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B a t a i l l e c e R o c r o y ( i) Après lèduc de Rohan,
le duc d’Ènguien , depuis le grand Condé ,
ig é de vingtrdeuXs ans A. avoit gagné la bataille
l'on peut tirer dè là dilpofîtion du terrein , pour
renforcer une de les ailés à iinfu de fon ennemi,
& pour écrafor alors décidément celle, qui . lui eft
oppofée.
Il fe réduit à combattre comme nous avons vu
fôuvent les anciens, àpeu-près droit devant fo i,
fans faire manoeuvrer de manière à gagner les flancs,
& même les derrières de l'ennemi, par une partie. de
fon arrnée; alors celle qui n’eft point deftihée à
agir, marche très-lentement en avant, ou même
reculé, fi l’ennemi fe décide à vouloic l ’attaqû-r ;,
mais alors elle met beaucoup d’ordre & d’enfemble
dans fes mouvemens ; & fouvent l’ennemi, fe portant
avec ardeur sur elle, en obferve peu, & s’ex-
pofe à être puni de fon imprévoyante témérité.'
Cet te manière de combattre paroît avoir donné
a. la ta étique moderne des moyens bien- fupérieurs à
employer, par la mobilité &dâ facilité avec, laquelle
les corps aétuets changent de pofition &, de formation
, fans rien perdre.de leur force..
CO Le duc d’Enghien avoit été chargé depréferver
là frontière de Ghampagne--des infnltes d’une armée',
principalement compofée de ces Efpagnoîs- alors fi j
redoutables pour la France.
La réputation de leur infanterie s’étoit foutenue
depuis fa conftkution Sc. fa difoipline. par Gonfalve
& Antoine de Leve4
La feule- place de. Rocroy-dêfendoit alors cette
frontière , &. cette, barrière unique étoit aflïégée
par Hne- armée de dix-huit mille hommes d'infan- ,
terie & huit mille dé, cavalerie, aux. ordres de dom
Francisco de Mélos.
Le duc d’Enghien qui en avoit une de féize mille
hommes d’infànterie & de fept milld de cavalerie,
séfclüt de.rifquer une, bataille pour fauvér une place
suffi importante.
Four arriver cfoMézièresà Rocroy, on trouve des
défilés affez larges , par Ifefquels ori débouche dans
la petite plaine de Rocroy. Au fortir de ces défilés, .
©n monté Une petite, hauteur fuivie d’une vallée médiocrement
encailfée', au-delà de laquelle le terrein .
remonte & forme une autre hauteur plus baffe, qui
va fe- réunir infenfibiement au. ba'ffih où», eft fitué i
Rocroy.
En arrivant-du coté-de Mézières* lé duc d’Enghien
ayant fait reconnoître les défilés, & neHes ayant
point trouvés gardés, fît marcher Gaflion-à là tête
de la fécondé ligne-de fon aile droite, & le luivit
de très-près avec le refte deTarme'è. i
Gaflion fe porta fur le fommet dfe la premièrej :
hauteur ; Sc 1 armee françaife débouchant fous fa<
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de Rocroy, en 1643, & avoit déployé dans
cette journée tous- lés- talens du plus grand
homme de. guerre, & toutes-les reffotirces du,
PtotééKon,. vint' occuper là crête de cette première,
hauteur.
\ Mêlas forcit de-fes lignes & vînt occuper la hau-
■ tëur vis-à-vis, en plaçant fa gauche un peu en
arrière d’un petit bois,.dans lequel il imbufquai
.mille moufquetaires, pour tirer fur le flanc des
Français.
S DèS la pointe du jour le duc d'Enghien commença
laffa.re à la tête de fon aile droite. Gaflion,
avec la première ligne de cette aile, ayant cinquante
•„moufquetaires à coté de chaque efeadron, fe prolongea
par fa droite & tourna le bois, pendant que
i le duc, marchant Lia tête-de fa féconde, en faifoit.
