
fer de fa lance. Ainfi, mal à propos piqué, le duc
livra bataille & fut tué.
Le foir du jour de la bataille d’Yvri, le maréchal
d’Aumont s’étant préfenté au fouper du roi,
ce bon prince fe leva auffitôt, alla au devant de
lui , & le fit affeoir à table avec ces paroles obli
géantes : Il eft bien raifonnable qu’il fôit du fef-
tin , puifqu’il m’a fi bien fervi à mes nocesi
Çe fut pbur avoir été trop fenfible aux propos
qpe l’on tenoit fur fon compte, que le duc de
Joyeufe combattit & fut battu à Coutras.
Un boulet de canon ayant emporté la tête d’un
Suiffe au fiége de Namur, fon camarade, qui étoit.
auprès de lui, fe mit à rire de toute fa force en
difant : Oh ! oh ! cela eft plailant ! il reviendra au
camp fans tête.
PRUDENCE eft l’urage que nous devons faire
de notre intelligence & de l’attention de notre
efprit , pour prévenir le repentir dans chacune des
démarches & des entrepriÈs de la vie.
' Toute prudence étant pour arjivër à une fin,
il faut en chaque affaire fe propofer un but digne
des foinis qu’il faut fe donner pour y arriver.
En fe propofant une fin , il eft important d’examiner
s’il eft en notre pouvoir de l’atteindre : la
témérité, commune parmi les hommes, leur fait
hazarder mille foins, du fuccès defquels ils ne peuvent
raifonnablement fe répondre. On ne doit pas
cependant oublier que les obftacles imprévus, &
qui ne peuvent fe furmonter ^caufent des maux
plus grands que tout l’avantage qu’on avoit en
vue de fe procurer.
Une autre règle de prudence eft d’appliquer à
l ’avenir l’expérience du paffé : rien ne reflëmble
plus à ce qui fe fera, que ce qui s’eft déjà fait.
Quelque nouveauté qu’on apperçoive dans les conjonctures
particulières , les refforrs & les événe-
mens font les mêmes par rapport à la conduite.
Une autre maxime eft d’apporter à ce qu’on fait
toute fon application, en craignant toutefois de
fe tromper } ce qui préviendra l’aveuglement que
pourroit donner une trop grande confiance, & le
déplaifir de voir fa préemption confondue par les
événemens.
Soldats , armes, chevaux, hardielïe, vaillance,
Ne fervent que bien peu fans confeil & prudence.
V e r s d e Jean ChaRRieu, en U4*.
Ce n’ eft pas tout d’être vaillant & hardi , dit
Montluc 5 il faut être fage,.il faut prévenir tout
ce qui peut furvenir, vu qu'aux armes les fautes
font irréparables : la plus légère entraîne fouvent
après foi une très-grande perce.
La prudence eft la première des vertus avant
d’entreprendre j la fécondé , quand on a entrepris.
La bataille d’Azincourt prouve que le courage,
.dépourvu de prudence & de difcipline, fait plus
de mal que de bien.
Vous qui menez des foldats à la guerre, dit
l’auteur du J o u v e n c e l , apprenez qu’après la valeur,
la prudence eft la première vertu d’un capi:ai.se ;
c’eft elle qui, dans le fang-froid, l’ëclaire d’avance
iur tous, les inconvéniens d’une entreprife, pour
iui faire imaginer les remèdes qu’il peut y apporter.
Si cependant il fe préfente dans l’aaion tels,
obftacles qu’il n’avoit pu prévoir , c’eft alors à
l ’ardeur , à la vivacité de fon courage à le tirer
d’affaire. Qu’on ne dife point que la chaleur & le
fang-froid ne vont point enfemble 5 c’ eft improprement
qu’on appelle chaleur cette impétuofité
néceffaire dans les cas imprévus, nés^du îang-
fro:d & de la réflexion : diligence eft fon véritable
nom.
Le général Bonnier difoit fouvent qu’il n’avoit
jamais rien hazardé , ni même formé une entreprife
fans y être obligé par une raifon évidente.
Lors de la mort de Turenne , le duc de Lorges,
qui fervoit dans fon armée, faifant trêve à fa douleur,
eut la prudence de chercher plutôt à fauver
une armée découragée par la perce de fon chef,
q.u’à acquérir de la gloire en livrant témérairement
bataille s & il fit cette retraite admirable qui lui
valut le bâton de maréchal de France en > 676.
Le maréchal de Noailles , écrivant au comte
d’Argenfon, lui mandoit : Mon principe fera toujours
de ne rien faire dont les fuites puiffent donner
lieu de fe repentir, & de difpofer les troupes
de façon que leur pofition foit toujours bonne &
qu’on les puiffe etnployer utilement : ce métier-ci
ne fe fait point par des pointes hazardées en ayant
pour en impofer : une armée doit être autrement
conduite qu’une compagnie franche , & la prudence
doit toujours marcher de pas égal avec le
zèle. Pour moi, j’emploîrai l’un & l’autre autant
qu’il me fera poffiblè , & je defire feulement d’avoir
autant de prudence que de bonne volonté.
