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les retraites, les congés , les gratifications & les
penfions, mémoires qu’ on pourroit alors , avec
raifon , intituler pour demander des grâces.
§. I I .
Des mémoires militaires.
Les mémoires deftinés à conferver ou à donner
quelques inflruétions fur des objets militaires, peuvent
être confidérés comme divifés en trois claffes.
i ° . Mémoires hiftoriques.
2°. Mémoires ou projets relatifs à la guerre.
. 3°. Mémoires ou projets relatifs à la conftitution,
à la formation, &c. des troupes.
Les premiers regardent rhiftoire militaire.
Les féconds doivent être renvoyés au mot
C o n n o i s s a n c e m i l i t a i r e , dont ils doivent
faire partie.
Il refte donc à parler des derniers.
Aucun lïècle n’a été fans doute auffi fertile que
le nôtre, en mémoires & en écrits relatifs à la
conftitution des troupes, & c . 5 il n’eft pas un militaire
qui n’ ait fes vues, fes projets 3 il n’en eft
aucun qui n’ait fon fyftème à lui, qui ne le débite
avec emphafe, qui n’en fatigue chaque jour les
hommes avec lesquels il vit fréquemment, les gens
en place, les miniftres même, & quelquefois le
public : quelles font les caufes de cette fermentation
générale? L’ inconftancenaturelle aux Français}
l’efprit de réforme & d’amélioration, qui
avoit gagné toutes les parties de la foeiété 3 l’ inf-
truélion qui s’étoit répandue parmi les militaires,
les innovations fuccefhves que leur étatéprouvoit,
l ’ incertitude qu’on avoit cru remarquer dans les
principes du gouvernement, & enfin les réeom-
penfes honorables accordées aux militaires qui les
premiers avoient tourné vers ces objets l’adivité
de leur génie.
E ft-il réfulte quelque bien de cette multitude
d’ouvrages polémiques militaires , dont nous avons
été fatigués, & des fyftèmes nombreux qui ont
paru ? E ft-il à defirer que l’on écrive encore &
que l’on cherche à donner au militaire français une
formation analogue à notre nouvelle conftitution ?
Il eft fur cet objet trois opinions dont il importe
de difcuter la bonté.
- Les parti fans de la première font des hommes
fortement attachés par l’habitude, la vanité & la
pareffé, à une vieille routine, aux maximes & aux
ufages qui régnoient pendant leur jeuneffe: ceux-là
difent que cette grande abondance d’écrits fur l’ art
militaire eft un des vices de notre âge 5 qu’elle
fait des officiers plus occupés à raifonner qu’a agir,
qu’elle jette de l’incertitude même dans la tête des.
adminiftrateurs, & qu’elle doit par conféquent être
détruite.
Les partifans de la fécondé, éclairés par les lumières
de la philofophie, veulent accorder aux
militaires, comme aux membres des-au très claffes« j
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de la foeiété, une liberté entière d’écrire 8c de
publier toutes leurs idées.
Les partifans de la troifième prennent un milieu,
qu’ ils regardent comme jufte} croient qu’ il vaut
mieux que les officiers français fe livrent à l’étude
de l ’art militaire, qu’à celle de tout autre} à la
création d'un fyftème nouveau, qu’à une oiliveté
pernicieufe à eux & à leurs compatriotes} mais ils
veulent que les officiers français fe bornent à
adrefier le réfultat de leur travail au miniftre de
la guerre} car, difent-ils, fi lé réfultat eft bon &
qu’il foit public, nos ennemis en profiteront mieux
& plus tôt que nous} s’il eft mauvais, les étrangers
le mépriferont, mais de jeunes Français l'adopteront
fans réflexion, & de là des idées fauffes &
des p'réjugés funeftes.
Nous ne nous rangerons point parmi les partifans
de la première de ces opinions} elle ëft vifî-
i blement erronée , un refte de l’ancienne barbarie.
