
PIRRHUS. Pirrhus eft le premier ennemi des
Romains, dont les forces foient connues d’une
manière précife , & dont on puiffe tirer des
objets de comparaifon fur la puiflance & les
progrès militaires des Romains. Ce roi. avoir
fur la guerre toutes, les lumières théoriques- &
pratiques , qui étoient répandues dans-là Macédoine
& la Grèce ; il pafloit pour l’ un des premiers
capitaines de fon fiècle, & on le met
encore aujourd’hui au. nombre, des plus/ grands
généraux.
Pirrhus fat frappé d’ étonnement en voyant
les légions romaines > & furtout leur manière
de camper. Illivra plufieurs combats aux troupes^
de la République-, fans être jamais» complette-
ment viâorieux ; il les inftruifit ; mais convaincu
.qu’ il tentoit vainement de faire des conquêtes
aurdelà-de. la mer d’Ionïe , i l reprit la-
route de fes-Etats.-
Après Pirrhus j . on voit paroître les 'Carthaginois
; ce peuple-eft du petit nombre de ceux
qui eurent le talent, .ou plutôt.le'malheur défaire
la guerre fans devenir guerriers , & qui
remportèrent au-dehors des-victoires figrralées ,
tandis que l’ennemi le. moins redoutable pou-
voit les fubjuguer chez eux. Ils devinrent rivaux
des Romains •> & ils cherchèrent après avoir
tenté de les détruire, à mettre des obftaclés ■
à leur puiffance j jufqu’au. moment, où, ils furent
eux-mêmes -détruits, _
Dès la première guerre entre; ces deux républiques
3 . on crut voir les Carthaginois vainqueurs
, ils avoient toutes les reffources d’une
grande nation qui poflede de vaftes domaines,
une marine confidérable, de., grandes armées
fur pied , & qui ne. portoient pas la guerre pour
la première fois loin de la métropole- Le domaine
de Rome au contraire étoit fort petit, fes fujets
montroient de. la valeur ; mais jufqu’alors ils
avoient feulement combattu leurs voifins , q u i,
quoique fubjuguési étoient .peu difpofés à fournir
beaucoup.de.-.fcldats , & Rome fe trouvoit fans
commerce & fans revenus, 5 des détachemens
tirés chaque année, des claffes du peuple-for-
moient toute fon armée, elle avoir pour généraux
fes magiftrats , elle manquoit de vaiffeaux,
elle connoiffoit peu la navigation, & elle u ’ayoit
jamais fait: la guerre loin de.Ies foyers. .
Malgré ces défavantages., les Romains .eurent
des fuccès fur ter e ; .mais pour lés.affurer &
en avoir de nouveaux , il leur fallôit une marine 5
ils en formèrent une avec une rapidité inconcevable
, & après avoir battu une- efcadre ennemie
fupérieure en, nombre , ils parurent-jusqu’
aux portes de. Orthage ; & à la fin de leur
première guerre hors de l’Italie ,.ils_fe trouvèrent
les maîtres de toutes les poffeflions des Cartha
ginois, dans les îles qui avoient été la caufe.
des premières hoftilités.
Leurs moeurs contraftoient fînguliérement avec
les moeurs des Carthaginois , fur lefquels ils
venoient de remporter- des victoires-. Ils mépri-
foient les richeffes,. ils refpeâoienr ceux qui
rendoient des fervices fîgnalës à; leur pays, &
non pas ceux qui jouiffôient d’une grande fortune.
Des hommes du premier mérite s’adon-
noient à l ’agriculture Scvivoient du fruit de leur-
travail; on alloit les cherchera la charrue pour;
leur confier le commandement de l’armée.
Quels puiflTans moyens, .joints a u x récompenfes
dont nous avons parlé, pour exciter cet errthou—
fia-fme patriotique, fans lequel le -courage, la
valeur, la fcience;même, font bien peu d.
chofes, & qui doivent être regardés comme les
caufes premières des ^progrès de là fciénee mili-.
taire chez les Romains & de tous leurs fueeès.
Cependant les Carthaginois ne fe trouvoienr
plus dans la d être {Te qui. les avoit réduits à
accepter les conditions défavantageufes^du dernier
traité de paix ; ils • fentoient tout le poids-
de ce traité ; le voifinage- des Romains avoir
toujours oppofé une barrière infurmontable à
leurs progrès, & leur averfion ik leur reffentiment
cherchoient avidement une occafion d’éclater.
Hamilcar , l’ un dé lèurs généraux, forma
le projet de l’iBvafiôn de l’Italie; & pour mieux-
lé remplir il leva des armées, & il les exerçoit
en Efpagne quand il y mourut.
