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Le tempérament d’un peuple , ainfî armé contre
le genre humain, écoit doublement influencé par la
licence domeftique de la rapine, du meurtre & de la
vengeance. Dans les temps de l’ignorance qui précédèrent
Mahomet, la tradition fait mention de dix
fept cents batailles.
Depuis, le moment où les conquêtes étonnantes
des Arabes ont été terminées, depuis cel i où leurs
colonies , répandues fur l’O ient Se l’Occident, ont
mêlé leur fang av- c celui de leurs profélites & de
leurs captives, les Bédouins du défert, s’évediant de
leur rêverie de domination, ont repris leur ancienne
&. folitaire indépendance', quoiqu’ils puiflent encore
tï unir & foire marcher p.us de cent mille hommes à
cheval.
Mais vers le onzième fîèclc, l’émulation réveilla la nobldîe de l’efpèce d’engourdiflemenr où elle fe
trouvoit, & les cours des rois & de leurs vaflaux
devinrent autant d’écoles où la jeune nob’efle apprit
à fe former : c’cft de-là que naquit l’inftitution
U furprehante de la chevalerie, dont les premières
loix porroent que les chevaliers s’appliqueroien't
aux armes & aux lettres 5 la feco de, il eft vrai,
ne fut jamais bien, obfervée ; mais la première fut
fui vie avec une exactitude qui doit paroître incroyable
aux militaires de nos jquis..-
On fournit la jeune nobîefle à des exercices éton-
nans, par Ici quels , endurcie à la peine & à la fatigue
, elle préparoit fon corps au métier de la
guerre.
Mettons fous les yeux des jeunes militaires, les
exercices auxquels fe livrait le jeune Boucicaut.
cc Dont main'enant s’eflayoit à faillir fur un cour-
»> fier tout armé, puis autrefois courroit ou al loir
»1 longuement .à pied , pour s’acco.uftumer à avoir
■ 33 longue haleine & fouirrir longuement travail.
»9 Autrefois ferifloic d’une coignée ou d’un tnail
33 grand pièce & longuementpour bien fe duire
33 aux harnois, & endurcir fes bras & fes ma ns à
*> longuement ferir, & qu’il s’accoufrumat à iége-
33 remtnt lever fes bras. Pour les chofes exercer
ao duifit tellement fon corps, que en fon temps n’a
33 efté vu nul autre gentilhomme de pareille apper-
»3 tife ; car ù faifoic foubrefault, armé de toutes
»pièces, fois le bacinct, & en dan faut le ,fa:foit
» armé d’une cotre d’acier. Item fa il li t , fans mettre
» le pied à l’eftrier, fur un courfier, armé de toute»
»3 pièces. Item à un grand homme, monté fur un
33 grand cheval , fail’oit de terre à chevauchon fur
33 fes épaules, en prenant le die homme par Ja,
» manche à une main, fans autre avantage. Item
*3 en mettait une main fur l’arçon de la, (elle d-un
33 grand courfîer, & de l’autre auprès les oriillcs
» le prenait par les crins en pleine terre, St Tailloir
33 par entre fes bras de l’autre part du cou’fier. Item
» fi deux parois de plâtre feufleot à une brafle l’une
33 près de l’autre qui feulïcnt de Ja hauheur d’une -
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I »3 tour, à force de bras & de jambes, fans autre
'33 aide, mon toit au plus haut, fans cheoir.au
; » monter, ne au devaier. Item il montoit au revers
33 d une grande échel’e dreflve contre un mur tout
»» au plus hault, fans coucher des piels, mais feule-
33 mène fautant d s deux mains enfemblc d’efchcllon
>3 en elchelion, armée d’une cotte d’acier, & oùer
»3 la cotte à une main fans plus, montoit plufieurs
»» cfchellons. Et ces chofes lont vraies & à maintes
33 autres grandes appertifis fe du fit tellement fon
33 corps, que à peine peult-on trouver fon pareil;
»3 puis qua t il cftoit au logis, s’ellayoic avec les
» autres écuyers à jcttec la lance ou à autres eflais
33, de guerre ,' ne ja ne cefloic. Et ainlî fe contenu
» en celuy voyage ne ja ne luy fembloit qu’il peuft
33 eitre à temps à aulcune befogne pour, foi bien
» efprouver. Ec quant ils furent au fiége devant
33 laditre forcer elfe de Monguifon, aux aifaules qui
33 y furent fait , là s’aiFiyo t Boucicaut, qui lége-
33 rement courroit des\>rcmiers., pour faire en
33 coures chofes en cel cas ce que appartient à tout
» bon homme de Lire. *>!
