
jugement quelconque , peut s’expatrier ou même
leulement s eloigner de la commune dans laquelle
ûn a rendu le jugement. Les grandes communes,
la capitale , lui offriront un afyle afluré, & s’ il eft
d ailleurs bien élevé , & avec l’apparence de la
probité, furtout encore s’il a de la fortune & de
1 amabilité, il fera reçu partout avec empreffe-
mentj fi au contraire c’eft un artifan, que lui importera
le jugement d’un confeil de guerre qui
1 aura déclaré infâme > il n’en trouvera pas moins
partout a faire des fouliers, des ferrures ou des
portes, femblable a ce cocher de place, qui, con»
^aniL ® a ®tre klâmé par le parlement, fe moqua
du b ame de la cour, après s’être affurê que ce
blâme ne l’empêcheroit pas de conduire fon fiacre
: on a vu autrefois des foldats paffer par les
verges pour obtenir leur liberté. Qu'auroit pu
fur 1 efprit de ces mêmes hommes un mal d’opinion
? r
Il eft donc important d’être infiniment fobre
fur 1 emploi des punitions qui tirent leurs forces
de 1 opinion : on pourroit au plus les réferver aux
hommes qui font cas de l’eftime de leurs concitoyens,
& le nombre en feroit bien petit, car on
trouveroit rarement des lâches parmi de pareils
hommes.
,A ? n ? oit ISIS obferver que l’homme qui par fa
la ch te auroit encouru l’infamie, peut néanmoins
etre un bon père, un bon mari, un bon fi s , un
bon citoyen même, un excellent artifte, artifan
ou agriculteur, & l'on ne conçoit pas comment
les anciens pouyoient porter la peine d’infamie
contre les lâches, quand tout foldat devoit être
Citoyen,.& qu’il pouvoit fe trouver des'foldats
fans bravoure & qui ne fuffent pas coupables. Le
meme cas pourroit fe rencontrer dans vos troupes
qui actuellement fervent tontes en vertu de la loi ’
& prefque jamais de bonne vole nté. Comment
oferiez-vous me punir de manquer de bravoure,
pourroit dire le réqu fitionnaire ou le confcript
vous qui m’avez fait marcher malgré moi, fans me
ponfu!t..r? & affez fouvent fans avoir trouvé en
moi aucun des caraéberes qui doivent ■ conliituer
un foldat ? D’après ces obfervations , on pourroit
donc fe permettre la peine de l’ infamie, feulement
contre les officiers ou contre les foldats qui fe fe-
roient engagés volontairement, & beaucoup mieux
encore peut-être contre les traîtres & les voleurs,
leurs fautes étant l’effet de leur volonté;
mais vis-à-vis des hommes d’une claffe inférieure,
la peine dç 1 infamie devroit être accompagnée
d une peine phyfique, qui fût capable d’intimider I
les hommes foibjes ou vicieux, & de les décider a ne pas s’y expofer.
INGENIEUR. Nous allons nous fervir ic i, en
très-grande partie , des idées d’un officier-général
, auquel on ne tardera pas fans doute à ren^
dre toute la juftice qu’il mérite, fes antagoffiftes
h ayant plus a craindre fes obfervations , fa perfpîcacité
8c fes lumières, depuis que le tombeau
renfeime les rtftes d’un homme de génie trop
long-tems perfécuté dans fa patrie, tandis que les
etrangers recherchoient fes ouvrages, applaudif-
fo.ent à fes découvertes & s’empreffoiênt d’en
profiter.
On a prétendu depuis long-tems, que les ingénieurs
en France étoient les jéfuites du militaire: 1 intrigue^ a perdu ces derniers. Les ingénieurs,
remplis d ’une égale confiance dans leur afeendant^
en abufent, on pourroit le dire, avec une extrême
indiferétion; ils perfiftent à fe maintenir dans des
principes, d ou il ne réfulte que des dépenfes considérables
& de mauvaifes places : erreurs foute-
nues par la profondeur des connoiftances qu’ on
attribue mal à propos à tous les membres de ce
corps ; ils s’oppofent avec hardieffe à tout ce qui
pourroit être exécuté de meilleur ; mais un jour
viendra où la. vérité percera enfin , & cette époque
fera celle de la chute de ce corps. Dès que
ces officiers s ’en tiennent au tracé ballioné, dont
les proportions font généralement connues, que
faut-il dans chaque place? Un architecte pour diriger
, & un entrepreneur pour conitruire. Vou-
droit on s’alïurer d’une parfaite exécution? qu’on
la confie aux ingénieurs des ponts & chauffées ; ils
ont fait leurs preuves dans les ouvrages les plus
difficiles.
