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çais eft encore imberbe, il faudroit adopter l’ufage
des barbes poftiches. Mais la mouftache de nos
guerriers ne fut'"jamais capable d'intimider nos
ennemis : elle ne donne d'ailleurs ni l'air martial
ni l’air terrible j elle a été pendant long-tems un
ornement commun aux hommes de tous les rangs
& de tous les états. Ainfi lés Français, en adoptant
la -mouftache, ont fuivi la mode ou l’exemple
de leurs rois.
Si la mouftache étoit très-agréable aux guerriers
, on poui;toit oublier qu’elle leur eft inutile j
mais elle eft très-incommode ,. très-mal-propre ,
& expofe plufieurs dfe ceux qui la portent, à des
maladies de peau fur la lèvre fupérieure.
L'auteur de Y Examen critique du Militaire français
a dit : « Je blâme infiniment l’uniformité »3 qu'on a voulu donner aux mouftaches. Par
» quelle bizarrerie veut-on que celui-ci, qui a
» les fourcils & les cheveux blonds , ait la mouf-
» tache noire ? Cela eft aufli ridicule que de vou-
« loir que tous les hommes fe reflemblaflent. On
« a pourtant tyrannifé les grenadiers & les cava-
» liers, pour fe fatisfaire fur cet article , en fai- 33 fant poiffer les poils de la barbe fur la lèvre fu-
» périeure , avec le même cirage deftine aux
»? bottes : chacun doit porter la mouftache comme
»3 la Nature la lui donne. »
Comment concevra-t-on que M. de Bohan ,
qui avoue que l'on en eft venu jufqu'à tyrannifer
les grenadiers & les cavaliers 3 pour qu’iîs euflent
tous des mouftaches uniformes , & jufqu’à fe fer-
vir à cet effet du cirage des bottes, puifle con-
feiller de conferver cet ornement bizarre, accoutumés
, comme nous le fommes , à fuivre les modes
, même les plus ridicules ? Comment ne s'eft-
il pas élevé contre un ufage aufli nuifible qu'il eft
inutile & déplacé.
MUSIQUE. Nous allons donner fur cet objet,
que nous regardons comme allez important, des
réflexions d'un amateur dont on jugera facilement
le goût, la philofophïe & les connoiflances.
. Nous entendons ici par mufique militaire, non-
feulement l ’enfemble des inftrumens. de mufique
employés à la tête de nos troupes ,. mais aufli les
airs qu’ils y exécutent. Trois queftions fe préfen-
tent fur cet objet. Les inftrumens qui compofent
les mufiques de nos régimens, font-ils militaires?
Les airs que nos mufiques exécutent, ont-ils un
caractère propre à échauffer le courage de nos
guerriers ? Y auroit-il un moyen de faire produire
a nos ‘mufiques militaires tout l'effet qu'on en a
efpéré ?
Les fons pleins, mâles & bruyans, étant les
plus convenables pour peindre les mouvemens
d’qne ame qui s'élève au deflus des dangers,
plane fur les abîmes, & tour-à-tour s'avance de
fan g - froid ou s'élance impétueufement vers la
g'oire j ils doivent être les plus propres à faire
naître dans nos âmes les pafiions vives & ardentes
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néceflaires aux guerriers , & même cette fermeté
inébranlable, qui ne lui eft pas moins utile. On au-
roit donc dû n'admettre , dans nos mufiques , que
des inftrumens capables de rendre des fons de
cette efpèce j & cependant prefque tous ceux dont
elles font compofées, ne peuvent guère infpirer
que des affections, ou tendres, ou douloureufes,
ou une joie innocente & pure.
Quel infiniment a le fon plus lugubre que le
baflon ? Confultons les ouvrages de nos compofi-
teurs î voyons dans quelle occafion ils ont employé
cet inftrument, & nous le trouverons toujours
confacré à peindreJa plus fombre triftefle.
Les cors donnant un ton de chafle, feroient
peut-être aflez militaires } mais le goût a proferit
ces fons plus brüyans qu’agréables > .& le c o r , entre
les tnains de nos grands maîtres , n’eft devenu
qu’un inftrument tendre & touchant.
Le hautbois eft bien mieux placé dans une fête
villageoife, à la tête d’ une troupe de bergers,
qu'à celle d'une troupe de foldats.
