
police de Ton régiment -, il le commande , le
conduit à la guerre comme pendant la paix :
o’eft en un mot le c o lo n e l qui eft fpécialement
chargé de faire obferver à chacun des membres
de fon régiment non -feulement les loix militaires
, mais encore les loix civiles , & même
lesconventions iociales non écrites.
S’ il eft vrai , comme tout le prouve , qu’on
ne peut juger fainement des hommes quand on
ne les a pas étudiés avec f o in q u ’on ne peut
leur enleigner ce qu’on ne fait pas parfaitement
foi-même ; qu’on ne peut prononcer fur leurs
connorfiances & apprécier leurs talens. quand on
n’en a point de plus, éminens qu’eux ; décider
de la manière dont ils remplirent leurs devoirs,
quand on ne connoît point les lois qui les leur
prefcrivent •. qu’on ne peut rien lur fes fubor-
donnés quand on n’a pas l’art de perfuader leur
efprit & de gagner leur coeur ; que l’exemple
du chef eft le plus grand & le plus sûr encouragement
à la vertu , il faut que les c o lo n e ls
foient plus inftruits , plus zélés & plus vertueux
qu’aucun de leurs fubaiternes , 8c qu’ils pofiedent
toutes les connoi(Tances & toutes les qualités
qui conftituènt un militaire accompli. ( V o y e {
C a p it a in e & G é n é r a l . ) Suppofez en effet
qu’un c o io n e l manque de quelcjues - unes des
ccnnoiifances qui font propres aux guerriers ,
ou. de quelques-unes„ des vertus qu’ils doivent
réu,nir , 8c . vous verrez bientôt ou un grand de-
fordre s’introduire dans fon régiment -, ou - les
abus s’y glifler avec tant de forcé & de vîteffe,
qu’ils entraîneront ce corps bien loin du point
de perfeéHon où il devroit être conftamment
retenu.
Pour prouver la vérité de cette aflertion , je
n’aurois qu’à dépouiller fucceflivement un c o lo n
e l des connoiflaaces 8c des qualités dont il
doit être orné ; mais au lieu d’entreprendre cette
tâche pénible à mon coeur, je vais rapporter une
inftruclion que le maréchal de Belle- Ifle avoit
compofée pour le comte de Gifors fon fils ,
8c qu’il lui donna lors de fa nomihation, au
régi ment de Champagne. Je dois prévenir les
le&eurs que cette inftrudion n’eft point com-
plette-, elle ne parle point des obligations que les
ordonnances impofent aux c o l o n e l s ; elèe ne contient,
fi l’on peut s’exprimer ainfi , que leurs
devoirs moraux : je dois les prévenir encore
qu’une patrie de ce qu’elle contient a été rédigé
-de mémoire1 : ce ne fera ..donc point les ex.pref-
fiohs du maréchal de Belle-Ifle qu’on lira toujours,
mais cë feront conftamment fes penfées : je tiens
les lambeaux de cette inftrudion d’un officier qui
avoit: été intimement Hé avec le comté de Gifors,
qui avok férvi dans fon régiment , & qui avoit
éprouvé que les troupes françoifes feroient heu-
reüfes & l’état militaire floriflant, fi tous nos
c o lo n ç l s ctoient guidés par les principes lages
que le maréchal de Belle-Ifle vouloit înfpirer a
fon fils.
« C o lo n e l prefque au fortir de l’académie ,
l’ayant été pendant un temps allez long , 8c
ayant conftamment vécu ento'uré de militaires,
j’ai été à portée d’apprendre comment un chef de
corps peut rendre heureux les hommes qu’il a
fous fes ordres , atteindre lui-même au bonheur,
mériter l’eftime publique & les grâces de l’on
maître. Comme je délire vivement , mon fils ,
que vous jouilfiez de ces biens précieux , je vais
vous tracer les principes que vous devez fuivre
pour vous en rendre digne & pour , les obtenir.
Je ne vous dirai point que ces principes ont
toujours été les miens; j’ai été jeune , j’ai fait
beaucoup de fautes ; mais aidé par mes réflexions
8c par les avis de quelques hommes fages , je me
fuis corrigé ; fi je n’ai pas fini par être un c o lo n e l
parfait, je puis croire au moins que j’étois un
bon c o lo n e l ; c’eft donc afin que vous commenciez
comme j’ai fini , que j’ai rédigé ce mémoire
liiez - le avec attention , il eft le réfuitat de
beaucoup d’années d’expérience.
