
■ fomption 8c l'inexpérience de Vairon contrib
u é : ent à la victoire remportée par Annibal ;
.mais on n'examine peut-être pas allez jufqu’à
quel point le général carthaginois fut profiter
des fautes de fo.n adverfaire; 8c on laide échapper
• la cotmoiffançe des progrès, ou plutôt des déve-
loppemens de 1a fciènce militaire , chaque
•bataille livrée par Annibal. En effet, la faute
de Varron d'avoir fait palier l'Aufide à toute.fon
..armée , .8c d'avoir pris un champ de bataille trop
.refferré ; celle .qui .s’enfuivit de changer la dit-
^pofitioii ordinaire des légions & de leurs divisions
.en augmentant leur profondeur & ref-
jerrant les intervalles, durent faciliter les fuccès
il'Annibal. Mais fuivez attentivement ce général
. dans la manière dont H arrange fon armée, &
. dans fes d fférens ordres, foit avant foit pendant
i'a&ion, & partout vous verrez des progrès dans
l'art militaire. Il forme les flancs de fon infan-
,-terie avec fes foldats africains, auxquels il avoit
pris 1a fage précaution de faire adopter les
armes romaines & la manière de s'en fervir ,;
fon centre ;expofé à d'élite des légions, il le
,compofe avec des Gaulois & des Efpagnols,
fu r lefquels il fievoit le moins compter} il met
fa cavalerie fur fes aîles, mais il oppofe -fes
.numides très-peu nombreux à la cavalerie en- ,
Jiemie des alliés très- nombreufe, & à celle des ;
Romains qui étoit en petit nombre; il met en
fête la cavalerie gauloife ,& efpagnole bien plus
.forte.
Jufqu'ici les deux armées ne paroiffent avoir
-aucun avantage, & les difpofitions d'Annibal
.voyant que le centre des Romains fuivrojt fa pointe
.e$t perceroit fa ligne , avoit rallié autour de fes
troupes légères tout ce qui s'étoit échappé du centre
. enfoncé. & attendo-k en referve de pouvoir tomber
fur tout ce qui fe préfente.roit, afin de le culbuter
à fon tour. Ce ne fut pas en vain } bientôt le centre
des Romains enfonça endérement celui de l’armée
d’Anpibal, qqi par Timpulfion reçue forma forcément
deux obliques,; alors les Africains faifant
.an léger demi-quart de converfion fur la droite
,& fur la gaiiche, fe trouvèrent bientôt .à portée
de la droite & d.e la gauche de rinfànterje romaine ,
& la chargèrent en lançant leur pilum & mettant
enfuite l'épée à la main , à la manière des Romains,
dont Annibal leur avoit donné les armes ; dès qet
inftant, l’efpèoe de coin informe des Romains fe
-trouva pris dans une jefpèce de tenaille. Pendant
tous ces mouvemens, la cavalerie numide avoit
^contenu celle des alliés; mais bientôt celle d’Asdrubai
.gui avoit battu & mis en déroute celle delà droite
^es Romains, en. revenant prit l’infanterie romaine
ji dos , lui ôta tout efpoir de défenfe, & fe joignit
au refté de l’armée pour en partager & comple.tef
la défaite.
paroiffent même repréhenfibies j mais Varron
a entaffë fes troupes les unes derrière les autres
fans projets; Annibal au .contraire a combiné
deux moyens, avec lefquels il efpère s’afl'urer
la viéloire. Lé premier eft un mouvement ordonné
à fa cavalerie, fi elle réuffit à enfoncer
celle de l'aile droite des ennemis.; le fécond
une mapoèuvre projettéeavec fon centre, pour
mettre les légions en défordre, ou les expofer
à.être attaquées fyr leurs flancs par fes vieilles
troupes.
D’ailleurs, quelle que fut l’inexpérience & la
mauvaife conduite de Varron, Annibal avoit:
encore befoin de toute fa fcience, pour vaincre
les Romains qui étoient deux fois plus nombreux,
& qui ne çédqient à fes foldats ni en
bravoure ni'en difcipline.
