plus la nation y attachera de confédération , plus
les motifs de Tacquirir feront grands.
Mais rien ne doit être plus délicat que cette
manière d’attacher les militaires à leurs devoirs 5
elle doit tenir uniquement à l’opinion qui , dans
nos troupes, doit faire tout dépendre de l’amour
de la gloire , de la patrie & de l’honneur : gardez
vous donc bien de rien faire attendre d'aucune
diftinétion qui tiendrontà l’argent. Si la gloire
feule , lî la patrie , dépouillées de tout fentiment
pécuniaire , n’étoient pas l’unique principe du
courage, de la bravoure & des vertus guerrières,
l’efprit militaire feroit perdu. Ne comptez pas fur
pes foldats ni fur des officiers auxquels le bruit
feul des grandes a étions & la recbi-moiffance de
la patrie ne fuffiroient pas. Il faut (e borner à de
la gloire , dans une profeilion qui n’eft fondée que
fur la gloire. Tout acceiïoire détruiroit T objet
principal. Gardez votre or pour les infirmes & ies
invalides 5 donnez des diftinétions à ceux qui peuvent
porter encore les armes. Parcourez Ihiftoire,
& voyez-y partout les récompenfes pécuniaires accordées
à la bravoure affoiblir néceffairement un
gouvernement républicain.
Voyez ce que nous attellent tous les, monu-
mens de l’antiquité : partout l’opinion femble
triompher de la Nature elle-même. Voyez les fta-
tues , 1 fez les inferiptions , rappelez-vous les
hauts faits.des premiers Grecs & des premiers Romains
: ici une couronne d’olivier faifoit dévouer
toute une nation à des combats périlleux 5 là une
couronne de chêne:plusloin,une couronne civique,
des palmes, des triomphes, des acclamations, ries-
funérailles publiques qccafipnnoient les aétions immortelles
que nous concevons encore avec peine*
& des édifices, des peintures, les environs des villes
couverts de monumens en l’honneur des citoyens
morts les armes à la main en combattant pour la
patrie, éternifoient la mémoire de ces grandes
aétions.
Pourquoi ne fuivrions-nous pas les exemples des
anciens ? On connoît aflez les fuites heureufes. des
moyens qu’ils employèrent, & aucune nation peut-
être'n’eft plus fufceptible d’être conduite par
l'opinion, que la nation française : n'héfitez donc
pas de faifir ce moyen fi fimpie de faire exécuter
de grandes chofes j mais faitesfurtout donner des
diftinétions à propos ., n’en donnez que quand il
le faut, comme il le.faut & à qui il le faut. Toutes
les marques d’honneur font indifférentes , pourvu
que la profufion ne les rende pas méprifablès.. Accordez
dés titres^ des'privilèges* des préférences 3
donnez des louanges, des rubans, &c. 3 que tout
fe diftribue en public : mettez-y beaucoup d’appareil
y que la nation y applaudiffe, que tout concoure
à en rendre Timpreffion durable, mais fur-
tout n’accordez aucune de ces diftinétions à des
hommes qui ne les aurpi.ent-.pas méritées.1 •
Le çenturion ,, qui .ne rçga.rdoit la gqerrq que
comme un métier où ii y avoir une petite fortune.
à faire, alloit tranquillement au combat comme
un couvreur monte fur un toit. Céfar, pleuroit en
voyant la ftatue d’Alexandre.
Accordez toujours au mérite les marques de la
diftinétion. Avoir porté vingt-cinq ou trente ans
l’uniforme d’un régiment eft. un devoir rempli : il
mérite quelques égards 3 mais avec quel foin ne
faut-il pas diftinguér davantage l’officier ou le fol-
dat qui a toujours fervi avec ce zèle qui caraété-
r fe l’homme pafiionné pour fon état.
