de hautes entreprifes,. & l’enflamma tellement
de l’amour de la gloire, qu’il ne pou voit dormir
jufqu’à ce que le voyage d’Italie fût réfolu.
En lifant les mémoires de~Fleuranges, on fe
convainc que Y éducation de François Ier fut la
principale canfe de fon amour pour la guerre.
J’oferbis affirmer que ce gros garçon n’-étoit pas
né pour tout gâter par l’amour pour la guerre.
« Comment , difent les Mémoires que nous venons
de citer , M. d’Angoulefme & le jeune
adventureux , & tout plain de jeunes gentilshommes
paffoient le temps à tirer de l’arc,
vous affurant que c’étoit l’un des plus gentils
archers, & des plus forts que l’on n’a point
vu de fon temps? comment mondit fleur d’Angoulefme
& le jeune adventureux tiroient de la
ferpentine avec de petites flèches après un blanc
en une porte, pour- voir qui tireroit le plus
près ? comment mondit fleur d’Angoulefme &
le jeune adventureux faifoient de petits châteaux
ot baftillons, & affailloient l’un l’autre
tellement qu’il y en âvoit fouvent de bien
battus, frottés, & étoit en cè temps le jeune
adventureux l’homme de la plus grande jeuneffe
que jamais fe viffe -, comment mondit
fleur d’Àngoulefme & le jeune adventureux',
& autres jeunes gentilshommes faifoient des baftillons
, & les affailloiént tous armés pour les
prendre & défendre a coups d’épée | & entre
autres y en eut un auprès, du jeu de paulme
à Amboife, là où M. de Vendofme, qui étoit
venu voir M. d’Angoulefme, cuida être affolé,
& tout plain d’autres ». Page 7 & 8.
« Comment après que mondit Sieur d’Angoulefme
& le jeune adventureux , & autres gentilshommes
devinrent un peu plus grands, commencèrent
eulx armer, & faire joutes & tournois
de toutes *les fortes qu’on le pouvoit ad-
vifer, & ne fut qu’à joùter au vent, à la telle
defleinglée ou à la nappe, 8c crois que jamais
prince n’eut plus du paffe-temps qu’avoit mondit
Sieur j & être mieux endoélriné , que Madame
fa mère l’a toujours nourri ». Page 9.
Si à ces preuves , qui me paroiffent incontef-
tables , on me demandoit d’en ajouter quelques
autres, je citerais les trois princes modernes
qui ont le plus aimé, la guerre : Louis XIV,
Charles XII , Frédéric II, 8ç je montrerois que
leur humeur belliqueufe a été le produit de leur
éducation ; mais comme il me paroît démontré,
même fans le fecours de ces nouveaux faits,
que la bravoure s’acquiert & que l’humeur bel-
liquèufe fe jlonne, je paffe aux moyens que
j’emploirois pour .produire ce double effet.
Comme les premières i-mpréffions font les plus
durables parce qu’elles font les plus profondes,
les joujous de mon -éleve feront des armes,
fes magots des foldats, fes Habits un uniforme,
l'es jeux des -exercices militaires. Lès livres qu’il
lira auront tous, avec l ’art de la guerre, une
relation plus ou moins direéte; les peintures &.
les gravures qu’ il obfervera lui offriront des
héros guerriers , & les bas-reliefs des fymboles
militaires ; il couchera fur un lit de camp &
pour alcôve il aura une tente. Ces moyens font
petits, je le fais , je les donne pour tels, mais
ils n’en - produiront pas moins de grands effets.
Peut-ê.tre n’a - 1 - i l fallu que l’ une de ces cir-
conftances pour tourner vers l'art de la guerre,
le génie de nos généraux les plus illuftres*
Mais ce qui produira certainement un effet plus
grand & plus' certain , c’eft l’extrême attention
que j’ apporterai à ce que. fon oreille ne foit jamais
frappée d’aucun de ces contes puérils
dont trop fouvent on berce l’enfançë & la jeuneffe
; de ces hiftoriettes qui fuppofent l’exif-
tence de quelques êtres chimériques , ou qui
donnent à des êtres réels des facultés qu’ ils
n’ont ,point. On ne fait point affez combien
il efl dangereux de faire éprouver aux enfans
le fentiment de la terreur. Si la crainte s’eft
une fois' emparée de leur imagination , ces
impreflions fe gravent fi profondément dans
leurs organes encore tendres, qu’ il efl prefque
impoffible de les effacer -, la timidité de beaucoup
d’ hommes faits n’efl fouvent qu’ une habitude
machinale contraâée dans l’enfance de la
jeuneffe. Ne lui préfentons que le plus rarement
qu’ il nous fera pofflble l’image des dangers
réels, & jamais celui des dangers imaginaires.
