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dépendre les places de la nomination du pouvoir
exécutif, ou, ce qui eft la même chofe, de
la protection & de la faveur, c’eft étouffer les
talents & l’émulation, cJeft perdre entièrement
un état quelconque. Si vous laiffez efpérer quelque
.chofe à la faveur, dès-lors les brigues , les
intrigues , les menées honteufes, tout, fe réunit
pour caffaler 5 la vertu refte ignorée & le vice
triomphe. Encore fi l’homme récompenfé étoit
ifplé, mais la place qu’il vient d’obtenir lui donne
du pouvoir fur fes femblables , & elle met entre
fes mains le bonheur d’une partie de fes concitoyens
& la fureté de l’état.
Oppofez-vous donc à des moyens auffi nui-
lîbles. 11 femble. à voir la marche de la protection,
qu’on ait-eu l’inconféquenee de faire
des places pour les hommes , & qu’on s’em-
barraffe peu d’avoir des hommes pour Us places.
Par quels moyens ces jeunes gens nommés par
■ la faveur, ont-ils appris à commander aux hommes
que vous allez leur confier? commènt ont-ils pu
les conr.oître ? dans quelle fituation les ont-ils
vu ? comment pourront- ils diftinguer les taîens,
les faire naître ou les employer à-propos ? Seront-
ils devenus des hommes nouveaux, parce qu’ils
ont de plus grands devoirs à remplir? non fans
doute , ils feront jeunes, paffionnés * inconfé-
quens. Un certain efprit répandu dans les corps,
les fait aller machinalement, & y foutient la
difcipline malgré ces abus 5 mais ils étouffent
entièrement l’émulation & l’envie de fe diftinguer.
Une partie des officiers fe livrent pour
leur avancement à la cabale, à l’intrigue, à
des baffeffes ; & l’autre- attachée à la routine
la plus fervile, attend tout du tems & des évé-
nemens.
L’ancienneté eft encore un des préjugés pernicieux,
rendu prefqüe néceffairedans nos troupes
par l’habitude ,. & que la nonchalance & le peu
d'application des officiers ont le plus grand intérêt
de foutenir; cependant peut-on attendre d’heureux
effets'pouf la bravoure, l’émulation, l’énvie
de. bien faire & de fe diftinguer, de cet avancement
qui s’obtient par l’ancienneté.de fervice?
ne femble-t-il , pas quand on y réfléchit, que la
claffe des citoyens militaires doit être de toutes
celle où il eft le moins effentiel de prendre pour
guide les anciens, parce que la force du corps,
l’activité, le->courage , la préfence d’efprit, le
fang-froid, : les connoifiances , -doivent être des
qualités infiniment préférables à la feule expérience
requife par le. nombre des années ? Auffi
voit-on, mêmè'f?dè$ (l’origine des nations, les
peuples confier d’abord aux anciens le gouvernail
du gouvernéme-nt, & choifir les plus forts
& les plus vigoureux d’entr’eux pour les mener
à la guerre. Ainfi , tandis que Neftor, Ulyfiè
&Agamemnom-tiennent çonfeil dans leur camp,
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A c h i l l e , A j a x & d ’ a u t r e s j e u n e s h é r o s , c o m b
a t t e n t f o u s l e s m u r s d e T r o y e ; a in f i d a n s le s
a rm é e s & p o u r f a i r e la g u e r r e a v e c f u c c è s 3
i l f a u t a v e c l e f e c o u r s d e s l e ç o n s d e la f a g e f f e
& d e l ’ e x p é r i e n c e , a u g m e n t e r l e s c o n n o i f fa n c e s ’ ,
le g é n i e & l a . v i g u e u r d e s j e u n e s g u e r r ie r s 5 m a is
i l y a u n e h i é r a r c h i e m i l i t a i r e & u n e fu c e e f f io n
g r a d u e l l e d e p u i s l e d e r n i e r f o ld a t ju fq u ’ au g é n é r a l
d e l ’ a rm é e . P o u r l ’ é m u l a t i o n , q u i e f t f o u v e n t
l a c a u f e d e s g r a n d e s c h o f e s , p a r c e q u ’ e l l e f l a t t e
n o t r e am o u r - p r o p r e , i l f a u t q u e c h a q u e in d i v
id u d a n s c h a q u e g r a d e , p u i f f e & d o i v e e f p é r e r
d ’ e n f o r t i r au m o y e n d e f e s c o n n o i f f a n c e s & d e
f e s a & i o n s , & p r é t e n d e m êm e a r r i v e r d u
d e r n i e r a u p r em ie r g r a d e . D a n s l e s r é p u b l iq u e s ,
l e m é r i t e d o i t ê t r e l a f e u l e c a u f e d e l’ a v a n c
