
coup de peine pendant la paix , pour habituer les
troupes à marcher en cadence , à la muette 3 &
Ton croit avoir obtenu un grand point, parce
qu'on eft parvenu à les faire marcher ainfi fur un
terrein d'exercice 5 mais cela eft abfolùment itn-
poffible à la guerre. Comme le retentilîement du
loi fur lequel on marche peut feul maintenir la
mefure , fi le terrein eft. herbeux ou labouré , ou
s'il se fait le moindre bruit, la mefure fe perd 3
& l’on a pu remarquer aux exercices journaliers 3
qu'une bouffée de vent fuffit pour y mettre obf-
tacle : c'eft donc une puérile extravagance , que
cette marche à la muette dont on s'eft fi férieufe-
ment occupé pendant vingt ans. S’il pouvoit y
avoir d'snfemble de pas à la guerre , ce ne feroit
qu'à l'aide des inftrumens; mais le bruyant fracas
de nos batailles 8c l'étendue d’un bataillon rangé
dans le fyftème mince peuvent-ils nous permettre
de marcher au combat à la cadence des
inftrumens, comme on le raconte des Lacédémoniens
? Cela ne feroit praticable tout au plus
que dans l’ordre en colonne. «
Convaincu par les raifons de l’auteur de Y E f -
p r i t m i l i t a i r e 3 & fur tout par l'expérience 3 que
la marche cadencée , emboîtée & mefurée eft ab-
folument impraticable à la guerre, on demande
pourquoi cette marche eft l'objet principal &
prefque l'objet unique du travail des troupes
françaifcs.
On s’eft occupé de la marche cadencée & on
a négligé la marche militaire , parce qu'on a été
déduit par le coup - d'oeil agréable que procure
cette première marche, parce qu’on a trouvé
plus commode de relier proche de fon quartier ,
fur un terrein' nivelé, à la porte des villes, entourés
de femmes pourfpeélateurs , que d’aller au
loin & dénués de curieux , fe charger de boue ou
fe couvrir.de pouffière, ou plutôt, car il vaut mieux
fuppofer aux hommes des intentions pures , parce
qu'on a pris le moyen pour la fin. La marche cadencée
, mefurée & emboîtée n'eft en effet qu'un
moyen d’arriver à la marche militaire , & l'on a
cru qu'elle étoit cette marche elle-même. Revenons
de notre ^reur, il en eft tems encore; mais
gardons-nous de tomber dans l’excès oppofé :
exerçons nos foîdats à la marche emboîtée, afin
que dans la campagne ils marchent le plus près
poffible les uns des autres ; à la marche mefurée ,
afin qu'ils faffent les pas auffi égaux que le terrein
le permettra ; à la marche cadencée , afin d’éviter
unepartie des chocs & des flottemers qu'é-
prouveroit la plus petite divjfion fi tous les fol-
dats ne remuoient pas la même jambe en même
tems 5 mais que cette marche ne foit pas notre
unique étude : fouvenons-nous toujours qu’elle
n’eft, comme nous l'avons d it, qu’un moyen
d’arriver à la marche militaire.
Puifau’on doit enfeigner un foldat à marcher
le pas cadencé, emboîté & mefuré, nous devons
nous occuper un inftant de la meilleure manière
de le lui enfeigner.
Pour que le foldat puiffe exécuter la marche
cadencée, il faut qu’il ait appris à fe rendre maître
de fon corps & à fe mettre alternativement en
équilibre fur l’une & fur l'autre jambe. Ce n'eft
que par le moyen des aplombs qu’on peut enfeigner
cet art aux foldats : les rédacteurs de l’ancienne
ordonnance l’avoient bien fenti 5 auffi
avoient-ils prefcrit les aplombs. Pourquoi les rédacteurs
delà dernière ordonnance, avant la révolution
, ne les ont-ils pas imités ? C’eft fans doute
parce qu'ils avoient été témoins des excès dans
îefquels certains inftru&eurs étoient tombés.
Combien en effet n'étoient point ridicules toutes
les poftures que l’on faifoit prendre aux foldats !
Combien de tems ne confommoit-on pas vainement
pour leur faire acquérir cet aplomb parfait !
