nion des hommes , cela ne me furprend point •*,
mais je ferais infiniment étonné fi des législateurs
, & fur-tout fi des écrivains militaires fran-
çois adoptoient cette manière de voir *, il n’en
eft à mes yeux aucune qui foit plus funefte , car
il n’en efl aucun« qui foit plus deftrudive du
bonheur de la fociété & de celui des individus.
Dès l’inftant où Ton aura délivré les hommes
des liens de l’ opinion publique , comment les
récompenser, comment les punir ? Votre or leroit
bientôt inutile ou épuifé , 8c bientôt vous feriez
las de faire couler le fan g , car il côuleroit en
vain. Le législateur a dans l’amour de Y e f lim e
une puiffance. créatrice des talens , & un principe
fécond en vertus civiles & militaires ; il a
dans la crainte du mépris , qui efl une fuite
naturelle de l’amour de Yejlime , un des moyens
des plus infaillibles- de corriger & de réprimer
les v ice s , voye[ Mîépris-, il a dans l’amour de
Yejlime une fource inépuifable de récompenfës.
qui n’appauvriront jamais l’état , & dans la crainte
du mépris des punitions non-feulement plus terribles
que les Supplices, mais encore infiniment
préférables ", elles confervent les citoyens , & les
portent à faire les plus grands efforts pour effacer
la honte qu’ ils ont méritée. L’hiftoire prouve
que ces fentimens infpirent à tous cèux qui en
font pénétrés, une force invincible aux pallions, 8c une confiance capable de balancer l’empire
des befoins les plus naturels, & d’éteindre l’an>our
de là vie lui-même. Ces fentimens ont cet avantage
patticulier , c’eft qu’ils font des imprefïions
bien plus profondes fur les hommes que la naif-
fance ou la fortune ont prefque mis au-deffus
des récompenfes phyfiques & des punitions légales
, que fur ceux que leur pauvreté rend ailés
a récompenfer & façiles à punir. Le légiflateur
qui recourra donc à l’amour de Yejlime 8c à la
crainte du mépris, méritera notre reconnoiffaace 8c nos hommages *, mais ce point de vue, quelque
grand qu’il foit, n’eft pas le feul fous lequel
on -doive envifager l’amour de Yejlime. Je recommanderai
aux chefs, aux iaftituteurs militaires
de ne rien négliger pour l’ infpïrer aux défcnfeurs
de la patrie , parce que leur bonheur dépend de
fon exiftence. Eloignés du lieu qui les a vu
naître , de leurs parens , de leurs amis , de tous
les objets chers à leur coeur , doués du befoin
d’aimer ,8c fur-tout de celui d’être aimé , voyez
A m i t i é , comment le. verroient-il fatisfa.it ce
befoin impérieux , s’ ils ne s’attachoient point à
mériter Yejlime publique? car perfonne ne l’ignore -,
c’eft Yejlime qui conduit à l’amitié durable. Les
militaires ont-ils la noble ambition de rendre de
grands fervîces à leur patrie, Yejlime qu’ils ont
ohtenue leur en fournit , leur en facilite les
moyens *, Yejlime eft la mère de la confiance, 8c la
fonfiance des fuccès,'vojt| C o n f i a n c e 8c A m o u r
b u S o l d a t *, les militaires font-ils animés par
des motifs moins purs , ne veulent-ils que patvenir
à des emplois élevés , c’ eft encore à Yejlime
qu’ils doivent recourir -, c’eft elle qui les y conduira
avec le plus de promptitude & de sûreté.
Puifque Yejlime de leurs chefs, de leurs égaux ,
de leurs inférieurs eft toujours utile & fouvènt
néceffaire aux militaires, indiquons-leur fommai-
rement les moyens de l’obtenir.
Les avantages extérieurs préparent les militaires
à Yejlime publique , mais ils ne la leur donnent
point -, ils doivent , pour l’obtenir d’ une
manière durable , unir aux vertus de l ’homme
j probe , du bon citoyen, une fermeté d’ame inébranlable
à la crainte & à la fédudion , une
grande juftice , l’amour de l’humanité , un jugement
droit, folide , pénétrant, un efprit orné de
connoiffances utiles à leur profelfion , des moeurs
pures ou moins belles *, en un mot , toutes les
qualités & les connoiffances dont nous avons parlé
danpnos articles C a p it a in e Gén éral & M oeurs.
