lui a été accordée. On devroit y ajouter certaines
prérogatives parmi les camarades & Tes concis
toyens. Enfin , il faudroit compenfer les peines
par les avantages, & fi bien graduer Sc proportionner
les unes & les autres , que le foldat ne
fût continuellement occupé dans toutes fes actions
, q u 'à conferver fon nouveau grade & à en
mériter de fupérieurs.
Ne choififfez donc jamais un fous-officier qu'à
la pluralité des /Voix des fous-officiers & des officiers
; les foldats eux-mêmes doivent concourir à
ce choix ; préférez toujours l'homme fage, brave *
intelligent. Son grade doit le diftinguer des autres 5
il doit être relpeCté par fes camarades * & furtout
p a r les jeunes officiers : on le confultera fur les
chofes que l'expérience lui a apprifes > jamais il
ne fera puni par de jeunes gens, furtout légèrement,
ni de même que fes inférieurs. Pour le faire
rentrer dans la foule d’où il eft forti , faites-lui
fon piocès & le jugez? publiquement j ne l 'a f f e r -
vifiez pas , comme le dernier f o ld a t , à toutes les
minuties de la difcipline 5 il doit s’y foumettre librement
pour donner le bon exemple : pour cela,
il doit jouir de cette liberté méritée par fa conduite.
Enfin, rappelez continuellement à lui, à
fes camarades & à fes concitoyens, que c'eft un
homme dont on a diftingué le mérite, & vous
affûterez parmi vos foldats cette émulation fi né-
ceffaire & toujours fi heureufe, qui maintient la
difcipline & difpofe aux grandes allions.
Vous récompenfez un état & les perfonnesqui
le compofent, en lui donnant de la confidération 5
vous liez davantage les foldats les uns aux autres j
vous affurez l'accompliffement de leurs devoirs ,
en faifant dépendre l’avancement de l'approbation
mutuelle de chacun d'eux ; mais ce qui eft
effentiel pour les fous-officiers, l'eft encore peut-
être bien davantage pour les officiers. Ce font eux
qui font chargés de conduire , de punir, de ré-
compenfer les hommes qu’on leur confie ; ce font
eux qui doivent donner en même tems l’exemple
de l’obéiffance & de l'autorité. Ils doivent être
affez fournis pour obéir avec promptitude & remplir
exactement leurs devoirs, & affez inftruits
pour favoir bien faire exécuter par les autres les
ordres qu'on leur a donnés ou les opérations dont
on les a chargés. C'eft de leur intelligence, c’eft
de leur fageffe, c'eft de leur bravoure que dépend
fouvent le gain ou la perte d’une bataille j c'eft
leur prudence, leur expérience, leur douceur
qui contribuent au bonheur des foldats, maintiennent
fans effort la difcipline en vigueur & font
faire les plus grandes chofes ; ce font eux enfin
qui doivent être l’ame de ce corps fi nécefiaire à
l'état , & qui en affure la tranquillité.
Mais rien ne reffemblë moins aux officiers qu'il
faudroit avoir, que la plupart de ceux qui fervent
actuellement dans la milice françaife. Veut-on
avoir des officiérs tels qu’on pourroit les défiler
? veut-on les faire eftimer & refpeÇter de la
nation, il faut employer des moyens dlfférens pour
les choifir, & pour procurer aux citoyens qui af-
pireront à l'être, des fecours qui leur donnent des
facilités pour mériter d'être-préférés.
Ainii, ni l’ancienneté ni la protection ne doivent
être des caufes d’avancement. Montluc,. de
fon tems, faifoit déjà les mêmes obfervations &
les mêmes plaintes.
« Sire, difoit-il, vous créez un capitaine de
» gendarmes pour l’amour de celui qui vous l'aura
» nommé, comme vous feriez un fergent du châ-
« telet de Paris5 celui-là, fe trouvant à une
» bataille, vous lui baillerez quelque coin à dé-
» fendre,.& ce pauvre homme, qui ne connoîtra
» fon avantage, vous fera perdre ce coin, ;don*
» néra coeur à l'ennemi & caufera la perte de la
», bataille : prenez donc garde à qui vous donnez
» place de capitaine.