. autant par la.gauche ; de cette manière le bois étant
entouré les moufquetaires ne pouvant plus être
Tecourus, furent attaqués & tai lés enpèces. Ç e bois>
;fe trouvait .dans un trop grand éloignement de l’aî e>
gauche des Efpagnoîs , qui refta immobile ., & donna
^le tems à; Gaflion de fe form-er fur là hauteur après
;avoir, franchi Je> vallon , & de venir le charger fur
<;fon flanc gauche au moment oii le duc l àttaquoit de
: front. Cette arfo mife en-déroute, Galfion fe mit à
fa pourfuite-, &. le duc fé rabattit à gauche pour
^tomber for le flanc de l’infanterie/' Ayant rencontré
:des Wallons & des Allemands nouvellement levés ,
il les enfonça fans beaucoup de réfîftance-, &• auroit
'bientôt ébranlé le refte du corps de bataille , s’il
.n’avoit appris la déroute de fa gauche de cavalerie-
et d’infanterie;; cel'e-cr tenant cependant encore
ferme-au-delà du vallon , & entretenant le combat
■ a coups de moufquets. Dès-lors le duc d’Enghien.
iconfufte fon génie & fon courages il fait rompre fa
ligne^viâorieufe, la forme en colonne? & la fà’ fant
longer derrière les lignes d’infanterie ennemie, il eft
bientôt parvenu derrière l’aîle droite des E'pagnolS;
■ alors remettant fa colonne en bataille par un demi-
mouvement de caracole, i f chargea avec tant de
vigueur, & il fut fi bien mettre à profit l’avanrao-e
■ de la furprife & dii défordre oti fe trouvoit cette
cavalerieîaprès avoir chargé, qu’il ne tarda pas à
mettre totalement en déroute cette aile dabord vie-
:torieufe.
; Gaflion, revenant dë-là pourfuite-des ennemis,.,
étoit venu rejoindre -fon général, ?qui le chargea
d’achever la déroute de la cavalerie de la droite,
faifant ;donner ordre en même-rems à Defpenan de
marcher contre l ’infanterie efpagnole, qui venoic de
fe former en bataillon quarré ; & au.baron de Sirop,
de venir lé feconderavec la réferve. Ces ordres mis-
à exécution , lé duc. chargea de fon côté avec fa
cavalerie ; mais ce-'gros bataillon , en*- s’ouVrant,.
Jdémafqua dix-huit pièces de canon, dont la décharge
fit reculer la cavalerie françaife, & bientôt., après
l ’infanterie.
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génie le plus confomtné dans l’art mil'taire.
Quoi de plus hardi en effet, quoi de plus favant
que les différentes manoeuvres ordonnées ou
Malgré cet avantage, le vieux Fontaine , qui
eommandoit l’infanter e efpagnole, & lui avoit fait
prendre cette forme Lavante, ne longea pas à la
faire marcher en avant pour gagner les défilés du
côté de Chimay, ou il auroit été en sûceté ; & ’
alors cette manoeuvre auroit été vraiment parfaite.
Cependant la réferve étant arrivée 3 le prince
•s’approcha à-peu-ptès feul pour offrir quartier aux ;
Efpagnoîs; mais ceux-ci trop méfians, l’ayant reçu
à coups de moufquets, les Français, furieux de ce
procédé , s’élancèrent de toute part for^ ce gros bataillon
; Sc l'ayant ouvert de tous les côtés,de .maf- ;
facre fut général.
Après cette vi&oire figlorieufe pour le jeune gé- ■
néral, Gaflion voulut s’attribuer la plus grande .
partie de ce fuccès ; niais étoit-îl auyrès du duc
d’Enghien au moment où il fe décida a paflec der- (
-Aère l’infanterie pour aller attaquer l’aîle droite des '
.Efpagnoîs & dégager fa gauche ?
Sans doute fi les ennemis euflènt -eu une réferve, :
die auroit pu arrêter les Français ; mais cette faute 1
de leur part prouve encore davantage combien le
jeune général avoit fu juger fainement de l’érat des ;
chofes, & combien il pofledoit fe coup-d’oeil d’aig!e i
qui, fe retraçant dans un moment le grand enfemblé
d’une bataille, fait for-le-champ prendre le parti le ■
plus avantageux.
