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les renvoya avec leur argent , fupplîant par eux ,
M. de Lautrec, après l’avoir remercié de fa bonne
volonté , d’envoyer un homme sûr , en la duché
d’Anjou , porter les préfentes qu’il écrivoit à
fon père , étant à Dureftal, pour avoir quatre
mille écus 3 & qu’il creveroit plutôt en la prifon
que d’abandonner un gentilhomme d’honneur &
de valeur qui étoit prifonnier avec lu i , & s’en
étoient mutuellement juré fidélité de courir une
meme fortune. Mais comme ils étoient prêts à
partir avec cette créance , le feigneur de Monica
confidérant la grandeur du courage , & la
loyauté de M. de Vieillèville, qui aimoit mieux
pâtir que de manquer de foi & de parole, lui
donna fort libéralement fon compagnon, & prit
ce qu’ils avoient apporté pour lui. » Voyez la pag.
127 & fuiyantes du tome 28 de la collection des
mémoires pour l’ hiftoire de France.
Puifque Y amitié doit produire des avantages !
aufli grands' que nombreux, occupons-nous des
• moyens de la faire renaître. Ces moyens font
fimples, ils étoient connus des Germains & des
Gaulois nos ancêtres : les divifions de leurs armées
n’étoient point, comme le font les nôtres, com-
pofées d’hommes de différentes provinces , réunis
au hafard fous un chef inconnu , mais des membres
de la même famille , ou des habitans du même
canton, commandés par un chef du même
pays : famili& propinquitates , dit Tacite. « E h!
comment ces hommes qui ne formoient, pour-
ainfî-dire , qu’une même famille , n’auroient-ils
pas été unis de la plus étroite amitié ? Comment
n’auroient-ils pas affronté les uns pour les autres,
les périls, les peines , les privations, les dange
rs , la mort même ? Voulez-vous vous afifurer
de là bravoure, de la fageffe , de la foumiflion de
vos troupes ? réunifiez dans le même corps les
parens, les voifins, les compagnons de l’enfance.»
V y e ç encore nos articles E s p r i t c e c o r p s &
E m p l o i , N o m i n a t i o n a u x e m p l o i s . Voyez
fu r -to u t l’article C o n s t i t u t i o n m i l i t a i r e
FRANÇOISE.
O u i , plus j ’y réfléchis , plus je fuis convaincu
que Y amitié entre les égaux ne peut produire ,
dans une armée, que des effets grands & heureux
j fi elle pouvoit jamais être nuifible, ce fe-
roit quand , unifiant enfemble dôs hommes qui
occupent des rangs différens , elle jette fon bandeau
fur les yeux de celui qui eft le plus élevé.
Aveuglé parce fentiment, Agéfilas confia la flotte
de Sparte à Pifandre j Céfar choifit mal les tribuns
de fon armée, & Vauban fit donner trop
t ô t , en 16 9 1, J’aflaut à un des ouvrages de Na-
mur : mais ce n’eft pas là Y amitié y ce font fes abus j
e h , de quoi ne peut-on pas abufer ! Comme dans
la vie civile on confulte pour des affaires fé-
rieufes & importantes, non des hommes légers
ou frivoles , quoiqu’on foit uni avec eux par les
liens du fang ou par les fenrimeos de Y amitié la
plus v iv e , mais des hommes qui ont acquis par
le travail & la réflexion, de l’expérience & de
la fageffe, de même on doit confier à la guerre
toutes les opérations qui demandent de la fcience
ou de l’expérience , non au plus aimé, mais au
plus digne> au plus capable de s’en bien acquitter.
Tout homme qui écoute la voix de l’amitié,
quand il s’agit du fervice de l’E ta t, eft un traître
, "oui, un traître, ou du moins un homme foi-
, .a ^ Par ce^a indigne d’occuper un pofte
éminent.
AM O R C E . C e mot s’emploie pour défîgner
la poudre à canon qu'on a mife dans le baflînet
d’une arme à feu.
AM O R C E R . C ’eft garnir une arme à feu d’amorce.
Il eft intéreflaiit d'accoutumer les foldats
à bien amorcer : quelques-uns mettent dans le baf-
finet une trop grande quantité de poudre, &
les autres une quantité trop petite ÿ ces deux
extrêmes font également vicieux.