Le régiment que le roi .vient de vous donner
eft un des meilleurs de l’armée -, fon lieutenant-,
colonel eft un militaire refpeâable par de longs &
d’excellens fervices ; tous les capitaines qui le
compofent font plus âgés' que vous, & .il n’ eft
.aucun d’eux qui, fi on n’eût confidére que les
lervices perfonnels , n’eût mérité plus que
vous d’en être nommé c o lo n e l : cependant c’eft
vous qui allez être leur chef : que cette première
réflexion ne forte jamais de votre mémoire;
Je ne vous dirai point , cherchez à mériter
l’eftime du corps que vous allez commander,
cette maxime èft* trop triviale : mais je vous
dirai, cherchez à en mériter l’amour. Tout c o lo n e l
qui s’eft concilié ce fentiment précieux , obtient
avec facilité les chofes même les plus difficiles ,
tandis que celui qui ne l’a point acquis n’obtient
qu’avéc de grandes difficultés les chofes même
les plus aifées. Faites-vous donc aimer, mon
fils , & le rôle difficile de c o lo n e l deviendra pour
vous un jeu agréable. Vous vous tromperiez
groffièrement fi vous imaginiez que , pour, obtenir
l’amour de votre régiment , vous devez lai fier
fléchir la difcipline, ou affecter une complaisance
extrême pour les défirs de chacun dés officiers
qui le compofent : ce moyen ne. feroit ni sûr ni
glorieux : vous vous tromperiez encore fi vous
imaginiez qu’une feule vertu , quelque heureufe
& brillante qu’elle l'oit, peut vous concilier ce
fentiment ; comme ce ne font- point les ye'ux
feuls d’une femme qui nous captivent , mais
l’enfemble , l’accord de fes traits ce n’eft de
meme que la réunion des vertus & des connoif-
fances dont je vous parlerai dans le cours de ce,
mémoire , qui vous conciliera l’amour de yotre
régiment.
Av®* pour votre Keutenant-co/one/la deference
la plus grande ; ne donnez aucun ordre fans le
confulter ; ne paraiffez être que 1 organe de les
défirs • je vous ai fouvent donné ce.conleil, cet
ordre, le le renouvellerai chaque fois, que j en
trouverai l’occafion : f i , à l’exemple de quelques
jeunes chefs , vous manquiez d’égards ou de con-
fidération pour votre lieutenant-co/one/, vous me
feriez concevoir de vous l’opinion la plus défavorable
& vous deviendriez bientôt:1a victime
de votre imprudence votre régiment, divtle entre
vous & lui , feroit en proie aux partis , aux
cabales, & .dès-lors vous ne pourriez plus elperer
de faire le bien.
Ayez pour les anciens capitaines des égards
marqués ; confultez-les fréquemment, témoignez-
leur de l’amitié & de la confiance : loyez le fou-
tien l’ami , le père des jeunes officiers : aimez
les vieux bas - officiers & les anciens foldats ;
parlez-leur fouvent , & toujours avec bonté ; con--
lultez-les même quelquefois : un chef de corps le
trouve toujours bien de cette efpece de popularité
, elle m’a été fouvent utile.
Etudiez , connoiffez a fond tous les officiers
dë votre régiment : dépourvu de cette connoif-
fancè , vous feriez chaque jour trompé ; vous
confondriez la modeftie avec le manque de talens ;
la confiance que donne la perfuafion de fes forces ,
avec une vaine fuffifance. ; le défit du bon ordre ,
avec une critique- maligne l’amour de la juftice 8c du bien, avec la délation , l’envie, ou une
ambition démefurée -,.la modération, avec l’apathie
ou l’indifférence ; & la révérité avec la raideur :
vous prendriez des confeils donnés par la flatterie
ou l’intérêt , pour ceux que 'la vérité difte ; vous
croiriez verl'er des récompenfes fur la vertu , elles
tomberaient fur. l ’intrigue ; protéger des talens
réels , & vous ne prôneriez que des talens ap-
parens ou faâices.