» Vous donnez enfuite les charges de capitaine
35 de g en$ de pied à l’appétit d'un monfieur ou
» d'une dame , parce qu’ils veulent toujours
» avancer quelques-uns des leurs, ou en obliger
» d’autres : de ces charges peuvent en advenir de
I grands malheurs à une brèche ou à quelqu’autre
» entreprife qui fera de grande importance. Du
»» tems de François I e r . , le titre de capitaine étoit
» titre d'honneurj à préfent, le moindre pique-
» boeuf fe fait appeler ainfi s'il a eu le moindre
» commandement : il feroit bon que tant de ca-
» pitaineaux retournaffent foldats.
» Il faudroit auffi examiner les officiers que Ton
» fait capitaines, les renvoyant pardevant les vieux
» pour les interroger fur le fait de guerre. »
L'avancement des officiers doit donc dépendre
du choix qu'il faut en faire, & ce choix doit
être fait par les officiers & même les fous-officiers
, après un examen rigoureux fur les faits de
guerre.
Etabliffez donc cette règle invariable, que ce
foit par les fuffrages feuls que l'on puiffe prétendre
à avancer en grades : protection| naiffance,
ancienneté de fervice, faites tout difparoître devant
le mérite unanimement reconnu.
Quel danger n'y a-t-il pas, en effet, de faire
dépendre l'avancement de la protection? C'eft
étouffer les talens & l'émulation ; c'eft perdre entièrement
un état auelconque, que de laiffer ef-
pérer quelque cbofe à la faveur. Dès-lors les brigues,
les intrigues, les menées honteufes, tout fe
réunit pour cabaler} la vertu refte ignorée & le
vice triomphe. Encore fi l'homme que l'on récom-
penfe, étoit ifolé ! Mais la place qu'il vient d'obtenir
lui donne du pouvoir fur fes femblables , &
elle met entre fes mains le bonheur d’une partie
de fes concitoyens & la fûreté de l'état.
Le préjugé de la naiffance n'eft pas moins dangereux.
Eft-ce un titre , pour.avoir du mérite, de
defcendre de tel ou tel homme ? Voudroit-on
continuer Tinconféquence d'avoir fait les places
pour les hommes , fans s’embarraffer d’avoir des
hommes
hommes pour les places ? Rien ne contribue davantage
à étouffer entièrement l’émulation & l'envie
de fe diftinguer de la partdesperfonnes qui ont du
mérite : dès-lors une pârtie des officiers fe livrent,
pour leur avancement, à la cabale , à l'intrigue
à faire leur cour j & l'autre, attachée à la routine
la plus fervile, attend tout du tems & des
-événemens.
C'eft encore un préjugé pernicieux : l’habitude
l'a rendu prefque nécelîàire ; la nonchalance & le
peu d'application des officiers ont le plus grand
intérêt de le foutenir. Ma s que.peut-on attendre
pour la bravoure, pour l'émulation, pour l'envie
de bien faire & de fe diftinguer, de cet avancement
qui eft dû à l’ancienneté de fervice ? &
quelle eft la malheureufe contradiction qui eft
venue en même tems donner du dégoût à tous les
militaires dans chaque rang , & ne leur faire en-
vifager de la tranquillité & un fort digne d'eux
que dans les grades fupérieurs aux leurs? Pourquoi
une politique fage & bien entendue, en excitant
l'émulation , n'a-t-elle pas fait envifager &
trouver des avantages réels dans chaque rang ?
Fates defirer que l'on avance, mais par l'envie
feule de fe diftinguer, & jamais par cette efpèce
d'inquiétude qui afflige en général tous les états,
& fait que'perfonne n’eft content de fon fort.
Nous mourrons donc ce que nous fommes, diront
peut-être bien des officiers?Eh bien ! quand cela
leroit, illuftrez le rang que vous avez, faites-le
refpeCter', & contentez-vous-en ; méritez-en un
autre, & on fe hâtera de vous l'accorder. N'au-
roit-on pas dû s'appercevoir que. cette marche de
l'ancienneté donnoit néceffairemeut des droits
très-juftes à des gens bien ineptes? Combien de
fois les foldats & les officiers eux-mêmes n’en ont-
ils pas été la v'Ctime ? Mais, dira-t-on, on trouve
des moyens de fe défaire d’un homme inepte.