Comme l’avoit prévu le .général carthaginois^
la cavàierie de fa gauche renverfa celle des
Romains ; & vint enfuite prendre l ’infanterie
romaine par derrière. Quant à la cavalerie
numide , elle avoit parfaitement réuffi à con-
.tenir celle des alliés des Romains, qui lui étoit
oppofée , &'f ’avoit enfuite mise en fuite, aidé
par celle d e ,l’aîle gauche viétorieufe.
Pendant ces avions de cavalerie, le centre
de l'armée d’Annibal forme une ligne convexe#
cette lighe en cédant à l'effort du centre des
Romains.l'entraîne avec elle,; en s'avançant ainfi.,
les foldats refferrent leurs intervalles ; accoutumés
à un efpace de fix pieds pour le maniement
de leurs armes, leur épée leur devient inutile
, tellement ils fe trouvent ferrés, ils fe
riifputent le terrein les uns aux autres, la
confufion s'en mépe, & Annibal pour remporter
une victoire complette, fur des ennemis fans
défenfe,fe prefente.devant le.centre des Romains,
faifant ainè pointe, & fait „charger les deux
flancs de cette ligne par fes Africains , au moment
ou fa cavalerie viétorieiife vient 1a prendre par
derrière.
Voudra-t-on bien obferver & convenir que
jufqu’à la bataille de Cannes, nous n'avons
vu auçun exemple des manoeuvres employées
par Annibal. Nous avons vu quelquefois la cavalerie
vj&orieufe dans une aile , tourner la ligne
ennemie & venir attaquer l'autre par derrière,.
Ici au contraire, la cavalerie vi&orieufe vient
fe joindre à celle qui étoit fur ia défenfive,
afin de faciliter -la défaite de c e le qui lui étoit
oppofée & plus forte, & pouvoir fe mettre
enfuite en mefure, pour attaquer, les flancs &
les derrières de d’ennemi. Quant â l ’ infanterie,
comment ne pas admirer la manoeuvre de ce
centre, qui commence à attaquer fans aucun
rifque, avec oçdre de fe replier .pour fe faite
fbivre par les ennemis, & les forcer par-là de
prendre une forme qui devoit affurer leur perte.
Après cette victoire, la fortune d'Annibah
commença à fe rallentir, & il fe trouva dans
rimpolïibiiité de donner de nouvelles preuves
de fes talèns militaires , par l’entêtement au fenat
de Carthage, dans lequel il avoit des- ennemis,
qui refufa- obftinément de faire les moindres
efforts pour le foutenir. D’ ailleurs ,. ainfi forcé,
par des- événemens auxquels on ne réfifte pas,
a s’arrêter au milieu de fes viétoires , bientôt
après il fut obligé de repaffer en Afrique pour
y défendre Carthage.
Scipïon. Les généraux oppofés aux Carthaginois
en Italie, à l’exception de Fabius, étoient
très-inférieurs à Annibal; mais Seipion qui devoit
un jour-le combattre, déployoit alors en Efpagne
un grand courage & de grandes connoiffances
militaires. Il s'étoip d’abord emparé de la1 nouvelle
Carthage,-d'après des calculs & des opérations
qui ne peuvent appartenir qu’à un grand
homme de guerre, il avoit profité de là faute
des Carthaginois, qui croyant cette place affez
Bien défendue par une garni fon de mille hommes ,
avoienr féparé leur armée en trois divifîons,
dont la plus voifine en étoit à- dix jours- de
marche.
Enfuite après-la défaite d'Àhnon, malgré fon
infériorité en force, Seipion ayant fu Afdrubal
campé au pied d'une montagne, proche d'Elingue,
s’étoit hâté d^affembler des troupes pour aller
au-devant dé lui. Cependant for) armée fe trou-
voit en grande partie compofée d’Efpagnols,
foupçonnés d'être affe&ionnés aux Carthaginois ;
il falloir donc attendre de fon génie feul &
de fes talens , les moyens de combattre une
armée le double plus fo r te ,,a v e c des troupes
dont à peine pouvoit-il compter fur H moitié.