Mais a quoi s occupent tant d’officiers élevés
en grades ? Ils n’ont d’autres fonctions que celles
de fe promener fur les travaux, de toifer les ma-
çoneres exécutées, les déblais & les remblais
E':.rre > ^ c* tout6s fonctions qui peuvent être
parfaitement remplies fans être chef de brigade
ou général dt brigade, & dont un fimple piqueur
d ouvriers s’acquittera parfaitement. Un ingénieur
n eft officier qu autant qu’il remplit des fonctions
relatives a la gue-.re : o r , pour remplir ces fonctions
comme ingénieur, il faut donner des moyens
d aflurt r les fuccès dans la défenfe comme dans
l attaque, & fi ces prétendus officiers ne donnent
aucun moyen nouveau & n’en pratiquent que de
très - infuffitans, on n’ a plus befoin d’eux. C ’eft
pourtant de cette feule façon qu’on doit confî-
derer des etres paffifs qui ne produifent rien; en*
core s’ ils avoient voulu s’occuper à reculer les
bornes de l’art de manière à créer fuoceffivement
d autres nouveautés de plus en plus utiles, on fe
feroit convaincu que de telles fonctions ne peuvent
être remplies que par des perfonnes douées
du genie néceffaire pour les produire, n’ayant pas
droit de les attendre d’ un maçon ou d’un ouvrier
mécanique, qui ne peut ou ne veut rien inventer.
Les officiers du génie ont rempli d’importantes
fonctions dans l’attaque des places, & toujours
avec beaucoup de valeur. Les fapes qu’ils ont dirigées,
les ont expofés à un péril imminent, mais
les Tapeurs doivent être du corps de l’artillerie*
1 C ’ eft donc une fingularité très-grande, que ce ne
foit pas les officiers d’artillerie qui commandent
les foldats qui font habitués à être fous léurs ordres
8c l ° n ne peut douter qu’ils ne fuffent encore
mieux conduits par leurs propres officiers, que
par des étrangers qu’ils ne connoiffent pas, &
dont ils ne font pas connus. L’ inftruCtion des o f ficiers
d’artillerie eft au moins égale à celle des
officiers du génie ; ils font donc égaux dans les
qualités néceffaires pour remplir de pareilles fonctions
; bravoure & inftruCtion j ainfi l’on ne peut
douter que, dans l’attaque des places, ils ne remplacent
très-dignement les ingénieurs.
Cette affertion paroîtra exagérée peut-être à
quiconque aura lu le difeours de l ’ingénieur Bu- reaux-de-Pufy fur lé eprps du génie, imprimé en
179° j par ordre de l'affemblée nationale ; ils croiront
difficilement qu’ il puiffe exifter un autre corps
rempli d’ autant de connoiftances. _
L'objet de Bureaux-de-Pufy étoit d’obtenir que
les corps de fapeurs, dé mineurs, des états-majors des
armées , des ingénieurs de la marine , des ingénieurs
géographes 8t de ceux des afaires étrangères fuffent
fupprimés, & toutes leurs différentes fondions attribuées
au corps du génie.
Un ingénieur, dit l’orateur, n’eft reçu à Mé-
zières qu'après un examen rigoureux fur l’arithmétique,
l’algèbre, la géométrie, le calcul infi-
nitéfimal, la mécanique, l’hydraulique & le deffin.
Ces études ne font encore que la cle f de celles
auxquelles il doit fe livrer pendant fon féjour à
le co le ; il y apprend la ftéréotomie, la coupe des
pierres ( i ) , la charpente, l’archite&ure civile, la
théorie des ombres, la perfpeftive, l’art de lever
des plans , des cartes, de faire des reconnoilfan-
ces, le nivélement, l’architeèture militaire, c’eft-
à-dire, l’art de projeter, de tracer, d’eftimer, de
conftruire 8c de toifer les ouvrages de fortification ;
enfin, les procédés de l’attaque 8c de la défenfe
des places.