Quand après'avoir, étudié long-temps les officiers
de votre régiment vous les connoîtrez
tous vous chqifirez parmi les plus anciens deux
amis particuliers en qui vous,aurez reconnu de là
vertu , des çonnoiflances , l ’amour de la vérité
& du bon ordre-, vous les attacherez intimement
a vous par votre amitié ; vous leur confierez
l’emploi important de vous parler de vos défauts
avec franchife , & de vous montrer vos fautes
toutes nues : écoutez ces officiers avec attention ,
avec docilité : gardez - vous cependant de leur
accorder une confiance ou exclufive , ou aveugle ,
& de montrer trop clairement, au refte du corps ,
la préférence que vous donnerez à ces deux
officiers : cette connoifiance pourroit devenir la
fource d’inimitiés funeftes.
J’ai développé devant vous le génie & le
caractère de la nation françoife , fes moeurs , fes
préjugés ; je vous ai fait connoître la meilleure
manière de la retenir & de l’animer ; de la récompenfer
& de h punir; je ne v o u s ƒ épé ce rai
donc point ici les leçons que je vous ai données
fur ces objets : mais je vous dirai de «ÿm-
; ployer jamais avec vos foldats des expreiïions
dures , des épithètes flétrifiantes , & de ne proférer
jamais en leur parlant des mots ignobles
ou bas : le c o lo n e l qui fe fert avec fes foldats de
quelques - unes de ces exprefîions , s’avilit lui-
même , & s’il le» adrefie à des officiers , il fé
compromet de la manière la plus évidente.
N’oubliez jamais que les officiers de votre régiment
font hommes , françois , vos égaux, & què
vous devez par conféquent, en leur donnant des
ordres, prendre un ton & employer des expref-
fions convenables à des perfonnes dont l’honneur
eft le mobile : croyez bien , mon fils , que ce
moyen eft le feul bon ; qu’il peut feul faire ref-
peûer les ordres , les rendre agréables , en
accélérer l’exécution , 8c inspirer aux loldats cette
_ confiance en leurs officiers , qui eft la mere
d’une bonne difcipline. & des fuccès.
Ne vous fervez jamais de punitions que la loi
réprouve , que l’efprit national condamne : quand
vous ferez forcé de punir , qu’on file fur vptig
figure toute la peine que vous éprouvez^ d’etre
obligé d’en venir à cette dure- extrémité. Ne
laifiez point échapper le moment.de rendre de
petits lervices aux officiers dé votre corps : en.
attendant les grandes occafions dé lés obliger ,
vous vous expoferiez à ne les fervir jamais. Comme
ce font les petites précautions qui confervent les
vertus , ce Tont les petits fervices qui gagnent les
coeurs. Sollicitez avec autant de. fuite que d’ardeur
toutes les grâces qu’auront méritées les
officiers , les bas-officiers & les foldats de votre
régiment : les miniftres pourront vous refufet
l’objet de vos demandes , mais ils vous fauront
gré de la chaleur que vous mettrez dans vos
fo.ll imitations , 8c votre régiment vous en aimera
davantage. Ne faites jamais concevoir a aucun
de vos lubordonnés des efpérances que vous
n’êtes point affuré de réalifer ; quand les perfonnes
qui les auroient conçues les verroient détruites.,
ils vous accuferoient d’avoir négligé leurs intérêts.
Je vous ai accoutumé , il y a déjà long-temps , a
vous lever dès quatre heures du matin * conferyez
■ cette habitude heureufe ; jamais vous n’aurez un
plus grand befoin de temps , car jamais vous
n’aurez autant d’études à faire & de chofes à
exécuter. Ayant été fait c o lo n e l très - jeune ,
vous ferez , félon les. apparences , de très-bonne
heure officier général ; il ne fera prefque plus
temps alors de vous livrer à l’étude des grandes
parties de la guerre c’eft donc à préfent que
vous devez les apprendre ; mais ne diifiiez-vous
point parvenir à un grade plus élevé que celui
que vous occupez , croyez , mon fils , que l’emploi
de c o lo n e l exige les connoifiances les plus variées
& les plus étendues. Pourrez-vous juger des;