L’ordre <le bataille de cette journée étoit d’abord :
parallèle ; mais il auroit dû devenir oblique, si le
maréchal de l’Hôpital, à la tête de la gauche, au
lieu d’attaquer l’aîle droite des Efpagnoîs , fo fût
borné à la contenir. Chaque corps paroît setre conduit
relativement aux vues de fon chef, et point
relativement à une dilpofition générale ; mais tout
cela tenoit à la mauvaife habitude du moment, qui
fembloit exiger des généraux de payer de leur per-
fonne : il en réfulta à Rocroy de très-grands avantages
grâces à la perspicacité & au courage du
jeune duc.
Dans les -combats fi opiniâtres de Fribourg ,
Condé prouva combien il lavoir exécuter de grandes
chofes par lui-même. Les différentes attaques contre
Mercy forent combiaées avec bien de I4 fagacité, &
d« la juftefle. A u x yeux d’un bien grand connoifleur
( M. de Turenne ) , focs la faute de Defpsnan,
d’avoir fait attaquer les abattis avant d’en avoir
reçu l'ordre, faute qui empêcha le prince d’attaquer
les Allemands fur tous les points^ l ’armée entièie de
l’ennemi auroit été perdue.
Les fuites de cette journée ne furent pas très-
utiles : le général bavarrois fe reflaifit de Manheim ;
mais pat des raifons inconnues, il négligea de reprendre
Worms Sc Mayence,
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dirigées en pérfonr.e par ce général ; M. de Gaflion
manoeuvrant par les ordres du duc.pour tourner,
renverfer les mille moufquetaires embufqués ,
& aller attaquer enfianc la gauche des Efoagnols,
au moment où il de voit l'attaquer de front.
Les attaques du général fur le flanc de l’ infanterie
de fes ennemis, -enfin fes manoeuvres
pour venir fecourir & dégager fon aile gauche
Sc celles pour écràfer l’infanterie efpagnole,
doivent immortalifer le duc d'Enghien, & donner
de la fcience de la guerre & des connçiffances
militaires du grand Gondé, une idée fuftifante
au moment où il livra cette bataille & .celles
qui la fuivirent.
Cependant Montecuculli & Turenne (1) déployèrent
bientôt après la fublimité de leur
Dans cette fuppofition, il ne foroitrefté, de toutes
les conquêtes faites après le combat de Fribourg»
que la feule place de Philisbourg.
jggj ) Cet homme .fi étonnant commença, pour
ainfi dire , fa carrière par une faute 5 & il faut lui
en entendre parler à lui-même avec ce ton de rao-
deftie qui lui étoit propre, pour ofer la rappeller.
S’étant rêfolu mal - a -propos^ dit cet immortel
général j de faire prendre des cançonnemens à foti'
armée dans les environs de Mariendal, Mercy fe
reporta fur lui tout d.e fuite avec la totalité de la
fienne.
Turenne ri’avoit pas marque un champ de bataille
pour recevoir l’ennemi, 8c il -n’avcât pas donné de
-rendez-vous fixe, quand il fut inftruic de la marche
de Mercy. Cette négligence, & celle encore plus
grande de ne s’être pas couvert de la petite rivière
au Neker, ce qui l'auroit recule au plus de de ix ou
trois lieues, au lieu de refter dans les plaines de la
; Francoriie fans avoir une tête de quartiers un peu
fortifiée, donna l’idée à Mercy de l ’attaquer. Par
malheur encore, Turenne arriva trop tard à fon
avant-garde ; en y arrivant, il trouva Rozen ayant
fait la manoeuvre déplacée de porter les troupes
qui y arrivoient, au-delà d’un bois , au-lieu de les
former cn-deçà.
Comme l’ennemi débouchoit à un quart de lieue
vis-à-vis de ce bois, il fe trouva trop près pour le
faire repafler à fon armée (ce qui prouve combien
les mouvemens étoient alors lents & tâtonnés, car
le vicomte avoit un quart-d’ heure , de fon aveu , Sc,
il n’y avoit que cinq mille chevaux au plus ) ; en
conféquence il acheva de fe déployer fur «ne feule
lignev, dont la droite étoit formée en entier de fon
infanterie placée daçs un autre petit bois, derrière
lequel il avoit placé deux efeadrons en réferve : fa
gauche étçit en entier de cavalerie, avec une réferve
aufli 4e deux efeadrons.
Mercy étoit fofmé fur deux lignes ; il fe porta
M m m m 3.