em e n t : c e n e p e u t ê t r e q u e d a n s u n g o u v e r n
em e n t o ù l e s : m oe u r s f o n t c o r r o m p u e s , q u e
f a t i g u é d e c h e r c h e r l e c i t o y e n q u i m é r i t e o u
f l a t t é d e p r o t é g e r c e lu i q u i a d u l e d a v a n t a g e ,
l a f a v e u r d o n n e l e s p r e m i è r e s p l a c e s , & a b a n -
1 d o n n e c e l l e s p lu s in f é r i e u r e s à l ’ a n c i e n n e t é fan s
; a u c u n e d i f t in d lio n . N o u s m o u r r o n s d an s c e q u e
n o u s fo u rn ie s , d i r o n t p e u t - ê t r e q u e lq u e s o f f i c
ie r s . E h ! b i e n , q u a n d c e l a f e r o i t , i l lu f t r e z
le r a n g q u e v o u s a v e z . , f a i t e s q u ’ o n l e r e f p e é t e ,
& c o n t e n t e z - v o u s - e n ; m é r i t e z - e n u n a u t r e , &
l ’ o n f e h â t e r a d e v o u s l ’ a c c e r d e r . N ’ a u r o i t - o n
p a s d û s ’ a p p e r c e v o i r q u e c e t t e m a r c h e d e l ’ a n c
i e n n e t é d o n n o i t n é c e f f a i r em e n t d e s d r o i t s t r è s -
ju f t e s à d e * g e n s b i e n in e p t e s ? C o m b i e n d e f o i s
l e s f f o ld a t s & l e s o f f i c i e r s e u x -m êm e s n ’ e n o n t - i l s
p a s é t é l a v i ê t im e I
« Dans un tems îîluftre par la chevalerie ,
*> on ne fongeoit qu’à 1 gàgnér des rangs, en
» ne tentant jamais de les ufurper ; & la nécef-
” fité de les acquérir à force,de hauts-faits &
» de fervices , leur donnoit un prix ineftimabîe
« qui redoubloit l ’ardeur de les obtenir. »
: Choififfcz donc différemment vos officiers &
vos fous-officiers ; prenez invariablement parmi
ces derniers les hommes qui doivent remplir
les dèrnières places d’pfficièf,s, & ainfi fuccef-
fivement. Alors exige? pour vos fous-officiers
de l’intelligence, de la bravoure , de la fageffe ,
de la modération, du .zèle, de la capacité,
quelques connoiffances j prociirez-leur enfuite
tous les moyens d ’acquérir celles néceffaires aux
officiers. {Voye^-en les . détails au mot examen ,
fupplement. ) Objet d’autant plus facile à remplir,
qu’ il eft probable, dans un ordre plus fage ,
qu’eri tems de paix on ne retiendrait guère
aux drapeaux que- les officiers & les fous-officiers,
& que les derniers aüroiept alors tout
le tems pour le procurer les iefiruétions &
acquérir l.es connoifi’ances néceffaires, & les
premiers pour augmenter celles .déjà acquifes.
t M a is .il lèrôit.> injure de ne pas donner à
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l’ancienneté tout ce qu’elle peut légitimement
exiger. On pourroit pour remplir cet ob;et
important, en laiffant à chaque corps Je droit
fi naturel de nommer au ferutin par tin jury,
les* fous-officiers & les officiers, donner au plus
ancien foit foldat, fous-officier ou officier, placé
immédiatement au-deffous du grade vacant, un
nombre de fuffrages égal au quart ou au tiers
de celui des électeurs. Il eft bien certain que
dans cet ordre nouveau , le plus ancien obtien
droit la préférence, toutes les fois qu’ il ne s’en
feroit pas rendu indigne . par fa conduite ou
fon incapacité ; car toute efpèce de choix devroit
toujours avoir été précédé par un examen fait
une ou deux fois chaque année, & après lequel
on auroit formé une lifte des candidats examinés
, & des differens degrés de leur capacité,
moralité, &c.
Frédéric-le-Grand, roi de Pruffe, qui s’étoit
attaché à éviter les innovations dans le régime
militaire imaginé par fon père, conferva l’avancement
par ancienneté 5 mais il croyoit parer
aux grands inconvéniens attachés à cette méthode,
en plaçant des officiers pleins de capacité, de
talens & d’aélivité, à côté de ceux parvenus
par l’ancienneté dans des places qu’ils étoient
incapables de remplir, & il les foumettoic fous
peine de mort à fuivre les confeils de leurs
jeunes mentors. Quoi de plus inconféquent pour
vouloir conferver une manière auffi inconfidérée
que celle de regarder l’ancienneté comme un
titre irréfragable pour avancer en grade !
