
2 4 A M O
paflîon des femmes , des meilleur-s remèdes contre
le goût du vin , l’amour du jeu , les emporte-
mens de la colère , t ’ eft , fans doute , l’ image
des maux que ces pallions traînent après elles :
c ’eft ainlî qu’ un favant chimifte extrait des plantes
les plus malfaifantes & des animaux les plus
venimeux des remèdes falutaires & même des
contre-poifons allurés.
§. I I.
De /’amour-propre.
L ’amour-propre eft un fentiment qui nous inf-
pire une très-haute opinion de nous-même, qui
fait que nous nous préférons aux autres hommes
î ou ce qui eft plus vrai , qui fait que nous
cherchons à leur perfuader que nous méritons
cette préférence.
Nous venons de voir dans le paragraphe premier
de cet article , que des hommes ralfemblés
en corps d’armée , qui feroient dénués de toute
paflîon n’agiroient avec vigueur que lorfqu’on
voudroit leur enlever leur fublïftance , ou leur
râvir leur vie j nous avons vu aulïi que les parlions
factices peuvent feules aujourd’hui transformer
des hommes en héros guerriers. Examinons
à préfent lî Y amour - propre qui doit être
compté parmi les pallions faélices, parce qu’il
doit fa naiffance à l’état focial , peut être employé
comme un reffort militaire 3 & quel eft le
degré d’ énergie dont il jouit.
, Quelques écrivains féduits par les effets heureux
que produit Y amour - propre 3 l’ont regardé
comme le feul 3 ou au moins comme le meilleur
moyen que les adminiftrateurs militaires puilfent
employer } & en conféquence ils ont recommandé
aux légiflateurs d’en faire conftamment ufage
avec tous les guerriers. D ’autres , frappés par les
maux que produit la yanité , ont vqulu qu’on
bannît Y amour-propre. D ’autres enfin ont prétendu
que les adminiftrateurs n’ont pas befoîn de s ’occuper
de X amour - propre , parce qu’ils travaille-
roient vainement pour en donner à certaines claf-
fês d£ l’état militaire , & parce que ce fentiment
eft trop naturel aux autres claffes pour avoir
befoin d’être excité.
Examinons avec foin ces différentes opinions-,
& pefons-lps avec une exaéte impartialité.
Un amour-propre exeeflif, allumé- dans le coeur
d’ un général , peut devenir très-fu nelle 5,il peut
lui faifant concevoir des ennemis, & de leur
chef une opinion défavorable , le rendre imprudent
ou négligent} il peut, lui infpirant une
vaine prefomptien en fes propres lumières, le
rendre fourd aux avis fages qu’on lui donne}
il peut lui faire former des entreprifes au-deffus
de fes forces, dans l’efpoij: d'effacer la gloire de
A M O
tel ou tel autre général} l’empêcher de difcon-
tinuer une- entreprife dont la prudence veut
qu’on fe défifte } lui faire abandonner ce qui eft
utile pour ce qui eft glorieux,} il peut enfin
fafciner fes yeux de mille manières différentes ,
& toujours dangereufes. Un gouvernement fage
doit donc s’occuper à réprimer 1*amour - propre
des hommes qui compofent la première claffe
de fon militaire. Il doit chercher auflî à réprimer
celui des officiers généraux, & de tous les
guerriers qui commandent en chef un corps un
peu confidérable , car l’hiftoire prouve que ce
fentiment peut faire de grands ravages dans une
armée, quand il règne avec trop d’empire fur’
tous les hommes élevés en dignité } mais en eft-il
de même des claffes inférieures du militaire, de
celles qui font deftinées à conftamment obéir î
Non fans doute , avec quelque force que Y amour--
propre ait régné fur ces claffes inférieures 3 if n’a
jamais produit des effets funeftes, il eft même
moralement impoffible qu’il en produife de fem-
blables. Loin de chercher à .'réprimer Y amour-
propre du foldat, nous devons donc nous occu-^
per à l’exciter, s’il eft toutefois poffible de faire