Des puiflances européennes perfuadées qu’il
faut, ^ pour vaincre , tirer très-vîte une grande
quantité de coups, ont adopté des fufils qui s’a-
morcent eux-mêmes. Ces armes font-elles préférables
à celles dont nous nousfervons , & qu’on eft
obligé dJamorcer ? Des expériences très - fouvent
répétées, & faites avec beaucoup d’attention ,
peuvent feules réfoudre cette queftion importante
: on doit confier le foin de faire ces expériences
à des hommes fages, également en garde
contre le charme des nouveautés , & contre Ja
force . de l’habitude j des militaires trop jeunes
ou trop âgés font par cela même incapables de
faire ces expériences.
AM O U R . U amour , dit l’académie françoife ,
eft un fentiment par lequel le coeur fe porte vers
ce qui lui paroît aimable , & en fait l’objet de fes
defirs & de fes affrétions : on a donc de Yamour
toutes les fois qu’on a conçu un goût violent
pour un objet quelconque j par conféquent, il
y a autant d'efpèces amour qu’ il y a d’objets
pour lefquels on peut fe paflionner : le mot amour
eft donc aufli vague que le mot ambition , aufli
n’aura* t-il point dans notre dictionnaire d’article
particuleir: Voyez A m b it io n . Lorfqu’ on voudra
favoir fi telle ou telle efpèce d’amour doit être
excité ou réprimé, & quels font les moyens de
le faire naître ou de le détruire, de le fortifier
ou de l’affoiblir , on cherchera le mot qui défigne
l’objet vers lequel Y amour fe porte. Voyez donc
les mots A rts , C h a s se , Femmes , G lo ire ,
H u m a n it é , J eu , L ib e r t é , P a t r i e , R écompenses,
R eligion , &c.
Outre ces différentes efpèces d’amour, il en eft
trois qui doivent être traitées dans cet article: 1’A m o u r - p r o p r e , l ’A m o u r d e s o i , & l’A m
o u r DES SO L D A T S . L ‘amour-propre & Yamout
de foi j parce qu’ils ne peuvent être renvoyés aiH
A m o
leurs } & Y amour des foldats , parce que la particule
des ne marque point , comme dans l'alinéa
précédent, l’objet vers lequel Y amour fe porte ,
mais le fujet dans lequel l’amour réfide.
§. I.
De /’amour de foi.
On a donné le nom d* amour de fo i à cette forte
affeétion que la nature infpire à chaque homme
pour lui-même : ce fentiment eft un effet nécef-
faire de la fenfibilité phyfique : tout être fenfible
doit être profondément occupé de fa propre con-
fervation j vivre, & vivre fans douleur, c’eft pour
lui le premier, le plus grand des biens : celui
qui adopte une opinion contraire s’égare , à plai-
fir , dans de vaines fpéculations, il écrit le roman
du coeur humain, & nous en défiions l’hiftoire.
Puifque Y amour de foi n’eft en dernière analyfe
que la crainte de la douleur & de la^ m or t, ce
fentiment eft donc le deltruéteur de la première
des qualités guerrières, de celle fans laquelle les
autres ne font d’aucune utilité j de la bravoure >
& par conféquent celui que les légiflateurs, les
généraux , & le refte des inftituteurs militaires
doivent combattre avec le plus de foin & le plus
de fuite. Comment effacerons-nous les traits d’un
fentiment fi naturel, & fi profondément gravé?
