit néceffaire pour tomber fur ce
qui auroit parte dans le moment précis où cela
pourroit faire effet} ce qui fuffifoit chez eux pour
empêcher un partage de vive force.
Mais s’il y a peu de rivières dont une armée
puiffe , de nos jours , défendre le partage à une
autre, l’auteur obferve qu’il n’y a guère que cette
efpèce de défilé dont la poudre à canon nous ait
facilité les moyens de forcer le partage : il n’y a
prefque que ceux-là où du canon, placé en deçà
du défilé, puiffe commander au-delà & couvrir
le débouché.
Cependant hors cette protection décifive du
feu dans les circonftances avantageufes du terrein
que l’on vient de développer , & hors la rapidité
avec laquelle nous pouvons conftruire des ponts ,
toutes les autres circonftances dans le partage des
rivières & des autres efpèces de défilés font
contre nous & à l’avantage des anciens. Ç’eft auffi
ce qui a dû leur rendre le partage des rivières,
par furprife, beaucoup plus aifé qu’il ne l’eft pour
iious.