naître ce fentiment dans leur coeur} car on a
prétendu que le foldat eft incapableà'amour-'
propre ; que femblable aux êtres les moins intel-'
ligens , il eft comme eux dénué de toute fenfibi-
lité morale , & comme eux réduit à un inftinét
borné : que la crainte des peines phyfîques eft le
feul reffort propre à le mouvoir, la feule force
capable de le contenir , en un mot que la crainte
,des punitions fuffit pour lui donner toutes les
vertus, toutes les qualités qu’il doit avoir. Nous
ne montrerons point l’opinion qu’ un pareil fyf-
tême nous a fait concevoir de ceux qui l ’ont ou
enfanté, ou adopté} nous ne chercherons point
à faire tomber fur les hommes qui en font les
auteurs ou les partifans , le ridicule , & peut-être
le mépris qu’ils ont mérité : perfonne n’a cru
devoir réfuter un raifonnement à-peu-près du
même genre, fait par le plus infenfé des empereurs
romains } pouffant même la déférence
plus loin, nous conviendrons qu’il peut exifter
des nations dont les foldats doivent être toujours
conduits par la crainte des peines } qu’il
peut être néceffaire de tenir dans une grande
abjeélion les défenfeurs de tel ou tel peuple 5
qu’il peut exifter des hommes , dans le coeuç
defquels on chercheroit envain à introduire
Yamour-propre ; mais nous ofons affirmer qu’il
eft néceffaire , qu’il eft même indifpenfable d’allumer
, d’entretenir ce fentiment dans le coeur
du foldat françois , parce qu’il eft infiniment ‘
difficile ou même impoffible de le remplacer.
L ‘amour de L’or ne peut en effet remplacer Y amour-
propre , il feroit auffi funefte de le faire naître ,
que difficile de le fatisfairp. Voye1 Récompenses
pécuniairjES. L'amour de La patrie pourra
dans quelque tems tenir lieu aux François à’amour*
propre ,
A M O
propre , & de toutes les autres' paffiohs} maïs ce
fentiment n’a acquis ni affez de force , ni affez
d’étendue pour nous en repofer uniquement, fur
' lui. Vàye^ P a t r ie & P a t r io t ism e . Les rayons
de gloire qui tombent, fur le foldat font trop
foibles pour l’échauffer vivement. Vvye£ G lo ir e .
Quant aux diftin&ions flatteufes , aux récompen-
fes honorables , celles qui lui font deftinées ne font
point affez brillantes pour l ’aveugler, ni même
pour 'l’éblouir. Voyei Récompenses h o n o r a bles.
Puifqu’il ne nous relie que Yamourpropre, car
l’ honneur en dérive 5 hâtons-nous, pour donner à
fios foldats cette bravoure & ce courage, que
nous fommes fi intéreffés à produire & à entretenir
dans leurs âmes , hâtons-nous de leur faire
concevoir d’eux-mêmes une opinion très-fa voip
table } ainlî nous doublerons leur volonté & leurs
forces. Celui-là eft prefque toujours vainqueur,
qui fe croit digne & affuré de la viétoire. On ne
fent point affez combien l’idée d’ une grande fu-
périorité influe fur les fuccès. Elevons, agran-
diffons l’ame du foldat , en lui témoignant de
ï’ eftime, de la confidération } il n'eft rien que
les hommes ne faffent pour répondre à l’opinion
qu’on paroît avoir conçue d’eux. L'amour-propre
eft d’ailleurs la paflîon à laquelle ils tiennent Je
plus vivement, & qu’ ils font le plus empreffés
à fatisfaire } elle a cela de particulier qu’elle
.eft uniforme & confiante , tandis.que toutes les
autres n’agiffent que par accès.’ Dès que nous
aurons allumé cette paflîon nous pourrons attendre
fans crainte que le patriotisme ait acquis
l’ énergie qu’il aura bientôt, fi la révolution commencée
parmi nous s’opère heureufement, & fi
les adminiftrateurs militaires ont affez de génie
v & de patrictifme pour donner à notre armée une
iÇonftitution 3 qui loin d’ affoiblir l’arnour de la
patrie contribue à l’exciter & à lui donner des
forces.
