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ont.perdu un membre, ou qui ont été mis dans
l ’abfolue impofiibilité d’en faire ufage. Tout mi,
litaire qui a fait une perte cruelle, doit en effet
être dédommage 5 dire avec les Vénitiens, que'
les troupes fonütpayées pour c e la , c’eft répéter
un principe faux , .c’eft vouloir autorifer une in-
jullice, & des plus dangereufes.. La plupart des
hommes craignent moins la mort que la douleur
, que des blejfures graves : après moi le
déluge, difent ils proverbiaîement ? mais quel
fera mon fort, fi je fuis grièvement blefle, ajoutent
ils ? Qui me fervira ? Qui- remplacera ce bras
que j’aurai perdu? Qui veillera fur mes biens,
fur mes affaires domeftiques? &c. Une .armée
dont les membres n’auroient aucun dédommagement.
à efpérer . poiir leurs, blejfures , pourrait
bien ne pas compter des lâches- ; mais certainement
elle compterait des poltrons, & fut-
J*o-ut beaucoup d’hommes indolens. Souvenons-
hbus toujours que fi un adminillrateur ne doit
point, en récompenfanr, avoir en vue l’homme
qui a mérite la récompenfe, ce n’ell point non
plus d’hpmme blefle qu’il doit envifager , mais
cei^x qui n’ont encore rien fait ^ ceux qui n’ont
point été blefles.
On doit proportionner les dédommagemens a - la ;
gravité des blejfurcs ; donner un dédommagement ;
égal pour une légère contufîon, pour une fimple
fraélure, & pour la perte d’un ou plufîeurs membres,
Ferait une injultice réelle? fi l’on doit établir une
exaéte proportion entre les peines , on doit auffi
en établir une entre les dédommagemens, & 4es récompenfes.
On. doit donner des' dédommagemens analogues à ■
■ la pojition faciale des hommes qui ont repu des '
blejfures. L ’adminiftrateur qui accorderoit à un;
.foldat dépourvu de tout bien , 'd'e tout fecours, !
le même dédommagement qu’à unofficier.com-
.bl.e des biens de la fortune, commettrait une
injuftice, ou agirait au moins avec mal-adrefle :
Je foldat mourro.it de faim avec fa croix ou fon
yuban, & l’officier mépriferoit ou priferoit bien
peu une penfion légère.
Les dédommagemens doivent être fixés par une ’
lo i‘pofîtive fy invariable : les récompenfes que'
donne la „loi, font doublement flatteufes ? rien
ne doit être. laifïe à l'arbitraire? il faut fermer
la porte à la faveur , à l’intrigue, à l’importunité,
& mettre les militaires à l’abri du defir,
& fur-tout du befoin d’acheter, ou, à beaux deniers
comptans, ou par des baflefles, un dé-,’
dommagement auquel ils ont de juftes droits. !
Dans le commencement de toutes les guerres,
les adminiftrateurs font aflez communément prodigues
de récompenfes ? fis croient doubler par
cette prodigalité, l’ardeur, la volonté de l'armée.
O u i, ils la rendent plus grandei mais ce
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I n-eftxjue.jufqu’au moment où ils font obligés de
devenir .avares , ' car. alors elle ceffe, & le dé-
cciuragement la remplacé ; c’eft ainfî qu’un malade
J, qui l ’on vient de. donner de puifians cordiaux
, paroît pendant quelques in fia ns avoir
repris^ I’ ufage dé boutés les facultés; mais dès
que l’effet des,remèdes adifs commencé ,à diminua
, l'abattement reparoît., & il n’e ftplus
poffible. de le vaincre. Cette obfêrvation eil bien
importante, npujsj aurons lieu.! de, !nous en, convaincre
dans l’artfcle. R i c o mTben^e. .
Accorder à l’un ce qu’on rèfufe à l’autre', c’eft
une. injuftice qui a toujours, des fuites funeftes:
la reconnôiffaiièe ell peu abondante en paroles?
élfe' pane fies-bas, & \ fés difeours font moins
d’impfefiipff que les" gêmiiffeméns dé la plainte.