La fécondé a fes inconvéniens : il eft plufieurs ob-
; jets dont il importe de dérober la connoiffance aux
i étrangers} tels font nos fyftèmes de fortifications,
j les découvertes des machines nouvelles, &c. Nous
: n’adopterons pas davantage la troifième opinion}
lella porteroit le découragement parmi les mili-
I taires,, & les rameneroit bientôt a l’apathie dans
[laquelle ils ont trop long-tems vécu. Comment,
■ en effet, les officiers français ne feroient-ils pas
■ découragés par la croyance où ils feroient , que le
; réfultat. de. leurs recherches & de leurs réflexions
i ne doit fervir qu’à groffir cet amas de papiers que
î le teins couvre de fa pouffière après qu’un commis
i en a tiré quelques lambeaux, félon fon intelligence
: ou fon loifir. 11$ feroient découragés encore, parce
. qu ils n auroient plus l'efpoir d’être payés de leurs
; travaux par un peu de gloire. Si le miniftre eft
jufte, il donnera peut-être des;éloges, des grades
ou des penfions} mais combien il y a loin de ces
froides réeompenfes à celles que le public décerne
| aux auteurs des ouvrages utiles & bien écrits, &
I fi Ie miniftre, au contraire, eft affez injufte pour
vouloir s’ attribuer le fruit des travaux de l’auteur,
ou fi ce travail eft remis entre les mains d’un fous-
ordre affez peu inftruit pour ne favoir point l’appré-
cier, aflez pareffeux pour ne vouloir point le lire,
; affez. fuffifant pour le condamner fans l’entendre,
f ou affez vil pour le dénigrer d’abord, & affez
• adroit pour le dénaturer enfuite & le donner
; comme fon ouvrage !
Si d’ailleurs tous les mémoires militaires étoient
; conftamment renfermés dans- lès- dépôts de la
guerre, fi l’impreffion n’en livroit pas un grand nombre
au public, dans quels ouvrages, s’inftruiroit
la génération future, & furtout les hommes deftinés
à la, conduire?
_ Chacun de ces trois moyens offre des inconvéniens.
: il faut en trouver un qui prévienne la
publication des idées heureufes, mais qu’ on doit
cacher, & des idées-dangereufes, qu’ on doit en-
feyelirdans-unfecret profond, qui, loin d’éteindre
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l'amour de l ’étude, le rende plus vif} qui fa (Te
connoître les opinions nouvelles, qui en facilite la
difeuffion, qui réuniffe, en un mot, tous les avantages
des méthodes connues, & n’offre aucun de
leurs vices. Ce moyen nous feroit fourni par une
académie militaire: les membres de ce corps, cen-
feurs nés de tous les ouvrages relatifs à la guerre,
engageroient tel auteur à réferver pour le gouvernement
la partie de fon travail, dont la publication
pourroit donner à nos ennemis quelqu idée
utile} mais il feroit connoître au public, par une
atteftation authentique, le facrificeque cet écrivain
auroit fait de fon amour-propre au bien public, &
par de juftes louanges il le dédommageront de ce
îacrifice. Ils obligeroient tel autre écrivain à effacer
de fon ouvrage ce qui pourroit produire des
effets dangereux 3 ils feroient imprimer chaque
année les ouvrages qui mériteraient d’être connus
dans leur entier, & une notice courte & claire de
ceux qui ne mériteraient que d’être extraits} ils en
nommeraient les auteurs, & leur donneraient les
éloges qui leur feroient dus : ils indiqueraient aux
jeunes gens les objets vers lefquels il leur importe-
roit de tourner leur activité} ils offriraient enfin au
miniftre un réfumé général de leurs travaux particuliers
& de ceux du refte de l’armée} mais leur
cenfure, très-modérée, très-douce & dégagée de
tout efprit de parti, ne chercheroit point à étouffer
les idées qu’on leur auroit préfentées, parce
qu’elles feroient nouvelles ou oppofées à leurs
principes ou à ceux du gouvernement : fi elle fe
rendoit une feule fois coupable d’une infidélité de
cette efpèce, les militaires ne lui foumettroient !