Le danfeur de corde n’étoit pas plus exigeant avec
fon élève : on voyoit bien que l’on avoit encore
pris ici le moyen pour la fin. Rétabliffons donc les
aplombs , mais reftrei gnons-les dans les bornes
qui leur conviennent. Pour y parvenir, fuivons les
préceptes indiqués dans l'article A plomb, pages
191 & 191 du S o ld a t c ito y en , ouvrage du général
Servan , & dans celui de Y E x am e n c r itiq u e du
M i l i t a i r e f r a n ç a i s , par M. de Bohan, tomé 2e. ,
pages 96 & 97.
Auflitôt que les foldats auront appris à être
maîtres de leur corps , enfeignez - les un à un à
marcher le pas ordinaire. ( V o y e% Pas , Su p p lé m
e n t. ) A quoi bon en effet ce pas qu'on appeloit
pas d’école, ce pas que le foldat ne doit jamais
marcher ? Que diroit-on d’un maître à danfer qui
enfeigneroit à fon élève un pas qu’il ne pourroit
placer ni dans lè grave menuet'ni dans la vive
contredanfe, &c.? Gardons-nous d’exercer le nouveau
foldat deux fois de fuite fur le même terrein
, furtout fi ce terrein eft ras 8c uni comme
une table de billard ; n’employons jamais de batteries
ni de ces champs monotones qui les remplacent
: c'eft dans la tête & non dans l’oreille
que le foldat doit avoir la cadence du pas. Lorfque
l'homme de recrue faura faire un pas de deux
pieds ou un peu plu« , foit qu’il monte, foit qu’il
defeende , & en faire cooftamment dans tous les
tesreins un nombre déterminé par minute, enfei-
gnons-lui à fe diriger vers tel ou tel objet; ce
n’eft point afin qu'il apprenne à marcher vers un
point donné, cet art n’eft pas le fien, ;mais afin
qu’il ne contrarie pas l’habitude vicieufe de s’appuyer
fur ceux de fes camarades qui l'entourent,
habitude de laquelle naiffent les flottemens, les
chocs , &c. Avant de réunir les hommes en file ,
exerçons-les long-tems en rang , plaçonsles à
deux pas de diftance les uns des autres, obli-
geons-les à garder conftamment la même diftance :
ces leçons, fréquemment répétées fur toute ef-
pèce de terrein, produiront la fcience des aligne-
mens,- 8c préviendront les refferremens & les flottemens,'
temens. Quand nous rapprocherons les hommes
les uns des autres, alors il fera tems de les obliger
à partir ou à s’arrêter enfemble : cela fait, nous
formerons une file & nous effaierons l’emboîtement
du pas , mais toujours fur un fol inégal ;
ainfi progreffivement nous réunirons plufieurs files,
& nous leur enféignerons toutes les efpèces de
pas que nous croirons néceffaire de diftinguer.
( Voyt\ Pas , Supplément. )
Une obfervation importante, en enfeignant la
marche cadencée , c’eft de s'occuper plus à augmenter
la profondeur des files, que leur nombre;
il eft rare en effet qu’il foit néceffaire de marcher
fur un front très-étendu, au lieu que, même alors
qu'on eft fur trois de hauteur, deux hommes marchent
comme s’ils étoient dans le centre d’une
colonne.
§. I I.
De la marche militaire.
Marcher militairement, c'eft parcourir avec
ordre un efpace déterminé dans un tems donné.
Pour peu qu’on réfléchiffe fur cette définition,
on fentira aifément combien eft important l'art
dont elle donne une idée. Si cet art ne fait pas
toujours le deftin des combats, on peut du moins
affurerque, lorfque tout eft égal d’ailleurs , il
doit y contribuer infiniment. L'hiftoire prouve en
mille endroits, que, de deux armées également
Fortes, celle qui fait les marches les plus favan-
tes, finit toujours par être vi&orieüfe, & un général
ne calcule des marches de cette nature que
îorfqu’il eft affuré" que fon armée les exécutera
avec précifion.
Nous ne chercherons point de nouveau pourquoi
les troupes françaises fe font conftamment
occupées de la marche cadencée, & pourquoi
elles n’ont point fongé à faire des marches militaires;
il nous fuffit de favoir que fi cet exercice
a été négligé, ce n’eft point parce que la conftitu-
tion militaire s’y oppofe, mais parce que les chefs
des corps n’en ont pas fenti affez l’importance.