La plupart des» miniftres traitent légèrement
les militaires fubaltérnes qui ont réçudès blejfures ;
non-feulement il ne les récômpenfent point , mais
ils^ne fongebt pas à leur faire cet accueil gracieux,
à leur tenir ces propos flatteurs qui confolent
les François , & qui fönt leur première récom-
penfe ? ils c-royent pouvoir mécontenter fans
danger un hômme fans nom' & fans proteéleur ?
ne faü font-ils; jamais qu’ils mécontentent l’armée
entière', & que fi les cris dé cette multitude
d’hommes ne pénètrent point toujours jufqu’ati
prince., au moins pénétreront-ont-ils fûrement
jufqu’à. la poftérité ? Le miniftre ne perdra point
fa place pour cette injuftice? mais il perdra là
gloire.
Après avoir prouvé qu’il eft néceflaire de donner
des dédomagemens pour les blejfures graves,
il nous rdle à examiner quels doivent être ces
dédomagemens. Celui-là mériteroit d’être généralement
adopté q u i, dans aucun cas , ne pourroit
ni nuire à une bône conftirion militaire, ni devenir
à .charge à Fêtât ? qui dédomageroit le foldat
, l’officier peu aifé, & l’officier très -riche-;
qui pourroit- enfin être également employé avec
le guerrier que fes blèjfures forceraient à -abandonner
la carrière militaire , & avec celui à qui
•elles permettraient de la fuivre encore.
Pour favpir s’il exifte un dédomagement qui
, fatisfafle aux différentes conditions que nous venons
de demander, jettons un coup-d’oeil fur
ceuxqui ont été employés parles différens peuples.
.. Dans, la Grèce!, on nourrilfoit' .aux'; dépens
..dé. l’etat, les Hommes qui à voient été ‘ gri'è venant
- blejfés à. .la.' guerre : à !Rome ou leur
■ donnoit une très-graffe part dans le butin fait
fur les ennemis , & on leur diftribuoit des terres
...prifes fur Tes!.„ vaineps?, quelques peuples riio-
"dérhés ont -côropdfé un tarif dans lequel ja
' perte de chaque membre efté.valuée à une certaine
foraine dV^efu i d'autres ont, donné des mortes
• pityts
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I «35.es aux kleffh, & d'autres les ont relégués
f. dans des. monaftères j ic i, on a eleve pour eux
l.de fuperbes édifices où ils font entretenus aux
‘ .dépens de l ’Etat? là , on les fait monter à des
grades plus élevés que ceux qu’ils occupent au
: moment où ils reçoivent une blejfure ; ailleurs,
} on leur donne des penfions de retraite proportionnées
à leurs grades? en quelques autres
endroits , on leur accorde des marques diftmc-
tives honorables.
Quelques différens que paroiflent, au premier
Coup-d’oe i i , les dedommagemens accordés!, par
les différens peuples , aux militaires blejfés à la
guerre, ils peuvent cependant être rangés fous
trois clalfes : dédommagemenspécuniaires, dedorr-
magemens en dijlinclions honorables , & dédommage-
•mens en grades élevés.
; ^ Il eft prefqne impoffible de concevoir qu’on
pit voulu faire ufage des grades élevés pour
dédommager les militaires qui ont reçu des blejfures
à la guerre ? cette efpèce de dédommagement eft
. £n effet vicieufe' fous tous les afpeêls. Les-grades
; élevés appartiennent au mérite reconnu > ils
-appartiennent encore. à ^’ancienneté , qui donne
ou fuppofe lin mérite réel ? mais ils ne peuvent
appartenir aux blejfures , qui ne donnent
aucun mérite , & qui ne fuppofent que le
glus commun de tous ? la bravoure : je dis
.us , la non-lâcheté ? car la balle atteint indifféremment
celui que l’honneur retient, celui
que la crainte de la honte arrête, & celui que
l ’impoffibilité de fuir force de relier dans la
place qu’on lui à affignée: ce dédommagement ell
injulle^ & parce qu'il peut tomber fur un homme
qui a moins fait que tous les autres pour
la caufe commune , & parce qu’il peut punir
: des guerriers qui ont mérité'd’être récompenfés:
ce dédommagement eft enfin vicieux , parce qu’il
-né peut erre rnis en ufage avec les militaires qui
ont été trop grièvement blefles pour continuer
•leurs fervices, 8c parce qu’il préfente un grand
nombre d’autres inconvéniens que nous avons
„détaillés ailleurs. Voye\ les articles A ncienneté,
.A v a n c em en t , C a p it a in e , 8cc.