Pour nous en inftruire, interrogeons ces hotnr
mes q u i, pouffes par une ambition démefurée
ou animés par queiqu’autre paflion véhémente ,
ont réuffi à raffembler un grand nombre de leurs
femblables, à leur faire prendre les armes, & à
les conduire fur le champ de la douleur & de la
mort. Au milieu d’un peuple fauvage , nous les
verrons employer , pour bannir Y amour de fo i ,
les moyèns les plus capables d’ exciter la haine,
d’éveiller la colère , de faire naître l ’indignation,
ou d’allumer le defir de la vengeance : chez des
peuples un peu plus civilifés , recourir à des potions
enivrantes , à la fuperftition & au reftort
de la crainte : au milieu des fociétés policées, chercher
à créer des récompenfes affez brillantes pour
éblouir les guerriers & à faire naître des paf-
fions faétices affez fortes polir étouffer cette première
des partions naturelles. Convaincus par cet
examen que l’homme s’occupe néceffairement de
fà propre confervation , jufqu’au moment où il
eft emporté par une paflion naturelle très-ardente,
ou jufqu à ce qu’ il eft entraîné par une paflion
faétice très-vive , ou enfin jufqu’à de qu’ un grand
dérangement dans fes organes lui a ravi l ’ufage de
fa raifon , de fon inltinét, nous conclurons que
tout gouvernement fage d o i t , pour avoir des
guerriers valeureux f recourir à l’un des trois
moyens que nous venons d’indiquer. Maïs quel
eit de ces trois moyens celui qui eft le meilleur
en mi-meme , & quel eft celui que nous devons I
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adopter ? Le meilleur, c’eft fans contredit celui
qui eft le plus près de la.nature , celui qui parle
le plus éloquemment à notre coe ur, à notre intérêt
, celui qui eft employé par les peuples fau-
vagesj mais il n’eft pas en même-tems celui qui
nous convient le plus. On ne peut efpérer de
faire naître la haine, la colère, l’indignation dans
Je coeur de cent mille hommes qui n’ont jamais
eu de démêlé avec les cent mille hommes qu’ ils
ont en tête j les manifeftes les plus adroits ne
peuvent produire un pareil effet : quant aux potion
enivrantes, elles font plus dangereufes pour
celui qui les emploie que pour celui contre qui
elles font deftinées. Voyez l’article V in . Les hommes
font aujourd’hui trop éclairés pour fe lailïèr
entraîner par la fuperftition j la religion n’a plus
affez d’empire fur eux” pour être leur feul guide,
voyez R eligion j quant à la crainte des peines,
elle eft foible auprès des terreurs que la mort infpire,
voyez Ph ilo soph ie de l a guerre $ il n’y
a donc que les paflions faétices & Y amour des
récompenfes, qu’on peut confidérer comme une
paflion faétice , qui puifîent être employées aujourd’hui
, en France , avec fuccès, pour éteindre
ou pour affoiblir l ’ardeur du fentiment de Y amour
de Joi. Nous n’examinerons ici ni quelle eft la
paflion fa&ice la plus propre à l’affoiblir parmi
les guerriers la force de Y amour de Jbi.3 ni quelle
1 eft la récompenfe Ja plus propre à éblouir leurs
yeux j nous nous contenterons de dire que chacune
de ces récompenfes & de ces pallions pouvant
être confidérée comme un reltort puiflant,
ou peut-être même comme un fens nouveau , les
viâoires feront d’autant plus allurées que les parlions
feront plus nombreufes & plus véhémentes.
& les récompenfes plus grandes & mieux choi-
fies. Voyei le paragraphe fuivant & les articles
G lo ir e . H onneur , L iberté . Pa t r ie , Philo
sophie DE LA GUERRE & RÉCOMPENSES.
C e t amour de f o i , ce delîr de fa propre con-
fetvation, ce fentiment dont il importe fi fort
d’éteindre ou.d’affoiblir l’ardeur pendant la guerre,
ne peut-il point produire, au moins pendant 1*
paix , quelques effets heureux ? O u i, fans doute,
il en peut produire : les foldats comme lés autres
hommes entendent à merveille lé langage de
leur intérêt; c’eft même celui qu’ils entendent le
mieux; je dis plus, c’ell peut-être le feul qu’ils
entendent conflamment : montrez-leur donc que
leur confervation, leur bonheur, dépendent de leur
obéifiance, & vous les verrez emprelïes à courber
la tête fous le joug de la difeipline : mettez
toujours, cri'un m o t , -l’amour de-foi en oppo-
fition avec les deffeins pervers, & ces deffeins
feront effacés. C e t amour de fa confervation peut
fèrvir encore à éloigner les jeunes officiers d’un
grand nombre de vices. Il eft peu d’hômtnes que
la morale retienne , 8c il en eft beaucoup que la
crainte arrête ; un des meilleurs freins contre la