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mande attention. Tel eft précifément l'art des
gouyernemens. Contre-poids ou fumée, barbet,
fille ou pédant , qu’importe? La différence du moteur
difparoît dans les réfultats, & le peuple, un
peu mieux ou un peu plus mat tourné, ne finit
pas moins par nourrir les convives.
» En effet, les circonftances où ce font les hommes
qui mènent les chofes, & non les chofes qui
mènent les hommes, font infiniment plus rares
qu’on ne penfe. L’opinion publique amufe bien
quelquefois la jeuneffe des empires, mais la routine
& la médiocrité les bercent ordinairement,
même avant l’âge mûr. Lorfque la machine, bonne
ou mauvaife, eft affermie fur d’antiques fonde-
mens, & que la loi ou l’abus, a bien tracé leur
route, le difcernement, dans la diftribution des
places, n’eft pas heureufement une condition de
rigueur : l’effet en devient tout-à-fait nul quand
les rênes de l’état font faifies par un tyran vigoureux
ou par un homme de génie.
« Les états libres & électifs ne font pas plus
exigeans: l’efprit public en anime-t-il les refforts?
à l’inftant tout fe vivifie pour lui, les hommes fe
trouvent d’eux-mêmes dans les places auxquelles ils
conviennent ; & ce qu’il y a de mieux à faire,
c’eft toujours ce qui s’y fait le plus naturellement. '
Au contraire , l’efprit de faCtion en corrompt - il
les principes ? alors toute fageffe eft vaine & tout
mal eft poffibl e : il n’y a de confeiller que le crime,
& de providence que le hazard. »
La manière dont Voltaire a dépeint la politique
dans fon D ic t io n n a ir e p h ilo s o p h iq u e , n’eft pas
moins intéreffante y & nous a paru avoir trop de
rapport au fujet que nous traitons, pour ne pas
croire que nous rendrons fervice à nos lecteurs, en
la mettant ici fous leurs yeux.
«* La politique de l’homme confifte d’abord à
tâcher de gâter les animaux à qui la Nature a donné
la nourriture, le vêtement & lé Couvert.
» Ces commencemens font longs & difficiles.
S Comment fe procurer le bien-être, & fe mettre
à l’abri du mal? C*feft là tout l’homme.
» Ce mal eft partout. Les quatre élémens conf-
pirent à le former. Laftérilité d’un quart du globe,
les maladies, la multitude des animaux ennemis,
tout noijs oblige à travailler fans ceffe à écarter
le maL
m Nul homme ne peut fe garantir du mal & fe
procurer le bien : il faut des fècours. La fociété
eft donc auffi ancienne que le Monde. Cette fociété
eft tantôt trop nombreufe, tantôt trop rare : les
révolutions 4e ce globe ont détruit fouvent des races
entières d’hommes & d’autres animaux dans
plufieurs pays, &les ont multipliés dans d’autres.
» Pour multiplier uneefpèce, il faut un climat
& un terrein tolérables, & avec ces avantages on
peut encore être réduit à marcher tout nu, à fouf-
frirla faim, à manquer de tout, à périr de mifère.
» Les hommes ne font pas comme les caftors,
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les abeilles, les vers à foie j.ils n’ont pas un inftindt
fûr qui leur procure le néceffaire.
m Sur cent mâles, il s’en trouve à peine un qui
ait du génie } fur cinq cents femelles, à peine une.
*> Ce n’eft qu’avec du génie qu’on invente les
arts qui procurent à la longue un peu de ce bien-
être, unique objet de toute politique.
» Pour effayer ces arts, il faut des fecours, des
mains qui vous aident, des entendemens affez ou»
verts pour vous comprendre, & affez dociles pour
vous obéir. Avant de trouver & d’affembler tout
cela, des milliers de fiècles s’écoulent dans l’ignorance
& dans la barbarie, des milliers de tentatives
avortent} enfin, un art eft ébauché , & il
faut encore des miljieis de fiècles pour le perfectionner.