PUNITIONS. (Vo y e i P e i n e s , dans ce Su p p lém
en t. )
Pv
^RECOMPENSES. De tous les moyens qui peuvent
maintenir la difcipline parmi les troupes, &
exciter les militaires à faire (le grandes chofes, les
châtimens font ceux qu’il eft effentiel de mettre
Je moins en ufage. Le grand art du légiflateur eft
de fe fervir, pour conduire les défenfeurs de la
patrie, de l’honneur, du patriotifme & des ré-
compenfes : l’efclave combat à regret pour fa pri-
fon & pour fa chaîne ; le citoyen libre & qui
aime fon pays, en marchant pour défendre fa
patrie, y voit partout fa famille & fes foyers,
pour lefquels il va fe facrifier;
Plus les coeurs feront enflammés du defir de la
gloire & de l’amour de la patrie, plus là difcipline
approchera de fa perfedion, & les militaires
dé l’héroifme.
Le motif de l’honneur eft un aiguillon extrêmement
puiffant pour engager les hommes à la pratique
de leur devoir.& aux chofes utiles à l’état}
mais il faut exciter & encourager cet amour de
nous-mêmes lorfqu'il eft dirigé vers la gloire.
Amour des honneurs & de la gloire , attachement
pour la patrie, telle eft la bafé la plus affurée
des vertus guerrières & de la difcipline militaire}
mais fans les châtimens, fans les récompenfes,
on compteroit fans doute inutilement fur ces vertus,
& il faut fe fervir de ces mobiles puiffans
pour s’affurer d’excellens foldats.
§. Ier. ~
A v a n c em e n t .
Nous voyons la fociété fe partager en différentes
claffes de citoyens} dans chacune les hommes font
inégaux entr’eux} mais dans aucune les hommes ne
font plus liés les uns aux autres , ne font plus fournis,
plus dépendans , plus enchaînés à la loi, que
dans celte des défenfeurs de l’état : on peut tirer,
il eft vrai, de cette inégalité même , des moyens
très-puiffans pour récompenfer les militaires : ofez
éftim=r publiquement vos foldats } diftinguez-Ies
félon leur mérite & les grades qu’ils occuperont,
& bientôt vous verrez naître parmi eux cette
émulation fi heureufe d’être mieux dans leur état.
Ii y a, ce femble, un principe générai & fur dans
tous Us gouvernemens } c’eft que chacun fe trouve
bien dans fon état, & que tout citoyën, fous la
prote&ion des lois, s’eftime autant que tout autre.
F émulation d'être mieux dans fon rang n’eft pas
k même que celle d’en fortir} l’une peut tout
animer, l ’autre peut tout confondre.
Mais que fera l’avancement, que feront 4e s
Stades, fi vous ne mettez auparavant la bafe effentielle
de l’eftime pour ces grades, d’abord dans
le militaire, enfuite dans la nation?
On peut rappeler ici le mot d’un foldat qui
fervoit fous le maréchal de Saxe : on lui deman-
doit de quel pays il étoit : J ’ a i l'h o n n e u r d ’être
F r a n ç a is . Nous étions alors heureux & vi&orieux,
& c’étoit pendant l a guerre, où les troupes ont
toujours une plus grande confidération. Dans une
autre circonftance, dans un autre teins, ce même
; homme avili n’auroit pas fait la même réponfe. Il
eft donc plus effentiel qu’on ne l’imagine, que la
nation contribue , par fon eftime pour le foldat,
à entretenir chez lui cette fenfibilité pour l’honneur.
Si au contraire elle le retient dans une ef-
pèce d’aviliffemcnt, il en réfukera qu’au lieu d’un
défenfeur, elle n’aura qu’un efclave toujours dif-
pofé à facrifier fes devoirs à fes intérêts.
Comment en effet faire envifager l ’avancement
comme une récompenfe, fi le corps dans lequel
on fert, fi les membres de ce corps ne font pas
confidérés & refpeétés par le public ? Comment
faire defirer tel ou tel grade, fi la nation n’y a
attaché elle-même aucune diftin&ion, & fi l’on
n’a pas appris aux hommes qui peuvent les mériter
, à les confidérer & à les refpeéler ? Parmi
nos militaires, quel cas fait - on des fous-officiers?.
On les laiffe obfcurs & ignorés, & leurs
places même font devenues fi pénibles & fi défa-
gréables à remplir, que bien peu de foldats fe
foucient de les occuper ; ils préfèrent leurs devoirs,
qu’ ils connoiffent & qui les bornent à eux
: feuls, à la pénible charge de conduire les autres
& d’en répondre. Un foldat eft exaét à remplir fes
devoirs j il eft brave , fage & intelligent. Veut-on
le récompenfer ? on le fait caporal & enfuite fer-
gent. Mais dès-lors fes devoirs deviennent infiniment
plus eff. ntiels} il eft plus expofé à être coupable,
parce qu’il eft chargé de la conduite des
autres, dont on le rend refpon fable ; & il ne femble
être umquement forti de la foule que pour
être plus en butte aux punitions. Peut-on appeler
cela des récompenfes ? Sont-ce là les moyens de
faire defirer d’avancer en grade? On auroit bien
de la peine à le perfuader , & l’expérience prou-
veroit ie contraire. Combien il Croit néceffaire
de prendre une routé différente pour tirer un parti
avantageux des grades militaires & faire defirer
d’y monter ! Combien d’égards, d’attentions il
faudroit avoir pour le foldat qui vient d’être
avancé ! Combien il feroit important de le pénétrer
de refpeèt pour lui-même, & d’en pénétrer
les autres ! Les marques, de fon grade devroient
lui mériter, dans le public, de la confidération &
de l’eftime en proportion de la récompenfe qui