
& fi fage a trompé le chevalier Folard, qui voyant
pa:tout des colonnes, s’eft attaché' à donner
les détails de cette bataille, d'après cette idée
bien évidemment fauffe, comme le prouve le
mouvement des manipules des prinjces marchant
au fecours des haftaires , lors de l'attaque des
deux lignes réunies. Mais le moment où Scipion
iemble donner la plus grande preuve de fon
fang-froid & de fes habitudes militaires, c'efl
après la défaite des deux premières lignes de
l'armée carthaginoife ; dès-lors il apperçoit
Annibal à la tête de fes vétérans, fe difpofant
à profiter de la fatigue & du défordre des troupes
romaines; mais les Carthaginois enfuyant avoient
fatigué & ébranlé cette troifième ligne, Se dans
l'armée romaine, les princes & les triaires
n’avoient pris aucune part à l’ aélion. Scipion
fe hâte de les mettre en ligne avec fes haftaires,
qu'il fait ferrer pour former une phalange fur
fon centré, & il marche rapidement contre les
Carthaginois, nécefiairement étonnés de fe voir
attaqués fur tout leur front par des troupes différemment
armées, & dont plus de la moitié
n'avoit encore pris aucune part au combat.
A'nfi nous découvrons encore de nouveaux
progrès dans l’ art militaire, & de nouvelles
reffources dans le génie de Scipion.
fa troifième ligne? — S’il ne pouvoir plus efpérer
de tirer parti des deux premières , il devoit encore
moins avoir une imprudente efpérance dans fa troifième
ligne. Dans un moment où fans fa cavalerie
il auroit dû fe retirer en bon ordre, pendant
le tems où Scipion remettoit fon armée dans un
nouvel ordre de bataille. La vafte plaine de Zama
étoit peut-être un obftacle à ce projet-, vu l'éloignement
où Annibal fe trouvoit des défilés pour
pouvoir facilement les atteindre ; mais dans la pofi-
tion où il fe trouvoit, il devoit tout tenter pour
fauver- fa troifième ligne compofée de. l’élite de
fes troupes, pendant fa retraite, les fuyards des
deux premières lignes auroient été plus faci'ement
ralliés. II ne devoit pas craindre d’être atteint par
ScipiGn , dont les troupes étoient déjà fatiguées ;
& marchant dans un ordre profond il auroit pu,
moyennant quelques précautions, empêcher la cavalerie
romaine à fon retour de l’arrêter dans fa
marche.
On reproche aufïi à Scipion, dans fon fécond
ordre dg bataille, de n’avoir pas mis les triaires
en réferve, de n’avoir pas donné des ordres à fa
cavalerie pour revenir, au moins en partie, dans
le cas où elle mettroit en fuite celle des ennemis,
& d’avoir attaqué la troifième ligne d’Annibal,
fans la faire inquiéter fur fes flancs par fes troupes
légères, & fans s’être affiné fa retraite au moyen
de fes triaires.
La défaite d’Annibal à Zama, en forçant
Carthage à recevoir les lois du vainqueur, finit
la fécondé guerre punique, mais ne laififa pas
lés Romains jouir des douceurs de la paix. Le
roi de Macédoine, malgré fes traités, avoit
fourni des hommes & de l'argent aux Carthaginois
; on décida à R.ome de lui faire la guerre ;
elle fut l'époque de la deftrudtion de la puif-
fance des Grecs & de la fameufe formation en
phalange. Excepté dans de petites actions contre
Pyrrhus , la légion romaine n’avoit jamais mefuré
fa force ou fes avantages avec les troupes
grecques i & ceux qui étudioient la ta&ique , la
croyoienc bien inférieure à la phalange macédonienne.
Il y avoit cependant une préfomption
en faveur de la légion, c’ eft Pyrrhus & Annibal
qui »voient adopté fes armes, qui néceflitoient
un ordre abfolument différent de celui de la
phalange. Mais ce problème militaire ne pouvoir
être réfoîu qu’en pleine campagne, & par
une bataille entre les deux ordres.
La phalange préfentoit un front impénétrable
& dangereux, elje varioit la profondeur de fa
colonne félon la nature du tetrein;.. les foldats
étoient armés de piques de vingt-un ou de vingt-
quatre pieds de long ; les cinq premiers rangs
formoient une barrière de pointes égales , au-
devant de la ligne, les autres appuyoient obliquement
leurs piqués fur les épaules des foldats
qui fe trouvoient le plus près 3 de cette manière
ils interceptoient les traits de l ’ennemi, & ils
foutenoient ou pouffoient le front de la colonne.
Dans le choc de la légion & de la phalange,
chaque homme de la première avoit befoin pour
manier fes armes d'un efpace de fix pieds
quarré, & en agi fiant avec fon bouclier & fort
épée, il étoit expofé à dix piques de l'ennemi.
Mais la force de la~ phalange étant toute raf-
fembléç fur fon front & n’en ayant plus, fi
elle ne fë trouvoit pas très-ferrée, fi on l'attaquoit
fur fes flancs ou par derrière, fi on la rompoît
ou fi on fondoit fur elle à l ’improvifte, ou avant
j le moment où elle étoit entièrement formée,
on la mettoit facilement en dérouté j elle n'étoit
donc pas avantageufe, fi ce i^eft dans un ter-
tein plat. & pour la défenfe d’un pofte acceflible
d’un feul côté.
- La légion romaine au contraire, pouvoit attaquer
fur fon front, fur fés flancs & fur les
derrières ; chaque manipule & même les hommes
qui les compofoiént, pouvoient attaquer ou fe
défendre à part, s’ils avoient afiez de terrein
pour manier leurs, armes , il étoit difficile de
. les furprendre, & ils montroient la même force
comme placés dans un ordre régulier ; la légion
pouvoit donc fe battre fur tous les terreins, &
excepté fur le front de la phalange, elle avoit
pat tout ailleurs un avantage inconteftable.