Eloignons tout ce qui peut iofpirer de
fauffes craintes ; celles - là font impoflibles a
calmer.
Je veillerai auffi avec un foin égal à ce qu’on
ne donne point»* à mon élève des idées populaires
fur la mort. Tout homme qui la craint
n’efl point brave, conftamment brave. Je reculerai
donc, en conféquence de cette vérité ,
l’explication phyfique de la mort , & lorfque
je ferai forcé de la lui faire connoître , je
l*a lui montrerai comme un terme inévitable *,
je .lui prouverai que l’inflant de fon arrivée efl
marqué dans le livre des deflinées -, que le
lâche qui la fuit ne peut l’éloigner, & que le
brave qui va à fa rencontre ne peut la hâter.
Ce feroit ici le moment où un inflituteur a
qui il feroit permis de créer à fon gré un fiyfi-
tême religieux tireroit de la fuperflition un parti
bien utile. Combien les anciens n’avoient - ils
pas à cet égard d’avantages fur nous ', combien
même les Mutulmans ne font - ils point plus
favorablement placés : on s’étonne de leurs fuccès,
& moi de ce qu’ ils né font point les maîtres
de la terre : comme je pourrai cependant,
lorfque je parlerai de:l’Être Suprême, me fervir
de quelques exprefflons employées dans nos livres
faints, comme je pourrai le nommer le Dieu
fort y le Dieu des combats ; comme je pourrai
dire que l’Etre Suprême doit tenir un grand
compte de notre dévouement à la patrie , la
Teligion ne laiffèra point de me fournir de grands
fecours. Ce fera néanmoins fur l’opinion des
hommes que je me , confierai le plus. Peut-
être fi j’élevois un efclave, peut-être fl j’élevois un
citoyen paiflble, je cherche roi s , pour fon bonheur
, à affaiblir la force de ce levier -, mais
avec un homme libre , mais avec un militaire je
ferai tout pour le fortifier. Cette différence efl
grande, mais elle efl; néceffaire. Je lui donnerai donc
une vénération extrême pour l’opinion publique;
être eftimé de tous , ce fera là l’ objet de fes
plus ardens défirs -, cette eftimé fera pour lui
les trophées de Milciade , la gloire de Calil-
•trate. Je me garderai bien de lui Iaiffer entrevoir
qu’il exifte des hommes foibles ou poltrons
4 il craindrait moins d’être pufillanim©
ou lâche : il ne verra dans tous l'es citoyens
que des hommes prêts à facrifier leur vie à leur
patrie, à leurs devoirs. Cette illufio® efl néceffaire
à tous les âges , à tous les fexes ; elle
fait, je1 le fais bien, quelques dupes, mais la
fociété y gagne & e’efl là l’effentiei. Qu’ils font
înconféquens les hommes qui prétendent infpirer
l ’horreur du vice & le montrent par-tout! ils.
ne favent point qu’il y auroit bien peu d’hommes
lâches & de femmes foibles fl l’on difoit qu’il
n’en exiffe point, t
Quoique je fois réfolu à ne point Iaiffer croire
-à mon élève qu’il efl des hommes lâches, je
m’en peindrai pas moins la lâcheté, mais elle
aura toujours les traits lés plus hideux ,• les
couleurs les plus noires; cette peinturé me fer-
vira encore à lui perfiiadër que les honnêtes gens
ne font jamais lâches.