On fe courbe avec refpeft devant cette pom-
peufe colle&ion de fciences & d'arts, 8c l’on a
peine à concevoir comment un feul homme, en
quatre ou cinq ans, a pu s’approprier une théorie
auffi compliquée. L’étonnement redouble lorfque
l’orateur ajoute que l’ inftruétion fur ces diverfes
parties eft pouffée jufqu’ à la connoiffance,& même
à l’application des moindres détails ; qu'il eft im-
poffible de traiter les plus importans de ces objets
fans y mêler des leçons étendues fur la théorie des
mines, fur les retranchemens des portes 8c des
camps à la guerre, fur les fciences des mouve-
mens & des grandes pofitions des armées ; enfin,
que des cours de phyfique 8c de chimie forment le
complément de cette éducation encyclopédique.
Tel étoit Léibnitz lorfque, comme le dit Fon-
tenelle, il menoit toutes les fciences de front, & (i)
(i) L’ingénieur Bureaux-de-Pufy auroit dû favoir
que la ftéréotomie eft la fcience qui traite de la coupe
folides, & conféquemment des pierres.
Art Militaire. Suppl. Tome
nous avons habituellement en France, grâces au
corps du génie, trois ou quatre cents Léibnitz qui
gémijfent de végéter dans les détails bornés 6* monotones
de Ventretien des fortifications y et. comme le feul
moyen d’exceller dans un art, c’eft d’en épuifer toutes
les combinaifons, ils afpirent avec juftice, non
pas a conftruire, a défendre ou a attaquer des places de
guerre , ainfi que le comporte leur inftitution (devenue
inutile d’après la manière dor.t la confidère
l’orateur ) , mais à exercer exdufivement tous les
états qui ont pour bafe ou pour fil dire&eur quelque
notion mathématique ou quelques élémens de
phyfique (ainfi ils ne veulent plus être ingénieurs,
les mathématiques 8c la phyfique ne pouvant leur
fervir a rien pour cette fcience des places).
Selon l’orateur, l’algèbre, la géométrie, le calcul
infinitéfimal enfeignés à Mézières ( ou plutôt
qu’il faut favoir en y entrant, ce qui n’ eft pas
v ra i) , ne font que la clef des fciences auxquelles
l’apprenti ingénieur doit fe livrer à Mézières.
Ainfi ce qu’il y a de plus fublime, de plus tranf-
cendant dans ces connoiftances, n'eft que I’ a b c
de celles néceffaires pour devenir ingénieur, c’eft-
à-dire, être capable de tracer des fronts baftio-
nés, & faire conftruire des murailles de dix à douze
pieds d’épaiffeur, tels que font les revêtemens de
toutes les terraffes de nos jardins, parfaitement
conftruites par des maçons qui n’ont aucune idée
du calcul infinitéfimal.
L’orateur veut épuifer toutes les combinaifons
de l ’a rt, galimathias inintelligible, afin de pouvoir
comprendre dans les combinaifons enfeîgnées
i à Mézières, la faïence des moiivemens & des difpo-
fitions des armées , d'où fuivroit la fuppreffion des
états-majors pour en charger le corps du génie.
Cependant, félon cet ingénieur, ne faifant que
végéter dans les fonctions de l’entretien des fortifications,
toutes leurs connoiftances deviennent
inutiles à des ingénieurs , & d’autres moins favans
qu’eux peuvent les remplir parfaitement. L’état ne
doit donc plus tenir dans fes places pour y végéter,
huit ou dix ingénieurs qui fe trouvent réunis dans
chacune, tandis que les ingénieurs des ponts 8c
chauffées pourroient être chargés de l’entretien
de toutes les place§.
Nous avons vu combien les ingénieurs étoient
déplacés dans l’ attaque des places & à la tête des
fapeurs, où il faudroit préférer des officiers d’ artillerie.
Quant à la défenfe desplaces, on ne peut nier
qu’ils ne foient d’une bien moindre importance
que les officiers d’artillerie, furtout encore fi l’on
adoptoit les principes de l’art défenfif, où l’artillerie
joue un fi grand rôle.
Par quel moyen donc ce corps s’e ft- il élevé fi
haut, que les miniftresmême craignent de l’indif-
pofer ?
On verra qu’avant l’ordonnance du *i décembre
1776, les ingénieurs de France, depuis leur J origine, n’avoient été connus que fous les défigna*
Vvvv