plus aucun ouvrage : l’apathie renaîtroit, ou les ;
preffes étrangères feroient bientôt circuler parmi
nous toutes les idées qu’ il importe de tenir fe-
crètes, à caufe des avantages qu’elles peuvent
produire, ainfi que toutes celles qu’il faut tenir
dans le fecret, à caufe du mal qu’ elles peuvent
faire. Enattendantle jour où nous verrons une académie
militaire s’élever au fein de la capitale, &
le moment où nous pourrons nous inftruire dans
le recueil de fes mémoires, le gouvernement ne
pourroit-il pas la remplacer pour l’objet qui nous
occupe, en nommant, pour rédiger un journal
militaire, quatre officiers renommés par leurs con-
noiffances & leur impartialité ? Ces quatre officiers
réunis formeroient une efpèce de comité, chargé
des mêmes foins que l’académie militaire. Les notices
inférées dans ce journal, deviendraient,
comme les mémoires de l’académie, la récom-
penfe des écrivains dont il importeroit de tenir
les ouvrages fecrets : les rédacteurs de ceç ouvrage
périodique adopteraient les mêmes principes
que les académiciens, parce qu’ ils faurôient,
comme eux, qu’on n’ arrive pref^ue jamais, à la
vérité, qu’après avoir parcouru prefqu’entiére-
ment le cercle des erreurs} qu’on ne peut être
affuré de la bonté d’une idée, qu’après l’ avoir fou-
mife-pendant long-tems à la ûifeuffion publique ,
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&r que ce font les débats qui produisent les jugement
folides. On croit que ce comité remplirait
non - feulement l’objet de fon inftitution, mais
qu’il feroit encore d’un journal militaire, un ouvrage
digne d’être fpécialement protégé par le
gouvernement, & attentivement lu & étudié par
tous les officiers français. (V?ye^ le mot Journal
m il it a ir e . )
MENTOR. On fe fert ordinairement de ce mot,
dans les troupes françaifes, pour defigner un officier
qui s’eft volontairement chargé de furveiller
la conduite de l ’un de fes jeunes camarades 3 ce
dernier eft défigné par le mot Pupille.
Depuis la révolution on ne s’eft guère occupe
à donner des mentors aux jeunes gens qui font
entrés dans les corps militaires, & ce n’eft pas ordinairement
pendant la guerre, au milieu du bruit
des armes, dans les camps, dans les marches d armées,
dans les quartiers a hiver ou dans les cantort-
nemens, que les anciens officiers auroient pu veiller
fur la conduire ou l’inftruétion de leurs jeunes
camarades. D’ailleurs, le fyftème de la deftruction
& de la déforganifation ayant été regardé comme
plus effentiel encore parmi les corps militaires,
on imagina de dégoûter, de maltraiter même tous
les officiers qui fe trouvoient occuper des places a
cette époque, afin de les obliger a les quitter, &
de pouvoir ïw! remplacer par des fous-officiers 8c
même des foldats. Dès-lors tout fut livré à la bra-
. voure & fouvent à l’ignorance} mais les grandes
maffes animées d’ une valeur fans exemple, & peut-
être d’un grand dégoût de la vie de la part des
individus qui les compofoient, affurèrent des victoire^
étonnantes & à peu près continuelles. |
Cependant, parmi cette foule d'officiers generaux
& particuliers qui parurent fur la fcène pendant
la guerre de la liberté, on en dithngua quelques
uns d‘ un véritable mérite, & qui devinrent
des généraux, des officiers d'étals-majors & des
chefs de corps & de troupe particulière, très-
diftingués, & ayant profité avec beaucoup de
fruit des leçons réitérées de la pratique. Au moment
donc où l’on va jouir des douceurs de la
paix , quelle que puiffe être la conftitution militaire
que l'on aura la fageffe d'adopter, il fe trouvera
dans chaque corps un nombre affez confide-
rable de jeunes officiers qui auront be.foin d être
dirigés & furveillés par des officiers plus âgés &
plus expérimentés qu'eux, & c eft a cette époque ■
que l'on doit fentir l’importance de faire revivre
la fage inftitution des mentors.
C'eft aux vieillards à diftribuer aux jeunes gens
les fruits de leurs études & de leur longue expérience
; c'eft à eux à les inftruire de la manière
dont ils doivent fe conduire, & i leur faire apper-
cevoir les dangers dont le chemin de la vie eft
femé ; c'eft à eux à s’emparer par de fages con-
feils de leur ardeur inconfidérée, & a les former
à U v ertu, foit par des confeils, foit par des
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