Que les militaires qui réuniront ces talens , ces
connoiffances 8c ces vertus n’elpèrent cependant
point obtenir Yejlime de tous leurs chefs , de
tous leurs égaux. Il feroit trop heureux d’être
militaire , fi l’on rie trouvoit fous l’uniforme que
des émules , des rivaux 8c jamais d’envieux.
Celui-là connoîtroit bien peu le coeur humain ,
qui afpireroit à obtenir Yejlime de chacun ; il èft
tant d’hommes qui accordent ou refufent la leur
fans difcernement 8c fans raifon. Ce n’eft point
Yejlime individuelle qu’on doit briguer, c’eft
Yejlime générale , ç’eft -Yeflime de tous. Je me
trompe , oh ne doit briguer ni l’une , ni l’autre ;
c’eft à la mériter eue l’on doit tendre , fans
trop fe mettre en peine fi on l’obtiendra. La mériter
, c’eft ce qui rend heureux *, la -mériter ,
c’eft tout ce qui' dépend dé nous : l’obtenir ne
nous rend point plus heureux y l’ obtenir ne dépend
point de nous. Que cette vérité né décourage
cependant point les militaires , & fur-tout qu’elle
ne ferve jamais- de prétexte à aucun d’entre eux.
Celui qui la mérite réellement finit toujours par
l’obtenir, car les hommes ne font point, à cet
égard , aufïi injuftes qu’on le dit , auffi injuftes
qu’ on veut le faire croire. Ceux qui les accufent
d’ injuftice fur cet objet ont d’autres vues , ils font
plus injuftes qu’eux: en obfervant les hommes ,
on reconnoît bientôt cette vérité.
Il eft des militaires q u i, aveuglés par l’amour-
propre ou par leur intérêt, voudroîent que Yejlime
qu’ils croient mériter fût pour eux une fource
d’avantages fenfibles,, d’égards marqués, ou au
moins de vaines louanges. Ah l qu’ ils font loin
de la mériter la véritable ejiimc , ceux qui la
confondent ainfi avec l ’adulation. Qu’ils font
heureux qu’on ne puiffe point lire dans leurscoeurs,
car à Yejlime qu’ ils ont furprjfe fuccéderoit peut-
être le mépris !
ZI e f t encore des militaires qui , dévorés pat
l'amour de Yejlime, font malheureux, parce qu’ils
n’obtiennent point toute celle qu’ils avoient méritée
; ceux-là font vraiment à plaindre ^ ceux-
là font dignes qu’on cherche à les éclairer : c’eft
à eux que je vais offrir les vérités fuivantes.
Nous croyons prefqtie tous mériter plus (Yejlime
que nous n’en méritons réellement *, les hommes
ne nous refufent guères ou plutôt ou plus tard
celle que nous méritons -, plus nous paroiffons la
délirer , moins nous devons efpérer de l’obtenir :
nous ne méritons point Yejlime, quand nous ne
Voulons qu’obtenir Yejlime , & enfin nous devons ,
pour être heureux , fonger plus à la mériter qu’à
l’obtenjr.
EXACTITUDE. Ce font, difoit J. J. Rouffeau,
les petites précautions qui font les grandes vertus
, & il avoit raifon. Celui q u i, en appliquant
cette même penfée à l’état militaire , diroit : c’eft
Vexaâitudfi dans les petits détails qui donne les
grands réfultats , annonceront une vérité non
moins .inconteftable. Si- dans une machine aufïi
vafte , aufîi compliquée qu’une armée, tous les rouages
ne s’engrainent point avec précifion & ne font
point leur révolution avec exactitude , il doit s’en-
iuivre néceffairement un grand défordre , une extrême
confufion. La plupart des militaires font
convaincus de cette vérité, & cependant il en eft
peu parmi eux qui portent dans l’exécution de
leurs devoirs, 8c qui exigent de leurs fubordon-
nés cette ex attitude dont ils fentent toute l’importance.
A quoi bon , difent-ils , lur-tout dans
leur jeuneffe , s’abftreindre pendant la paix à cette
exaElitude minutieufe qu’ on nous demande , à ces
petites obfervanees qu’on nous preferit *, pendant
la guerre à la bonne heure : l à , tous les momens
font précieux , & toutes les adions décifives *,
mais pourquoi tourmenter fes fubordonnés pendant
la paix ? pourquoi exiger d’eux cette monacale
exaEl tude ? Pourquoi! parce qu’ une tranfgref-
fion en amène toujours quelqu’autre*, parce que ,
dès l’ inftant où les hommes fe font familiarifés
avec la tranfgreflion de la loi , rien n’eft facré
pour eux. Aujourd’hui vous dites nous ferons
exaéls pendant la guerre , & alors vous direz
quand nous ferons en campagne -, en campagne ,
vous direz quand nous ferons proche de l’ennemi -,
quand vous ferez proche, vous attendrez d’être
en préfence. Ainfi vous ne ferez jamais ni tout
ce que vous pourrez , ni même tout ce que vous
d.evrez faire.