Que le gouvernement les éclaire donc ; qu’il
preferive des promenades militaires ; qu’il donne,
fur la manière de les faire, une inftruaion courte
& précife 5 qu’il oblige les généraux à tenir la
main à fon exécution , 8c dans moins d’un an
nos régimens feront plus de pas vers le véritable
but qu’ils doivent atteindre, qu’ils n’en ont
fait depuis le moment où. l’on s’eft occupé férieu-
fement de leur inftru&ion.
Pour enfeigner à un régiment à marcher militairement,
ce n'eft ni dans un champ-de-mars ni
fur de grandes routes qu'on doit le mener, mais
tantôt fur des chemins étroits, tortueux 8c raboteux,
tantôt dans une vafte plaine, quelquefois
fur des colines peu élevées j ou fur des montagnes
efearpées ou dans des vallons très:creux 5 au- j
jourd’hui on traversera des guérèts , demain des *•
Art Milit.' Suppl, Tome ÎV^.
bois, 8cc. ; on. fera quelquefois une lieue au pas le
plus précipité; quelquefois, mefurant fa marche
fur une colonne voifine à laquelle on fervira de
pivot, on ne fera que tourner fur foi-même, 8c
on attendra, avant de fe remettre en marche, que
cette colopne ait fait fon mouvement de conver-
fion. Un jour on portera fon fac 8c fon pain; un
autre, on ne portera que fes armes : ce ne fera
point à emboîter le pas que l’on s’occupera, mais
à marcher en bon ordre, en filence , 8c auffi ferré
qu’il eft poffible de marcher dans la campagne :
quelquefois on déploirales colonnes, mais on ne
marchera en ordre déployé que pendant un petit
nombre de pas ; car il ne fe prélente à la guerre
qu’un nombre infiniment petit de circonftances où
l'on ait befoin 8c où l’on puiffe même marcher
de cette manière. Combien de marches de cette
efpè.ce ne feroient-elles pas inftru&ives pour les
chefs de corps eux-mêmes ! Iis n'apprennent rien
dans nos exercices ordinaires, au lieu qu’ils s'inl-
truiroient beaucoup en enfeignant leurs troüpes
à marcher militairement. Le journal de chaque
officier fupérieur feroit un livre très-utile, même
aux généraux; ils y apprendroient combien de
tems il faut à un régiment pour traverfer uq bois
de telle ou telle largeur, & plus ou moins tôufu ;
pour paffer un défilé qui n'eft ouvert que pour un
tel nombre de files : ils fauroient la différence qu il
y a entre une marche exécutée dans une plaine
fabloneufe ou imprégnée d'eau, & une marche
faite dans un tems fec fur un terrein ferme ; combien
d’heures il faut pour monter une montagne
conformée de telle ou telle façon. Nous nous arrêtons
, perfuadés que nous en avons affez dit
pour prouver que l’art de marcher militairement
eft au deffus de la marche cadencée, & que cet
art eft néceffaire pour l'exécution des marches qui
feront l'objet des paragraphes fuivans.
Les Pruffiens, que nous imitons trop fouvent
dans des objets puérils, & que nous ne prenons
pas affez fouvent pour modèles dans les objets
vraiment utiles, donnent à la marche militaire la
plus grande attention. Un officier français, qtti
avoit fuivi leurs exercices, en parle de la manière
Suivante
ce Rien n’eft plus important en ta&ique, que
0 de favoir marcher parfaitement en colonne de
» route, 8c de pouvoir évaluer le tems qu'une
» colonne d’infanterie ou de cavalerie de douze a
» quinze cents hommes, plus ou moins, emploira
» en toute efpèce de te frein pour parcourir un
» certain nombre de lieues ou de toifes. Ce cal-
» cul eft la bafe d’une infinité de combinaifons
>» très-intéreffantes à la guerre. Les Pruffiens ex-
» cellent dans ce genre d'exercice , qui peut être
« confiuéré comme le plus utile qu'on puiffe faire.
» Voici les principes qu'ils fui Vent.: c
m l°. JDe mettre la colonne en marche en même
» tèms
*> 20’. De confervér a la tête de la colonne un
Ccccc