Malheureufement l’intérêt des hommes puiffans
ne leur permet pas allez de faire une jufie diftri-
bution des diftinétions : ils ne veulent pas accoutumer
leurs concitoyens à regarder ks grâces
comme une dette dont ils s’acquittent envers les
talens & la vertu , 8c ils accordent rarement au
mérite : ils f.-ntent qu’ils obtiendront d’autant plus
de reconnoilTance de leurs protégés, que çès protégés
feront moins/lignes de leurs bienfaits. L’in-
jufiiee eft donc venue préfider à la diftribution des
grâces, 8c Tamour_dela gloire s’eft éteint dans
tous les coeurs. Peut-être auffi la fçience d’évaluer
les hommes eft-elle plus difficile dans les grandes
que dans les petites républiques. Une puiffance
moins riche paie moins de troupes 8c cherche plus
avidement le mérite pour y fuppléer. Dansles étais
plus vaftes, le génie, la vertu, le' mérite, étouffés
par la foule, avilis par le luxe, calomniés ou méconnus,
s’arrêtent dans une route famée de .dégoûts
& d’obftacles , & les hommes & les talens y manquent
bien moins au choix du maître, que le maître
lui-même ne manque aux uns & aux autres.
Le gouvernement s’eft privé du mobile puiffant
dés. diftinétions en s’occupant trop peu d’entretenir,
dansles troupes, l’efprit des.chofes qui ne
tiennent qu’à l’opinion.
Quels font en effet les moyens dont on fe fat
pour récompenser nos militaires? Quelqu’augmen-
tation de paye pour le foldat, des gratifications,
des penfions pour les officiers particuliers : toutes
les premières; grâces, font pour des hommes,fa-
vôrifés..
A-tron bien calculé le moyen d’une. augmentation
de paye envers les foldats que Ton veut ré-
compenfer ? .& a-t-on cru ks lier davantage parla
à leur profeffion ? S’il falloit abfolument donner
de l’argent, ne devroit-on pas le referver pour le
moment où le foldat quitteroit le fervice ? Céfar
avoir réglé que les foldats prétoriens auroient cinq
mille drachmes , deux après.feize ans de.fervi.ee,
&.les trois autres après vingt. On pourroit. fui vre
cet exemple, avec des modifications*.pourvu que
jamais on n’accordât la moindre ré.compenfe pécuniaire
pendant le tems du fervice. En é.tablifîant
une augmentation de paye comme ré.compenfe,
op accoutume le foldat à la regarder comme une
; cliofe, due , •Sâ.dès.-lprs, l’obligation, cefle. Suivez
; une routé contraire; donnez au mérite, donnez,
après. d(es Jjsryiçts rendus, & vous obligerez vus
foldats, à feryir bien 8c long-tems.
A-t-on réfléchi davantage, quand on a cru pouvoir
accorder aux officiers des gratifications, ou
fermer les yeux fur leurs expoliations pendant la
guerre, & même dans l’intérieur ? Combien de
maux a oCcafionnés cette façon de diftinguér les
militaires I L’amour effréné de l’argent a rendu
bientôt les âmes infenfîbles aux honneurs 3 il n’eft
plus refté au gouvernement qu’un vil métal pour
exciter l’émulation. Eh ! comment a-t-on cru pouvoir
apprécier en monnoie une grande aétion ? Il
lui faut l’eftime publique 5 & quand le public lui-
même n’efîime plus que l’argent, il n’a plus rien
qui puiffe tenter un grand-homme.
Les récompenfes pécuniaires font plus de mal à
l’état, que les troupes ne peuvent lui faire de bien :
d’abord edes nuifent aux finances, enfui te elles
font en général très-mal diftribuées 3 enfin il eft
toujours au pouvoir du premier magifttrat d’accorder
des honneurs. Il n’en eft pas de-même des récompenfes
pécuniaires , & fi par hazard vous ne
payez pas beaucoup & fouvent, tout eft perdu
avec des hommes que vous aurez accoutumés a recevoir,
en argent, la .valeur de leurs belles actions.
Les murmures s’élèvent alors de toutes parts,
une froideur générale gagne les coeurs , 8c de là
au dégoût il n’y a point d’intervalle.
Quoi de plus aviliffant d’ailk urs, pour l’ame du
citoyen brave & courageux , que d’avoir mis un
taux à fa valeur , à f~s actions 8c à fon mérite ?
Nous nous moquons d’un tems d’ ignorance où l’on
avoit prifé la vie de chacun des membres de l’état,
& où l’on fembloit avoir mis à prix la tête de chaque
citoyen. Ah ! que doit-on penfer d’un tems
où Ton femble favoir .ee que vaut la perte d’un
bras , d’une jambe , où Ton évalue les b le ftures,.
où tout fe mefure avec de l’or, 8c où Ton croit
avoir acquitté l’état quand on a donné telle ou
telle grat fication? Apprenez-ïiousdonc quels font
les moyens pour apprécier-'les aétions, le mérite
ou les maux auxquels on s’eft: expofé ou que Ton
fouffre. N’avez-vous pas pris la route la plus dangereuse,
la manière la plus inconféquente, & n’accélérez
vous pas Tanéandffement de h bravoure
& TavililTement de la gloire-, de la patrie 8c de
l’honneur. Ne réduifez-vous pas vos officiers 8c
Vos foldats à calculer les avantages qu’ils pourvoient
retirer pour les facrifices qu’ils vous feront.