L’ argent, & tous les objets qii’il repréfente,
ell peut-être propre à dédommager le foldat
indigent, l’ officier peu aifé ? mais il ne peut
faire de l’effet fur l’homme riche que lorfqu’il
'eft donné avec profufion ; & alors ce dédommagement
devient très-à charge à l’Etat : combien
de fois n a-t-on pas vu d’ailleurs des hommes
. réduits a Fabfolu néceflaire , prifer plus une dif-l
tinélion honorable qu’un dédommagement pé-1
cuniaire , meme allez foft ? On connoît le trait
de cet officier qui préféra la croix de Saint-
Lbuis a. une penfion de 8qq liv.; 8c le célèbre
j.efe crois bien de Louis XIV. Telle é toit, telle
ell encore l’opinion générale des François, ear-
Art milit. Suppl, Tome IV\
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' dons-nous bien de la détruire, ou même feulement
de la modifier. T ou t gouvernement qui
fait un grand ufage de l ’argent pour rétompen-
fer ou dédommager les guerriers, éteint parmi eux
l’efprit militaire, 8c fe porte à lui même des
coupsfunettes. ^ ^ R écompenses pécunial-
res.
Les diftinélions honorables ne peuvent point no»
plus dédommager tous les militaires. Que devien-
droit un foldat dépourvu de toute efpèce de
fortune, 8c de tout moyen de gagner fa vie ,
à qui l’Etat fe contenteroit de donner un ruban y
une croix, 8cc. ? C et homme aviliroit néçefl’airer
ment la marque glorieufe qu’il auroit reçue? car
-il ièroit forcé de mandier fon pain, ou de fô
livrer aux travaux les plus viles.
Puifque l’argent fans diftinétions honorables, 8c
les diftinélions honorables fans argent, 11e peuvent
fervir de dédommagement aux blejfures, il faut créer
un récompenfe mixte, compofée d’argent 8c de
marques honorables ? mais lier ces deux objets,
fi intimement enfemble, que l’imagination même
ne puiflent les- féparer. C ’eft le cas d’appliquer
le mot vis unita fortior. Un ordre de chevalerie
militaire richement doté, dont les comman-
deries feroient néanmoins peu confîdérables,
pourroit remplir notre objet. Mais pourquoi
former de nouveaux établiflemens, tandis que les
anciens , un peu modifiés, peuvent nous fuffire?
L’ordre royal 8c militaire de S.-Louis pourroit,
ce me femble, remplir l’objet que noijs avons en
vue. L’officier qui,fans avoir reçu de blejfure, auroit
accompli le nombre d’années de fervice fixé par la
lo i , obtiendront comme aujourd’hui la croix 8c
le ruban de fordre de S.-Louis : tout officier,
tout foldat qui auroit reçu une blejfure feroit
décoré , dès le premier travail du miniftre, d’un
ruban ponceau, dans le milieu duquel on ver-
roit une bande blanche tranfverfale d ’une ligna
de largeur? celui qui auroit reçu deux blejfures
auroit deux bandes blanches, & e . L ’officier qui
après avoir reçu le ruban pour fes blejfures obtiendrait
la croix pour fes fervices, la porterait
fufpendue à ce même ruban? il e& feroit de
même des foldats pour le médaillon. Le ' ruban
ferait donné fans commanderie, c’ çtl-4-dire,
fans penfion, fans ârgent, aux militaires qui
pourraient continuer leurs fervices, & avec une
commanderie, à ceux qui feraient forcés par
leurs blejfures d’abandonner 1e carrière" dés ai>
mes. Ces dédommagemens pécuniaires devraient
être les mêmes pour le général & pour le dernier
des foldats? ou ii l’onvouloit abfolument évaluer à
un plus haurprixle bras d’un homnfe que celtii d’un
autre, ce qui ellsje croîs un vice, on devrait,
en fixant les dédommagements, obferver qu’il ne-
puffçnt jamais éveiller la cupidité dans le coeur
des officiers, Je le répéterai fanscefîe il ne faut
L