Dans fa forme ordinaire, la légion chargeoit
par divifions éloignées les unes des autres, &
ce genre d’attaque étoit propre à rompre ou
à divifer le front de la phalange, dans le cas
où il avançoit comme dans celui où il reculoit.
Les divifions de la fécondé ligne fe trouvoient
devant les intervalles de la première, afin de.
profiter du défordre qui pouvoit s’établir parmi
les troupes ennemies.
On ignore fi les Romains firent toutes ces
réflexions, mais au moins eurent-ils afiez de
confiance dans leurs armes & dans leur forme
de bataille, pour affronter les longues piques & la
forme compacte de la phalange macédoine.
En arrivant en E p ire, où Flaminius étoit ,
chargé de faire la guerre, Philippe le reçut dans
une gorge efearpée ; ce pofte étoit fort & des
troupes régulières pouvoient le défendre ; mais
la phalange y étoit privée de fes avantages >
les légions la tournèrent, elles gagnèrent les
hauteurs, & forcèrent le roi de Macédoine à
la retraite.
Bataille de C ynosephales. La campagne
fuivante, Philippe ( i ) refufa de combattte aux
( i ) Flaminius avec deux légions, dix mille Grecs,
prefque tous armés à la légère, & une très-bonne
& très-nombreufe cavalerie, s’étoit déterminé: à
marcher contre Philippe pour le combattre, & '
n’ayant pu l’atteindre à Phera, il dirigea fa marche
fur Scotufa , où Philippe dirigeoit aufli la fienne pour
y défendre fes magafins. Le pro-conful avoit fur
Philippe l’avantage d’un chemin plus facile ; à
la troifième journée il s’éleva un terrible orage ,
& le tems fut couvert au point de ne pas voir deux
pas devant foi. Arrêté par les mauvais chemins
& par la pluie, Philippe envoya line grande partie
de fes troupes légères, avec ordre de reconnoître
la route & de s’établir fur les fommités afin de
couvrir l’armée : de fon côté, Flaminius afin de
découvrir 1 ennemi, ifnagina de faire monter quelques
troupes légères fur les fommités.
Après la pluie, un brouillard épais vint encore
augmenter l’obfcurité, de manière que les troupes
dégères des Romains fe trouvèrent très-à portée
de celle des Macédoniens, qui après la première
furprife, ayant l’avantage des pofitions, fondirent
fur elles, les mirent en fuite, & envoyèrent demander
des fecours à Philippe.
Le pro-conful attentif à faifir l’oceafiôn qui fe
préfentoit d’engager une aëtion , fur un terrein
auifi défavorable à la phalange, détacha deux trienvirons
de Phera, ne trouvant pas le terrein
propre à la phalange , & il fe retira. Flaminius
buns avee mille hommes chacun, &l cinq cents
chevaux italiens accoutumés a marcher dans les
montagnes ; à leur approche, les Macédoniens furent
obligés de reculer.
Philippe très-mécontent de cet accident, qui le
menaçoit de l’engager maigre lui au combat ,
détacha néanmoins deux officiers, l’un à la tête
d’un corps de cavalerie, l’autre avec mille hommes
d’infanterie étrangère, leur enjoignant expreffément
de fe borner à dégager les troupes légères ; «nais
fes ordres furent mal exécutés, les fecours fe joignirent
aux troupes légères , chargèrent avec elles
les Romains & les renverfèrent.
Flaminius un peu déconcerté de la défaite de
fes troupes, à laquelle il ne s’artendoit pas, prie
alors le parti de fortir de fon camp avec toute
fon armée, & de la ranger en bataille au pied
des montagnes, la gauche vis-à-vis de la pente
fur laquelle avoient Combattu fes décachemens, avec
des intervalles félon l’ordonnance des légions. Il
enjoignit aux généraux de fa droite d’agir félon
les occurrences, & de tâcher de s’emparer derrière
quelques rideaux de portes, qui pourraient les favo-
rifer pour prendre l’ennemi à dos & a flanc ; devant
cette droite il jetta fes .éléphants, & porta devant
fa gauche le refte de fes vélites. Après ces dif-
pofitions générales, il s’avança vers fes troupes qui
fuyoient honteufement devant les Macédoniens, Sc
il eut befoin de toute fon autorité pour les arrêter
& les contenir.
Malheureufement pour Philippe , il s’opiniâtra
trop long-tems a blâmer fes généraux & à craindre
de commettre fa gloire : il sentit enfin la nécef-
fité d’expofer une partie de fon armée pour fauver
l ’autre; cependant les montagnes étant plus efcar-
pées de fon côté, il monta avec beaucoup de peines
au fommet des hauteurs appelées Cinoféphales. Mais
craignant de perdre un moment précieux, s’il
défîloit avec fa phalange entière , il ordonna a
Nicanor de marcher avec la gauche de front à la
montagne le ralliement devant être prompt 8c
facile , au moment où toutes les feétions feroienr
parvenues au fommet. Mais cette conduite contribua
beaucoup à la défaite de Philippe , car étant arrivé
Lui même fur la peloufe, avec la droite de fa
phalange, il eut le tems de s’y former en bataille,
tandis que Nicanor ayant rencontré de grands obf-
tacles fur le terrein, fes ferions furent bientôt
à différentes diftances les unes des autres & de la
peloufe.
Cependant, Philippe dévorant le chagrin de ce
contre-tems, joignit à fa droite chaque feéHon à
mtfure qu’elle arrivoit 3 il fit enfuite un feul corps
de fon infanterie , auquel il donna trente-deux