Oui, fans doute, on en trouve i mais ils font in-
juftes j ils occafionnent des cabales & ils entretiennent
le plus mauvais efprit. Eh ! comment fe
fier au jugement d’un corps où quelques perfonnés
raifonnables luttent contre une roule de gens
bornés ou prévenus pour eux ! Ofons rappeler ici
les moeurs d’un tems illuftré par la chevalerie.
« Chaque chevalier loivoit le rang qu'il devoit
« occuper 5 charun fe tenoit à la place qui lui
étoit affignée. L'impoffibilité d'en occuper d’au-
i très étouffoit les fentimens d'une ambition défi
* ordonnée , qui, confondant tout, offenfe tou-
99 jours ceux aux dépens de qui les lois & la fu-
w bordination font violées, & fuffit rarement à
** fatisfaire ceux qui les violent. On ne fongeoit
** qu’à gagner des rangs , en ne tentant jamais de
** les ufurper ; & la néceffité de les acquérir , à
A force de hauts faits & de fervice , leur donnoit
a> un prix inestimable qui redoubloit l'ardeur de
39 les obtenir. »
Choififfez donc différemment vos officiers j excitez
parmi eux, en lesavançant àpropos, cette ému-
A r t. M i l i u S u p p l. T om e 1)
lation qui fait naître dans les belles âmes l'envie
de fe diftinguer par des vertus ; faites qu’ils ref-
peCLnt le rang qu’ils ont, faites-le refpeCter par
la nation ? & pour mieux réuffir dans des projets
auffi néceffaires, ramenez à leur état des hommes
qui en font autant éloignés.
Le luxe qui fait de nouveaux progrès, les,
moeurs qui fe perdent, ont contribué à faire for-
tir chaque citoyen de fon état.
Plus occupé autrefois de fes devoirs, on avoit
moins de tems à perdre, & le contrafte des manières
marquoit où l'orgueil devoit s'arrêter pour
ne pas fe confondre. Si la bravoure avoit confervé
fa rudeffe, fi l'on eût eu le talent de procurer aux
militaires des occupations utiles & agréables en
leur apprenant le grand art de la guerre, ils n'au-
roient pas cherché ailleurs des diftinCtions dont
on ne leur auroit pas même donné le tems d'avoir
befoin. La nation les auroit refpeCtés davantage »
mais toujours diftingués des autres , ils auroienc
été obligés, par un heureux préjugé, de faire
un corps à part. L'efprit militairey auroit gagné ,
la difcipline fe feroit mieux foutenue , & l'amour
de l'honneur & de la gloire fe feroit continuellement
accru parmi des hommes choifis peur en
être les défenfeurs & les modèles.
Des exercices de corps, des exercices militaires,
des concours , des inftru&ions pratiques & théoriques
, & vous vous affurerez d'une p'us grande
force de corps, de plus d’acquit, de plus de con -
noiffance & d’un attachement plus durable pour
un etat qui, ifolé & refpeélé des autres, devien-
droit bien plus intéreffant.
Continuez à regarder le militaire comme le premier
ordre de l'état. Que jamais un officier , un
foldat ne puiffe paroître nulle part fans fon uniforme
j que fon habit, que fes grades foient une
raifon pour qu'on le diflingue davantage. Accoutumez
, dès l'âge le plus tendre , les citoyens qui
doivent défendre la patrie au genre de vie que
vous voulez qu’ils mènent, & vous aurez un militaire
nombreux & des troupes fur lefquelles vous
pourrez toujours compter.
S'il n'eft qu’une feule manière d'obtenir telle
place ou telle dignité, les hommes s'y foumettent,
quelque chofe qu'il leur en coûte. Ne voyons-
nous pas les taleftslès plus en vogue, foit pour
l’ütilité, foit pour leplaifir, être plus cultivés
que les autres & fe perfectionner rapidement ?
Chacun s'efforce toujours d'être ou de pofféder
ce qui eft le plus agréable ou le plus avantageux
aux yeux des autres.
§. I I .
D i f t in £ lio n s t
Les foldats font bien loin de combattre actuellement
avec lê même intérêt qui les animoit autrefois.
Il faut donc en fubftituer un autre 5 6c
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