L'amour-propre ne fût-il point capable de pro^
duire , pendant la guerre , les effets que nous
lui fuppofons , en ne devroit pas moins l’adopter
pour la paix. Pourquoi les foldats des troupes
d’élite fe diftinguent ils du commun des foldats,
par une conduite régulière .& des fentimens
élevés ? C ’eft qu’on a pris la précaution de leur
donner une certaine énergie , d’agrandir leurs
ames 'j c’e ft , en un m o t , parce qu’on leur a
infpiré dé Y amour-propre, lnfpirons le même fentiment
au refte de l’armée frariçoife 5 faiforis-Ieur
concevoir un grand refpeét pour la dignité du
nom de foldat, & bientôt ils fuiront non-feulement
les yiees bas & honteux, mais même
ceux dont il s ne rougiffent point aujourd’hui.
Toutes les fois qu on avilit les hommes à leurs
propres yeux , ôn perd un des grands moyens
demies conduire, & on les voit chercher à fé
dédommagerg par le vice , de l’eftime qu’on leur
rerufe. S B « donc aux foldats l’idée humiliante
Art malit. Suppl. Tome IV ,
A M O ,5
qu’ ik ont d’eux mêmes, & nous en ferons d’autres
hommes. Excitons le même fentiment parmi nos. bas-officiers’} ils ne font bons que îorfqu’ils ont.
Y amour-propre de l’ être. Excitons-le enfin parmi
les jeunes officiers , mais prenons le foin de le'
bien diriger : enfeignons leur de bonne heure'
qu’ils doivent mettre \twtr amour - propre à jouet
un grand rôle fur la fcène du.monde } à excel-'
1er, à primer dans tous les emplois qu’on leur
confie} àfefaire diftinguer parleursconnoiffances*
par une conduite régulière & des fervices éclatans;
à. mériter l’eftime générale & les récômpenfes fiat-’
teufes qui la fuivent. Tel eft en effet Y amour-propre
qui convient à des officiers françois} fi nous parvenons
à leur infpirer cette efpèce à!amour-propre nous
pourrons nous flatter d’avoir une armée capable
des plus grandes choies pendant la guerre , très-
digne de fervir de modèle, aux citoyens pendant
la paix , & très-aifée à conduire dans tous les
rems.
§ . I I L
De L'amour des foldats.
Nous avons omis de parler dans l’article G én
é r a l des avantages que les chefs des armées
retirent de Y amour des foldats.^ Nous n’avons
point parlé non plus des moyens quë les généraux
doivent employer pour fe concilier ce fentiment
précieux : hâtons-nous de réparer cette
double omiffion : le général qui ne compte pas
fur Y amour de fes foldats n’ofe point former d’en- treprifesMifficiles 5 & celui qui ' ne l’a pas obtenu
ne peut efpérer de voir fes projets, les
plus fages, couronnés par un fuccès heureux.
> C e ne fera ni en expofant nos propres réflexions,
ni en tranferivant ce - qu’ont penfé les
écrivains didaéliques les plus éftjmables , que
nous prouverons aux généraux combien il leut
importe de s’être acquis l’amourde sfoldats ;
mais en raffemblant quelques faits épars dans
l ’hiftoire. L ’hiftoire eft le véritable inftituteut
des chefs des armées, & peut-être même le feul
qui mérite toute leur confiance.
L ’hiftoire ancienne préfente aux généraux beaucoup
d’exemples des effets heureux de Y amour
des foldats ; nous ne puiferons cependant point
^ans cette fource fi abondante. Le goût que les
hommes ont pour le merveilleux peut avoir défiguré
les faits } des exemples pris dans des tems
fi éloignés du nôtre feroient peu d’impreflion 5
& la différence qui exifte entre notre gouvernement
, nos moeurs & celles des Grecs, des Romains
& des autres peuples de l’antiquité enlève-
roit, fans doute , une partie de leur poids aux
évènemens que nous retracerions. Laiffant donc
Pyrrhus , qu’Annibal mettoit au rang du fécond
général, parce qu’ il poffédoit le talent le plus
néceffaire aux généraux, celui de fe faire aimes
O;