§. Ier.
P o l i t iq u e du d eh o r s .
99 Quand la métallurgie eft trouvée par une nation
, il eft indubitable qu’elle battra fes-voifins
& en fera des efclaves.
fi Vous avez des flèches & des fabres, & vous
êtes nés dans un climat qui vous a rendus robuftes :
nous fommes foibles, nous n’avons que des maf-
fues & des pierres} vous nous tuez, & fi vous
nous laiffezlavie, c’eft pour labourer vos champs,
bâtir vos maifons : nou$ vous chantons quelques
airs groflîers quand vous vous ennuyez , fi nous
avons de la voix, ou nous foufflons dans quelques
tuyaux pour obtenir de vous des vêtemens & du
pain. Nos femmes & nos filles font-elles jolies ?
vous les prenez pour vous. Monfeigneur votre fils
profite de cette politique établie} il ajoute de
nouvelles découvertes à cet art naiffant} fes fer-
viteurs coupent les tefticules à nos enfans} il les
honore de la garde de fes époufes & de fes maî-
treffes. Telle a .été & telle eft encore la politique,
le grand art de faire fervir les hommes à fon
bien-être, dans la plus grande partie de l'Afie.
| Quelques peuplades ayant ainfi affervi plufieurs
autres peuplades, les vi&orieufes fe battent
avec le fer pour le partage des dépouilles:
chaque petite nation nourrit & foudoie des fol-
dats} pour encourager ces foldats, & pour les
contenir, chacune a fes dieux, fes oracles, fis
prédirions 5 chacune nourrit & foudoie des devins
& des facrificateurs bouchers} ces derniers-commencent
par deviner en faveur des chefs de nar
tion, enfuite ils devinent pour eux - mêmes, &
partagent le gouvernement} le plus fort et le plus
habile fubjugue à la fin les autres, après des fiècles
de carnage qui font frémir, & de friponneries
qui font rire : c’eft là le complément de la politique.
35 Pendant que ces fcènes de brigandages & de
fraudes fe paffent dans une partie du globe, d’autres
peuplades , retirées dans les cavernes des
montagnes ou dans des cantons entourés de marais
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inacceffibles, ou dans quelques petites contrées
habitables, au milieu des déferts de fables ou des
prefqu’îles, ou des îles, fe défendent contre les
tyrans du continent} tous les hommes enfin ayant
les mêmes armes, le fang coule d'un bout du
Monde à l’autre.
» On ne peut pas toujours tuer : on fait la paix
avec fon voifin, jufqu’à ce qu’on fe croie affez fort
pour recommencer la guerre } ceux qui favent
écrire, rédigent ces traités de paix} les chefs de
chaque peuple, pour mieux tromper leurs ennemis,
atteftent les dieux qu’ils fe font faits } on
invente les fermens} l’un vous promet, au nom
de S am m o co d o n y l’autre , au <iom de J u p ite r , de
vivre toujours avec vous en bonne harmonie , &
à la première occafion ils vous égorgent au nom
de J u p ite r 8c de S am m o co d o n .
*> Dans les tems les plus rafinés le lion d’Éfope
fait un traité avec trois animaux fes voifins; il
s’agit de partager une proie en quatre parts égales}
le lion, pour dè bonnes raifonj qu’il déduira en
tems & lieu, prend d’abord trois parts pour lui
feul, & menace d’étrangler quiconque ofera toucher
à la quatrième : c’eft là le fubiime de la politique.
§. II.
P o l i t i q u e d u d ed a n s ,
»» Il s’agit d’avoir dans votre pays le plus de
pouvoir, le plus d’hommes & le plus de plaifirs
que vous pourrez : pour y parvenir, il faut beaucoup
d’argent.
»s Cela eft très-difficile dans une démocratie}
chaque citoyen eft votre rival : une démocratie
ne peut fubfifter que dans un petit coin de terre.