Vous donnez des diftkét ons, me direz-
vous, j’en conviens 5 mais vous n’ofez pas citer des
honneurs prodigués trop fouvent fans choix, des
honneurs que certains hommes devroient être honteux
d’avoir obtenus, 8c qu’ils doivent entièrement
à la faveur.
Le fervice militaire eft encore* en F rance comme
dans les autres gouverneirens, une efpèce de mal-
tore î c’eft un contrat paffé avec le fouverain ,
dans lequel on s’engage à le fi rvir, fous la pro-
meffe d’ur.e récompenfe relative au rôle joué dans
ks armées pendant un certain nombre d’anpées.
üe mille officiers il y en a toujours neuf.cenis qui.
retires avec une penfion, vont mourir tranquillement
dans leur lit. Les bataillons for t encore pleins
d’officiers qui attendent des gratifications ou leur
retraite. Il eft honteux de voir combien, prefque
tous, ne fongent qu’à leur retraite, 8c des baf-
feffes qu’ils font fouvent pour avoir des gratifications
ou un traitement plus-confidérable.
Ces abus tiennent heureufement bien plus à la
conftitution vicieufe de nos troupes & à la manière
dont on les récompenfe, qu’au génie des
citoyens qui les eompofent : donnez-leur des motifs
differens d’émulation 3 attachez-les à leur
état 3 faites-les diftinguér par la nation , d’abord
comme Amples foldats & fîmp es officiers; donnez
leur enfuite des. marques de diftinétion, que
leurs concitoyens en conrioiffent la valeur & y
attachent le degré d’eftime qu’elles doivent exiger
pour la perfonne qui en eft décorée : attendez
qu’ on ait fervi feize ans 8c qu’on en ait au
moins trente-deux , pour accorder une marque
diitinétivè fïmple de fervice 5 accordez à vingt-
quatre ans de fervice & à quarante ans au moins,
une marque de fervice plus long 5 affrétez des dif-
tinétions différentes pour les bleffures plus ou
mo ns graves, & réfervez les plus diftinguéesy en
ayant foin de les différenciër, les unes, pour la bravoure
3 d’autres , pour la bonne condu te dans des
occafions périlleufes & importantes 5 celles - c i,
pour des confeils ou des écrits utiles 5 celles-là ,
pour des aétions d’humanité envers fes camarades ,
& même envers l’ennemi vaincu dans des combats,
après des batailles, dans des hôpitaux, &c. 8cc.
mais laiffez-vous guider par la voix publique 5 ne
foufrez aucune brigue, aucune cabale 5 faites défî-
gner par les officiers & les foldats ceux d’entr’eux
qui méritent d’être diftingués 5 ne craignez pas de
manquer de moyens 5 confultez les anciens 5 reli-
fez les lois & les coutumes de la chevalerie.
Au fortir d’un affaut ou d’une autre aétion , ©n
donnoit aux guerriers qui s’y étoient diftingués ,
des chaînes d’Or qui pendoientà leur cou, 8c dont
les chaînons étoient multipliés en proportion de
leur mérité.
C’est ainfi que la politique guerrière des Ro*
mains avoit diverfifié les bracelets & les autres
diftinétions militaires, fui vant k s différentes efpè-
ces de fervices rendus à ia patrie & les différent
degrés de-valeur.
On pourroit ajouter à ces diftinétions, des
exemptions, des rubans de différentes grandeurs
8c couleurs 3 des broderies , telles ou telles prérogatives,
des titres, des préféances dans les af-
femblées; dans les fêtes publiques, dans les fpec-
tacles , des éloges , des ftatues, & c.
Quelles fuites heureufes on pourroit efpérer
de la préférence donnée à des diftinétions que
rien n’efface & qu'on ne profane jamais ; plus de
proteétion, plus de droit de naiffance : on diftin-
-gueroit les militaires en proportion de l’utilité &
de l’étendue de leurs fervices, de leurs connoif-
Qqqqq z