La trompette nous paroît peu digne du nom de
guerrière , dont les poètes l'ont décorée. Peut-
être celle des anciens rendoit-elle des fons plus
pleins & plus éclatans j mais des fons grêles , aigres,
& le plus fouvent faux, ne peuvent avoir
d’autre expreflion que celle qu'ils reçoivent d'un
antique préjugé.
Les clarinettes ont fans doute un timbre plein
& fonore , foit dans le bas, foit dans le médium
de leur diapafon ; mais on leur fait perdre fouvent
cet avantage en les élevant au deflus de la fécondé
oétave : les fons en deviennent alors nafards &
toujours triftes , s’ ils ne font pas défagréables.
Puifque les mufiquesqui font à la tête de nos
troupes , ne font compofées d'aucun inftrument
vraiment militaire, il en réfulte néceflairement
qu'elles font peu propres à l'effet auquel elles
font principalement deftinées.
Mais n'avons - nous point des inftrumens plus
militaires que ceux dont nous faifons ufage ? Nous
en avons, mais nous n’avons pas daigné nous en
fervir, ou nous les avons relégués dans ce que
nous appelons là petite mufique ; tels font les fifres
, les petites flûtes ou o&avins, les triangles,
les tambourins, les cymbales, les tambours même j
telles furent encore les timbales : un fon majestueux
, quoiqu’aflez fourd, l'aptitude à marquer
les cadences mufîcaleS'i en rendoient l’effet impo-
fant j les grofles caifles les remplacent jufqu'à un
certain point.
Si quelqu'un étoit furpris de cette efpèce de
prédilection que nous accordons à des inftrumens
prefque barbares, comme les cymbales, les triangles
, &c. 5 s'il s’étonnoit que l'on refufe à ceux
qui tiennent le premier rang dans nos troupes , le
droit de peindre le courage, qu’il confulte les
chefs-d’oeuvre de nos compofiteurs $ ce n'eft pas
dans les airs guerriers qu’ils ont fait taire les violons
, pour ne faire entendre que nos prétendus
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inftrumens militaires. Si les clarinettes , les cors
& les baflons euflent eu un caractère guerrier,
M. Grétri les auroit-ils employés feuls dans fon
tableau magique de Zémire & A[or ? A-t-il manque
fon effet, en leur faifant accompagner des chants
triftes & plaintifs ? Avec quel fuccès M. Gluk
n 'a - 1 - i l pas employé les cymbales, les triangles
, les petites flûtes, pour peindre le courage
ou la férocité.. O u i , ce n'eft qu’en employant
feuls ces derniers inftrumens, ou bien en les mêlant
avec ceux qui compofent nos grandes mufiques
, que nous pouvons efpérer de faire naître
dans le coeur du foldat les paflions que nous fom-
mes intérefles à y trouver.
Mais fuffit-il de faire ce mélange d’inttrumens ?
Ne faut-il pas encore que les airs exécutés par
les mufiques militaires aient un cara&ère propre à !
l’effet qu'on veut produire ? Avons-nous , en un j
mot, été jamais jufqu'ici plus adroits dans le choix
des airs, que dans celui des inftrumens ?^
Les airs adaptés à notre mufique militaire ne
font guère plus faits que nos inftrumens, pour
exciter le courage de nos loldats : la plupart de
ces airs font pris au hazard dans nos opéras , &
fouvent ils y étoient placés en des circonftances où
le compofiteur n'avoit jamais rien moins eu en vue
qu’un air militaire. Des marches religieufes ou
villageoifes, des airs deftinés à accompagner les
mouvemens d'un peuple , ou tranfporté de-joie,
ou accablé de triftefle, tels font les airs qu’on'
exécute indiftinétement à la tête de nos troupes.
Si quelques marches ont été compofées pour nos
bataillons , l'auteur n’a eu le plus fouvent en vue
que de faire un air agréable & bien cadencé , une
mefure & un mouvement déterminés : la régularité
des phrafes muficales, deux croches, dont la
première eft pointée , & la fécondé fuivie d une
noire , cela feul a fuffi parmi nous a déterminer le
cara'&ère d’ une marche.