Ramenez à leur état des hommes qui en font
trop fouvent éloignés par le'mépris, furtout
depuis qu’ils ont tant contribué à afturer la
liberté ; que la bravoure cônferve fa rudeffe ;
ayez le talent de procurer aux mi itaires des
occupations utiles & agréables, en les inftrui-
fant dans le grand art de la guerre, & ils
n’ iront_pas chercher des diftraétions dont, vous
ne leur donnerez pas le tems d’avoir befoin.
Que la nation les refpèdte, l’efprit militaire y
gagnera, & l’amour de la patrie-& de la gloire
s'accroîtront continuellement parmi des hommes
qu’on choifira pour en être les défenfeurs &
les modèles.
Ne craignez pas d’être| arrêtés par les difficultés
3 aucun peuple n’a l’aifance du Français
pour prendre le pli que l’on veut. Que jamais
un fous-officier ou un officier ne puiffe paroître
fans fon uniforme ; que fes grades^ foient une
raifon pour qu’on le protège davantage ; que
l’habit militaire foit partout diftingué. Accoutumez
dès. l’âge le plus tendre tous les Français
au genre de vie le plus dur & le plus pénible ;
que tous fâchent qu’ils font deftinés à défendre
la patrie, & vous aurez des fôldats fur lefquels
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vous pourrez toujours compter, te une foule
de fujets capables de bien remplir les emplois
qu’on voudra leur confier.
S’il n’ eft qu’une feule manière d’obtenir telle
place ou telle dignité, les hommes s’y foumettent,
quelque chofe qu’il leur en coûte ; ne voyons-
nous pas les talens les plus en vogue, foit pour
l ’u tilité, foit pour- le plaifir, être plus cultivés
que les autres & fe perfectionner rapidement;
chacun s’efforce toujours d’être ou de pofféder
ce qui eft le plus agréable ou le plus avantageux
aux yeux des autres.
GRANDE-GARDE. Les anciens qui avoient
l’habileté de fe renfermer dans leurs camps üc
de s’y fortifier, avoient moins befoin que nous
de s’entourer de g r a n d e s - g a r d e s , pour affurer
leur tranquillité & veiller fur les mouvemens
de l’ennemi; cependant chez les Grecs & chez
les Romains , les troupes légères dévoient camper
hors de l’enceinte des camps, afin d’empêcher,
les furprifes. Très-ignorants dans l ’art de la
guerre, les barbares qui fe répandirent de l’Afie
dans l’Europe ne connurent aucune précaution ,
& ce ne fut même qu’au moment où la guerre
redevint un a r t , que l’on fit une fcience des
campemens, devenue une des plus profondes,
jointe à celle des pofitions ; bientôt l'artillerie
devint plus abondante, &r les raifons fe multiplièrent
pour chercher tous les moyens d’af-
furer la tranquillité dans les camps. On négligea
beaucoup trop celui des fortifications,
& l’on crut mal-à-propos y fuppléer par des
gardes multipliées, qui excèdent le fo dat de
fatigues & font trop fouvent infuffifantes,
quand on a en tête un ennemi ou très rufé ou
très-entreprenant ; en ôtant aux foldats les foins
pénibles , de veiller eux-mêmes aux apprêts de
leur fubfiftance, on pourroit exiger d’ eux de
remuer de la terre & de faire des fortifications ,
combinées avec le tems plus ou moins long où
ils doivent camper, & à la pofition plus ou
moins importante qu’ils occupent. Cependant
malgré ces moyens, il faudroit encore d’autres
précautions indifpenfables, qui exigent desgrandes
gardes; mais n’étant pas faites pour arrêter l’ennemi
, & deftinées fimplement à fa ire fa v o i r qu’ il
arrive , on devroit les faire beaucoup moins
oombreufes ; ainfi fept hommes d’ infanterie ,
trois de troupes légères à cheval. D’après cette
idée, avec une moindre quantité d ’h o m m e s fous
les armes, on auroit un plus grand nombre de
grandes gardes , ce qui affureroit infi; iment plus
la tranquillité, psree que les poftes étant infiniment
plus multipliés ,, il feroit impoffible à
l’ennemi de faire la moindre tentative fans être
découvert. On fentiia facilement l’avantage
d’avoir dans chaque garde troi«» hommes à chev
a l , foit pour aller à la découverte plus loia