A l’exemple de Boucicaut, nous joindrons celai
de la Tremoille.
»• Dès que la Trtmoïlle fentit donc ce commen-
>3 cernent de force qui fuie l’imbécillité de l'enfance,
33 nature lui adminiitra un arrêté vou oir de faite
33 toutes chofes appartenants à gens qui veulent
33 luiv e les armes & les cours des princes illuftres,
33 c;-mmc courir , fauter, lutter, jetrer la pierre ,
33 tirer de l’arc, & controuver quelques nouveaux
33 jeux & palfe-temps coufonnans a l’étude mili-
33 taire.
33 Lui & autres nobles enfans de leur âge , que
33 leur pere avoir pris en fa maifon & encretenoit
» pour leur tenir comp gn i;, f ifolenc alfamblées
33 & bandes eh forme de bataille, aflailloient petits
33 tigurions, comme s’ils eulfent baillé aflaut à une
33 vii.e ; iceux prenaient bâton en forme de lances,
>3 & faifoient tous autres pafle-temps approchant
33 des armes. L’idée feule de mériter un j..-ur d’être
»s armés cheva i r , devoit exciter ces jeunes élèves
33 à fe peife&ionncr dans les exercices du corps,
33 puifque l’on comptoit pour beaucoup 1* ad relie ,
» la vigueur & le courage. 33
On imagina les tournois, toujours- dangereux’,
fouvent enfanglancés & quelquefois mortels-, pour
tenir continuellement en hakine le gens.de guerre,
fur-tout dans les tems o* la- paix ne lai doit point
d’aurres exercices à leur courage. L’objet de ces
jeux & exe ciccs, juftement appelles 1 'école de proucff'i,
étoit le mê ■ e qu.; celui des camps de paix. On s’ap-
pliquoit à former de nouveaux- guerriers-, au-maniement
d.s arm.s , aux évolutions milicaites, & à
fortifier les anciens eu les- pérfeâionnant de plus en
plus ; & c’-ft de-là-'qu’on appelia les tournois ima-
ginarU bellorum prolufwnes.
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Les tournois n’écoient pas les fculs ^exercices militaires,;
on pourroit en citer plufîeurs autres, parmi
lcfquels le bekourt & la quintaine.
Le bekourt étoit une efpèce de '.baftion ou de château,
fait de Bois ou d’autre matière, que les te-
nans entreprenoient de défendre contre ceux qui
voudroient l’attaquer. :Cet exercice militaire étoit
encore une dépendance dés tournois, dont le terme
comprcnoit tous ceux qui fe pratiquaient pour apprendre
à la noblefle le métier de -la guerre, & ne
fut inventé que pour lui enfeigner la manière d’at-
laquer £c d’efcalader le> places.
La quintaine étoit encore un exercice militaire
d’autant meilleur., que le chevalier mal-adroit étoit
aufli-tôt puni. Pour que le coup de lance fît tout
l’effet qu’on devait en attendre, il devoit être adrefle
au milieu de la poitrine de l’homme à qui on le por-
toit. Pour obliger les chevaliers à vifer & à atteindre
toujours ce but , on avoit imaginé de conilruire
une efpèce de mannequin de bois, armé d’une longue
& forte épée aufli de bois. Ce mannequin croit placé
Fur un pivot mobile ; il étoit conllruir de manière
que, lorfqu’on lui portait un coup de lance
directement au m lieu de la poitrine , il ne bougeoir
pas; mais quand on'adrefloit fon coup trop
haut ou trop bas;, trop à droite -ou trop à gàuche, .
le mannequin tournoie ttë§-vire fur fon pivot, &
appliquoit un grand coup de plat d’épée au chevalier
mal-adroit.
Enfin au quinzième fiècle, la guerre commença
à devenir un art véritable, fondé fur des principes
& fur des raifonnemens ; ,1a guerre devint donc une
profeflion dont il faut étudier & apprendre les relies
, mais pour laquelle il refie toujours vrai de
dire qu’il faut forger les âmes & les corps de ceux
•qui s’y deftinent.,
>Ce n’eft plus une vérité conteftée, les hommes
ne peuvent & ne doivent être que ce qu’on les fait
quand ils Font .enfans ; jettes tous également dans
le monde , aucun n?à une éducation fixée par la
nature, chacun fe range malgré foi dans l’ordre
indiqué par la fociété, & fe plie imperceptiblement
au rôle qu’il doit y jouer.