Notre mufique militaire ne pouvant donc, telle
qu’elle eft aujourd'hui, être de quelqu'utilité pour
infpirer le courage à nos troupes , doit-on la fup»
primer ? Non fans doute : la mufique rompt la longue
monotonie des exercices j elle en adoucit &
en fait fupporter plus facilement les fatigues ; elle
peut donc être agréable : cherchons à la rendre
utile.
Remarquons d'abord que , dans la plupart des
occafions où l'on prend les armes, en tems de
paix, la mufique n'a alors d autre objet que de
régler les pas & d'égayer le foldat : la parade, les
exercices ordinaires , l 'arrivée d une troupe dans
une ville où elle doit fejourner , voila des occa-
lions ©ù toute efpèce d'air agréable & bien mefure
pourra fuffire, pourvu qu'on évite avec foin tout
air tendre , tvifte ou efféminé.
Mais c’ eft principalement dans les camps que la
mufique doit s'adreffer au coeur du foldat : il eft
même des inftans , pendant la paix, où 1 on doit
faire naître l’illufion dans fon ame , lui préfenter
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limage de la gloire, & exercer ainfi fon activité,
qu’un long repos pourroit anéantir.
Ce feroit dans les exercices à fe u , lors de l'entrée
d'une troupe dans un fort ou dans une ville de
guerre, que la mufique devroit cefler d'être indifférente
, & qu’elle devroit exercer toute la
plénitude de fa puiflance 5 mais quels feroient les
moyens à employer pour remplir cet objfet ?
La mufique, agit de deux manières, par fon
expreflion propre , & comine un ligne qui nous
rappelle des fenfations que nous avons autrefois
éprouvées, : réunifions ces deux puifiances de la
mufique , & elle produira, fur nos guerriers, l’effet
que nous avons.lieu d'en attendre.
Afin que la mufique militaire agiffe par fon expreflion
propre, on demanderoit aux compofiteurs
les plus célèbres un air de marche, on leur feroit
connoî re tout l ’intérêt qu'on y attache. Cette
marche auroit un cara&ère de fierté : les piano de
cet air ne feroient pas remplis par des chants tendres,
ainfi que dans les marches ordinaires , mais
par l’expreiiion d'une férocité concentrée , dont
les accens , croiffant peu à p eu, fe termineroient
par un uniffon de toutes les parties, ou par un
chant fimple, noble & fier , accompagné par les
accords les plus fimples : les modulations en mode
mineur y feroient foigneufement évitées , à moins
qu'on ne leur donnât un cara&ère ferme. Point de
folo pour les cors, encore moins pour les baflons :
ces paflages font néceflairement, ou tendres , ou
triftes ; les clarinettes s eleveroient peu au deflus de
leur fécondé oétave, pour conferver leur fon plein
& éclatant s des batteries à la leconde clarinette
feroient d’ un bel effet, pourvu que le nombre des
premières clarinettes fuffît à bien faire entendre
l'air ; enfin, cette marche guerrière feroit accompagnée
par deux tambours au moins, les cymbales
, les triangles , quelques o&avins, &c.
Mais le moyen le plus propre à rendre utile
notre mufique militaire, feroit fans doute de h
faire agir comme un ligne qui rappelleroit à l'ante
de nos guerriers les fentimens dont ils ont été
enflammés. On fait avec quelle force un-'air nous
retrace la fituation où nous étions Iorfque nous
l'avons entendu : plus cet air a été répété dans
les mêmes circonftances, Sc plus l ’effet en eft puif-
fant. Jean-Jacques , attendri & verfant des pleurs
en chantant l'air, favori de fa nourrice j les Suifles,
ne pouvant retenir leurs larmes , & la plupart
d'entr'eux abandonnant leur drapeau au fon du
ran0 des vaches, font un exemple frappant de cette
vérité. Pourquoi ne mettrions-nous pas à profit
cette propriété de la mufique ? Que chaque corps
ait une marche compofée fur les principes que
nous avons établis ; qu'elle foit aflez courte pour
fe graver toute entière dans la mémoire du foldat ;
qu’elle foit reçue avec folennité, & annoncée par
cette courte harangue : Soldats , vous entendre[ cet
air toutes les fois que vous marcherez a Vennemi ,•
qu'on ne l’emploie jamais, qu'il foit même très