Vous aurez beau être riche par votre commerce
fecret .ou par celui de votre grand’père, votre
fortune vous fera des jaloux & très-peu de créatures.
Si dans une démocratie une maifon riche
gouverne, ce ne fera pas pour long-tems.
»9 Dans une ariftocratie on peut plus aifément
fe procurer honneurs, pouvoir, plaifirs & argent ,
mais il y faut une grande discrétion fi on abufe
trop , les révolutions font à craindre.
99 Ainfi dans la.démocratie , tous les citoyens
font égaux : ce gouvernement eft aujourd’hui rare
& chétif, quoique naturel & fage.
9» Dans l’ariftocratie, l’inégalité, la fupériorité
fe fait fentir } mais moins elle eft arrogante, plus
elle affure fon bien-être.
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feulement il jouit, mais fes parens , fes principaux
ferviteurs jouiffent auffi} & une foule de
mercenaires travaille toute l'année pour eux dans
la vaine efpérance de goûter un jour, dans leurs
chaumières , le repos que leur fultan & leurs bâchas
femblent goûter dans leur ferrail} mais voici
à peu près ce qui arrive.
>9 Un gros & gras cultivateur poffèdoit autrefois
un vafte terrein de champs , prés , vignes,
forêts 5 cent manoeuvres eultivoient pour lui ; il
dînoit avec fa famille , buvoit & s’endormoit :
fes principaux domeftiques , qui le votaient, dî-
noient après lui & mangeoient prefque tout j les
manoeuvres venoient & faifoient maigre chère ;
ils murmurèrent , ils fe plaignirent, ils perdirent
patience} enfin , ils mangèrent le dîner du maître
& le chaffèrent de fa maifon. Le maître dit que
ces coquins-là étoient des enfans rebelles qui
battoient leur père }. les manoeuvres dirent qu’ils
avoient fuivila loi facrée de la Nature ,que l’ autre
avoit violée : on s’en rapporta enfin à un devin
du voifinage , qui paffoit pour un homme infpiré :
ce faint homme prend la métairie pour lui & fait
mourir de faim les domeftiques l’ancien maître,
jufqu’à ce qu’il foit chaffé à fon tour : c’est la politique
du dedans.
90 C'eft ce qu’on a vu plus d’une fois, & quelques
effets de cette politique fubfiftent encore
dans toute leur force. Il faut efpérer que, dans dix
ou douze mille fiècles , quand ies hommes feront
plus éclairés, les grands poffefleurs de terre, devenus
plus politiques, traiteront mieux leurs manoeuvres
& ne fe Jaifferont pas fubjuguer par des
devins & des forciers.
99 Ainfi , tant dans la politique du dehors que
dans celle du dedans, les hommes qui gouvernent,
tendent à être defpores, & ils ne fe fervent
des foldats que pour réduire en efclavage les peuples
vaincus , ou pour opprimer les peuples fur
lefquels ils dominent déjà } ainfi les militaires ne
font prefque partout que les fatellites de la tyrannie.
» *
PONTS MILITAIRES. En cherchant dans le
D ic t io n n a i r e d e l ’A r t m i l ita i r e , qui fait partie de
Y E n c y c lo p éd ie m é tho d iq u e , le mot P O NT MlL ls-
taire , que tout officier inftruit regarde avec
jufte raifon comme l’un des moyens le plus puif-
fant pour faciliter les opérations militaires, comr
bien ne doit-on pas être étonné de ne trouver que
de longs détails fur les ponts & chauffées , & pas
un mot fur le véritable objet dont on auroit di$
s’ occuper ? Obligés de fuppléer à une omiffion
auffi forte, nous allons nous efforcer, en donnant
quelques idées nouvelles fur cet objet important,
de répondre au defîr que doit avoir naturellement
tout officier qui aime fon métier , de pouvoir fe
convaincre que les moyens de perfectionner les-
ponts militaires ne font pas encore tous épuifés-
On connoît plufieurs efpèces de ponts qui tien?-