Si donc l’Etat veut avoir des foldats, il doit
s’occuper férieufement à les créer ; ce n’eft pas dans
la fange des villes & parmi les hommes donc le
eorps eft énervé, que vous devez chercher des
foldats. Rappel e* - vous les Romains de Camille-,
de Scip.on & même dé Céfar ( i ) ; voyez les enfans
(l) « Confidérez, dit Cicéron dans fes Tufculanes, la
» fatigue du foldat romain dans le s . marches ; vo y e z -le
» porter fes vivres pour plus de quinze jours , fes uflen-
» (îles, fes pieux pour les paliflàdes : je ne parle point du
»> bouclier , du cafque , de l’épée ; ce ne font pas des far-
» deaux pour nos foldats, ils n’en fentent pas plus le
» poids que celui de leurs épaules , de leurs bras, de leurs-
Art Milit. Suppl. Tome IV .
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de Lacédémone , les défenfeurs des Thermopyles »
■ le Tarcare infatigable, l’Arabe fanatique; fu;vvz-les
dans leur éducation , dans leurs habitudes ; examinez
la vie dure & pénible à laquelle on les foumet-
toit dès leur enfance , les exercices continuels &
incompréhenfibles pour nous dont on leur faifoit
un devoir de tous les jours. Joignez à ces fouve-
nirs [’obligation de tous l s citoye s d’un certain'
âge de porter les armes , & vous ferez forcé de
vous, convaincre de la néceffité d’exercer , des l«age
le plus tendre , les citoyens françois à fortifier leurs
corps & à acquérit les qualités néceflaires pour aflù-
rer à l’Etat des défenfeurs. En vain voudriez-vous
compter fur vorre ta étique, fur vos armes., lue vos ,
évolutions ; vous avez cela de commun ave.c tous
les autres; mais ce qui vous eft particulier., & dont
vnus devez tirer parti, ce font vos forces , votre
naturel, votre amour pour la libeité .fi chèrement
acquife , enfin le génie françoisT. Pour empêcher le
ridicule qu’on voudroit peut-être répandre fur les
hommes qui s’appliqueroient à tous les exercices delà
gymnaftique., faites-en la bâfe de 1 éducation
-nationale ; appliquez-vous à ^convaincre tous les. citoyens
des fuites nu’»he.ureufes & funéftes de la
■ » mains. A les entendre eux-mêmes, leurs armes fonc
» leurs membres ; ils les portent avec tant de facilite que,
>* dès que l’ennemi fe préfente, Js’étanc débarrafles de leur
» bagage, ils fe fervent de leurs armes comme de leurs mains
i» & de leurs feras. Que dirai-je de l’exercice de vos lé-
» t ions ? Que de foins pour apprendre à courir fur ISen-
» nemi, à le choquer avec vigueur , à pouilèt le cri qui
» commence l?s batailles : de-là leur vient ce courage qui,
>. dans les allions même, brave les bleflures & la more.
» Donnez-moi un foldat d’une égale valeuc, mais qui ne
» foie pas exercé; il ne paraîtra qu’une.femme.
« Si l’on confîdere, dit Jofeph , quelle écude les Ro-
» mains faifoient d ; l’art militaire, on conviendra qti_e la
» grande puifîànce à laquelle ils font parvenus, n’elt pas
>• un préfent de la fortune, mais une récompenfe de leur
*> vertu. Ils n’attendent pas la guerre pour manier les armes;
* on ne les voit pas endormis dans’le fein de la paix,
■ » -ne commencer à remuer les bras que quand la nécefîké
» ies réveille , mais comme (i leurs armes étoienc nées avec
» eu x , comme fi elles faifoienc partie de leurs membres ;
» jamais ils ne font creve aux exercices, & ces jeux mili-
» taires font de férieux apprentiflages des combats : chaque
» jour , chaque foldat fait des épreuves de force & de cou-
» rage ; aufli les batailles n’ont elles pour eux rien de nou-
>* veau, rien de difficile ; accoutumés à gaider leurs rangs, le
» détordre ne fe met jamais parmi eux, la peur ne trouble
» jamais leur efprit, la fatigue n’épuife jamais leur force ; ils
» font fûrs de vaincre, parce qu’ils font fuis de trouver
» des ennemis qui ne leur reffemblent pas ; & l’on pourrait
» dire , fans craindre de fe- tromper, que leurs exercices
» font des combats fans effufion de fang, 8c leurs corn»
» bats, de fanglants exercices. »
Le métier de la guerre, tel que les Romains le pratt-
quoient, exigeoit du foldat quatre qualités , la force du
corps, l’agilité, l'adrefle à manier fes armes, la promptitude
8c la précifion -dans les évolutions militaires.
Un père de l’Eglife appelle les exercices l’armure intérieure
du foldat; il faut, ajoute-t-ilarmer le foldat au-de-
{ dans de lui-même, avant de fonger à l’aunure du dehots.