Comme- je «’oublierai point que j’élève un
jeune homme qui doit être au deffus de la
crainte des fatigues .& de. la douleur, je ne
lai (ferai jamais prendre au foin de fa conyerfa-
■ tion de l’afeendant fur l’accompliflement de fes
devoirs. Quelque heure qu’il foit, quel temps
qu’il faffe , qu’il foit malade ou bien portant,
nous obéirons toutes les fois que le devoir,
que la règle commandera. C’eft en accoutumant
de bonne heure les enfans à cette foumiffion
qu’on en fait des hommes toujours prêts à obéir
aux lois. Je^ ne- puis trop recommander'aux .pères
de furmonter à cet égard le craintif empreffe- .
ment, l’inquiétude ridicule des mères;-elle efl
faite pour' donner aux' enfans de la fifiblëffe
de la pufillanimité. Celui-là «voit bien raifon
qui difoit les enfans ne deviendront jamais des
hommes fi leurs mères refient femmes. Pou'r
habituer mon élève à méprifer la douleur, ,je
ne le ferai cependant point fouffrir fans nécel-,
flté; il faut que je ne me fois - point élevé à
la hauteur de Lycurgue puifque cette partie de
Art, Milit. Suppl, Tome iPV
fon inflitutîon m’a paru toujours inutile, barbare^
abfurde. La force, la vertu ne confifle
point à braver la douleur qu’on peut éviter, mais
à fupporter avec patience une douleur inévitable,
8c à n’être point arrêté par la crainte de cette
douleur. C’eft moins un Stoïcien qu’on doit
former, qu’un homme dont les fentimens fiaient
ftoïques.
On imagine bien encore que voulant rendre
mon élève impaffible à la douleur & à toute
efipècei de crainte phyfique ou fervile , je bannirai
loin de lui tout châtiment corporel; ils
font dangereux-comme coups, & plus dangereux
comme, peines. Coin rue .coups, ils peuvent nuire
à la fan té ; comme peines, ils infpirent la timidité
, ils font regarder la douleur comme le
mal fiuprême , & par confisquent ils '’abaiffent
l’âme, énervent le courage. Le choix des récompenfes
ne fera pas fait avec moins de foin:
des récompenfes, mal choifies donnent aux ,en-
fans beaucoup d’idées fauffes; elles les accoutument
à attacher un très-haut prix à des objets
dont ils devraient faire très-peu de cas,
ou qu’ils devraient dédaigner. Je puiferai donc
mes récompenfes dans l’opinion & l’eftime des
hommes, & dans la jouiffance des objets qu’il
devra toute fia vie regarder comme, de vrais
biens.
Une obférvation qu’on n’a point faite affez
fouvent, ou qu’on n’a point affez développée,
efl cellé qui nous apprend que le'gouvernement
fous lequel les hommes doivent vivre doit
influer fur leur éducation. ~C^efl rendre un fier-
vice , un très - grand Jervice au fujet d’un defi-
pote, & à l’homme qui doit végéter, fous le
régime oppreflif )de l ’ariflccratie féodale, que de
le rendre de bonne heure efclave de la volonté
arbitraire des'-autres hommes. Le fentiment de
la liberté s’affoiblit peu à peu , & un ferf n’efl
abfolumènt heureux que lorfiqu’il efl abfioiument
éteint. ' Si vous élevez donc un enfant dévoué
au delpotilme , faites - en de bonne heure un
efclave ; obfervez cette antique maxime qui dit
qu’on doit dès l’enfance plier la volonté de lai
jeuneffe à la volonté-des aimes hommes, affur
jettir leur humeur au caprice , à la ftupide autorité
de tout ce qui l’entoure; que l’on doit
en un mot réprimer tous fies défirs, même les
plus innocens ; contrarier fies volontés, même
les plus licites. Quant à moi qui élève un homme
libre, & qui n’en veux point élever d’autre,
je tiendrai une marche différente. Je ménagerai
avec un (gin extrême le précieux inftinéi de la
liberté; je chercherai avec une attention inquiète
à reconnaître les bornes de mon autorité afin
de ne les dépaffer jamais : jamais fur tout ja-
ne chercnerai à éteindre ce fentiment généreux
d’indépendance qui earâ&érilè toutes les ame.;
fortes, éclairées. Je fierai le rigide obfieryateur
Pp