Un homme fenfé n’attache fans doute point
dans le fond de l’on coeur une grande importance
à une foule de petites pratiques , & à de
minutieux details qu’on exige des militaires , mais
il n’en veille pas moins à ce qp’ils foient remplis
avec exàElitude •, il fait que l’habitude rend
tout facile *, que l’on devient exad comme l’ojî
devient adroit *, que , dès le moment où l’on a
compofé une fois avec fes devoirs , on parlemente
c h a q u e j o u r , c h a q u e jo u r o n c a p i t u le , 8c c h a q u e
jo u r o n le r e n d a v e c p lu s d e f a c ilité ; il f a it q u e ,
d u m o m e n t o ù l’o n fe p e rm e t d e ju g e r d e l’im p
o r ta n c e d e la l o i , o n s’é rig e e n lé g ifia te u r *, il
f a it q u e le s p a llio n s n o u s é g a r e n t a ife m e n t f u r le
p lu s o u le m o in s d ’im p o r ta n c e d e s l o i s , & ii fe
r é f o u t , d ’a p rè s c e s r é f le x i o n s , à le s fa ir e o b f e r -
v e r , & à le s o b fe r v e r t o u te s lu i-m ê m e a v e c
u n e m in u tie u fe exactitude, u n e f c ru p u le u fe p ré c
ifio n . Voye[ O b é i s s a n c e .
EXAMEN. On donne le nom Yexamen aux
queftions qu’on fait à un candidat, pour favoir
s’il eft capable de remplir l’emploi auquel il veut
être admis.
Les ordonnances militaires , rendues d’après 1 es
avis du confeil de la guerre , vouloient que les
infpedeurs, avant d’admettre un jeune citoyen
à faire les fondions de cadet gentilhomme , &
avant d’admettre un cadet gentilhomme aux fonctions
de fous-lieutenant, leur fiffent fubir un
examen fur toutes les parties de la difeipline ,
du fervice & des devoirs des foldats , caporaux,
bas-officiers & officiels , jufqu’au grade de capitaine
inclus : ces examens dévoient porter aulïi
fur l’application de la théorie à la pratique. Aucun
cadet gentilhomme ou fous - lieutenant ne
pouvoit s’abfenter qu’il n’eût été admis par l ’inf-
pedeur; fi un cadet gentilhomme ou un fous-lieutenant
étoit deux ans de fuite fans être reçu ,
la fécondé année de fon fervice , & tout le refte
du temps qu’il paffoit fans être reçu , ne devoir
êtrp compté ni pour fon rang , ni pour la croix *, 8c s’ il perfiftoit dans fon inaptitude ou fon inapplication
, on devoit nommer à fon emploi.
Les infpedeurs dévoient encore faire fubir des
examens aux capitaines qui étoient fufceptibles
d’être faits officiers fupérieurs *, car , dit l’ordonnance,
leur avancement devoit dépendre 8c des
comptes rendus par les liëutenans-généraux divi-
fionnaires , les infpedeurs divifionnaires , les com-
mandans des brigades. Ces examens des infpec-
teurs dévoient rouler fur toutes les parties du
fervice 8c de l’inftrudion d’un régiment, tant théoriquement
que pratiquement , en y comprenant
les fondions 8c les détails du grade fupérieur à
celui auquel ils afpiroient , & s’attachant aulïi
à favoir s’ils avoient, independamment.de l’ intelligence
& du.talent, les qualités convenables
à un chef de corps. Pourquoi l ’ordonnance ne
nous a-t-elle point fait connoître ces qualités ,
dont les rédadeurs des lois précédentes n’ont
jamais parlé ? Pourquoi les majors en fécond &r
les colonels ont-ils été les feuls qui n’aient point
été fournis à un exarfien ? Les rédadeurs avoienc-
ils fuppofé que la première noblejfè poffédoit certainement
toutes les connoiffances & les qualités
qu’elle devoit avoir, qu qu’il n’en , fallait
aucune^our être colonel ou major en fécond \
R r 2.