G'eft encore, i c i , , où-en examinant la manière
dont fe comporta Seipion, le militaire attentif
trouve à chaque pas une conduite nouvellè- &
une manière de tirer parti des lieux,-des per-
fonnes des événemens, qui font autant de
preuves des progrès fenfibles de l’art militaire.
Afin de reftér impénétrable aux yeux de ceux
qui l’entourent, Seipion, malgré l ’embarras de
fà pofition , marche hardiment en avant ; bientôt
il eft inftruit de la pofition du camp d’Àfdrübal.
Une grande plaine qui étoit 'devant, fembloît
avoir été chcifie par fe général pour fon champ
de bataille ; .mais en traverfant cette plaine on
rencontroit à fa droite, environ à une lieue
de l'ennemi, quelques hauteurs qui bornoient
la- vue de ce côté ; pour un officier ordinaire,
cet accident local n'auroit eu rien d'intéreffant.
Ofrfervez - néanmoins- la - manière dont Seipion
fait en tirer parti ; il détache là plus^ grande
partie de fa cavalerie, avec ordre d'aller fe
cacher derrière ces hauteurs, 8c il il- dirige fa
marche pour aller occuper le terrein qui avqi-
fineroit la pofition dont- alloit- s’emparer fa-1
cavalerie. ^
Arrivé avec fon armée, il en emploie une'
partie, félon l'ufage des Romaias, à tracer les
lignes de fon nouveau camp , mais il a des vues
bien pllis étendues ; pour en affurer le fuccès,
il néglige en apparence de prendre les précautions
neceffaires 8ê ufitées pour, couvrir fes
travailleurs, efpérant bien quAfdrubalne man-
queroit pas de vouloir profiter de cette négligence.
Tout arriva comme- il i’avoit préyu;
Magon eft détaché de l?armée carthaginoife pour
infulter les Romains devant leurs retran'hemens ,
& faire main-baffe fur les travailléurs ; mais à
peine a-t-il dépaffé la cavalerie- romaine , celle-ci
"tombe brufquemént fur les troupes carthaginoises,
& les oblige de fuir en déroute après
avoir perdu beaucoup, d’hommes & de chevaux.
Cè début qui étoit fait pour animer le courage'
des Romains & contenir les Efpagnols, prouve
là juftéffe du coup-d’oe il de Seipion, & la viva-
ï'cité dé fon imagination, pour avoir faifi auflî
‘ promptement le moyen de donner un échec à
fon ennemi, dans un moment où-il femblè être
occupé à affeoif fon camp dans une pofition
exigée par l’ infériorité de fon armée. •
1 Cependant, Afdrubal fupérieur en nombre
vouloir combattre , une vidoire lui ouvroit le
j. pays-, & lui ramenoit les peuplés aliénés par lés
? défaites précédentes; il lui étoit trop difficile
de marcher en avant fans avoir défait Seipion;
,d’ ailleurs un coup d’ éclat pouvoit feul raffurer
;les Efpagnols. Scipiôh au contraire, n’avoit au-
-cune raifon pour hafârder lè fruir de fes victoires#
mais en refufàht le combat', ileraignoit
de nuire à là réputation ' de fes armes & de
perdre les moyens “de- contenir les Efpagnols ; il
fe crut donc obligé d’en venir aux mains, & il
battit complettement'les'Carthaginois ( i ) .
(r) Au foieîlTevant ,-Seipion détache fa cavalerie
& fes troupes légères avec ordre de s’approcher
du camp ennemi & d’y engager l’efcarmouche.
L’infamènë défila enfuite par les” quatre portes du
camp & marcha jufqu’au milieu de la plaine; là ,
le* général romain la forme en bataille, en plaçant, •
contré la'-coütume, les Espagnols au centre & les
lésions'aux deux aîles , les manipules des haftaires
fie’'des primes rangées en quinconces , les triaires
en forme 'de réferVe.
| Asdr-ubal averti-de l’approche--de la cavalerie"