ANNIBAL. Annibaifon fils lui füccédà ; il avoit
une haine implacable pour les Romains, & il
auroit exécuté les projets de fon p ère, quand"
ils auroient été encore plus vaftes ; il continua
d’abord les opérations commencées en Efpagne-
, par fes prédéceffeurs , & il les ■ finit-par le
fiège de Sagunte. C ’étoit un aéte d’hoftüité
contre, les Romains ; mais Annibal vouloir afler
porter la guerre en Italie : & pour ne pas lai fier
aux Romains une place d’armes & un allié
puiffant dans le pays qu’ il alloit quitter, il
. falloit conquérir Sagunte ; après l’avoir détruite,
il fit fes difpofitions pour - mettre l’Afrique &
l’Efpagne en fureté, & il prévint fes foldats
de feL préparer à une marche pénible. Annibal
- pour aller d’Efpagne en Italie j devoir tra-
verfer des montagnes effrayantes & des pays
• habités par des nations farouches & barbares,
qui ne voudroient peut-être pas-accorder le
palfage à . une armée étrangère. .
Frappés de ces obftaclés ^ quelques hifto-
If riens ont exalté le, courage d’Annibal j .d’autres
,ont blâmé cette expédition j cependant ce général
.avoit probablement réfléchi mûrement à une
lentreprife, projettée d’abord par fon père ,
& fur laquelle fans doute il lui avoit laine fes
.réflexions & fes plans.
Il voyoit fans doute aufli le pays qui eft le théâtre
de la guerre, être communément expofé à de
grands défavantages, obligé de nourrir tout-
'à-la-f®is l’armée ennemie & la fienne^, expofé
à la dévaluation , aux troubles, aux défordres ;
.les confeils du fouverain y font irréfolus. D’ailleurs
la foibleffe d’une nation puiffantè au
dehors, fe dévoile fouvent au moment où on
l ’attaque chez e lle , & la contrée envahie perd
toujours la moitié de fes moyens.
Annibal en s’avançant en Italie, imaginoit
d’ailleurs avec raifon de diminuer les reffources
de la république & d’ augmenter les fiennes ;
des parties mal cimentées compofoient alors •
la puiflance romaine i & le moindre choc fem-
bloit devoir la détruire. Annibal comptoit aufli
fur fes talens , fur la bravoure & la difcipline
de fes vétérans ; quelques vi&oires dans fon
efprit dévoient fuffire pour faire éclater les
•divifions qui germoient en Italie, & ébranler
la fidélité de ces alliés qui compofoient une fi
grande partie de la force romaine. Enfin il cou-
roît peu de rifques en comparaifon des avantages
qui paroinoient être aflurés à Carthage
par cette vafte entreprife ; il expofoit une armée
à la vérité , mais même en ne réutfiffant pas
il devoit faire beaucoup de mal à l’ennemi,
& porter bien peu de dommages à fa patrie.
Malgré toutes ces raifons, en apparence fi fédui-
faqtes, on eft obligé d’ en convenir, fi les Romains
avoient mis une plus grande activité, d’abord
à fecourir Sagunte, enfuite à veiller fur les
démarches d’ Annibal,-ils auroient pu non-feulement
empêcher la prife de cette ville ^ qui
fe défendit huit mois, mais encore fuivre le
général.carthaginois , l’inquiéter dans fes marches
en Efpagne ; s’oppofer à fon palfage du Rhône,
le harceler , le fuivre jufqu’aux pieds des Alpes ;
& s’ il avoit furmonté toutes ces difficultés,
l’empêcher d’entrer en Italie, en s’emparant du
peu de palfage praticable pour y pénétrer.
Ces réflexions qui paroilfent très-naturelles ,
n’empêchent pas d’être obligé d’admirer l’en-
treprife d’Annibal, comme celle d’un grand
homme de guerre, fous tou-s les afpeéts militaires
& politiques ; & il faut l ’avouer , jufqu’à
préfent, nous n’avons rien vu dans l’hiftoire
militaire de la Grèce qui annonçât des con-
noilfances aufli vaftes dans l ’une & l’autre partie ;
encore ferons-nous forcés de nous étor-ncr davantage
en avançant dans les détails de.cette fécondé
guerre .punique.
Annibal s'avança fans obftaclesjufqu’ârHbbre.,
i! combattit enfuite jüfquJau-delà des Pyrennées.
arrivé fur lés bords du Rhône , il’le pafla malgré
les - obftaclés que voulurent y mettre les habi-
tans , & il te trouvoit fur la rive orientale
de ce fleuve, & füv le point de pouffer fa
marche vers les Alpes., lorsqu'il apprit l’arrivée
d’une armée romaine à Marfeillej cette nouvelle
lui fit hâter Ton départ, dans la crainte, fans
doute, d’étre forcé, fi les Romains l’atteignoienr,
d’établir dans la Gaule le fiège de la guerre.
Ce qui fert à prouver combien les Romains commirent
une faute irréparable en mettant une
fi grande négligence fiç autant de lenteur à s’oppofer
aux projets d’Annibal.
Enfin le générai carthaginois, après des peines
incroyables, arriva dans l’Italie avec vingt mille
hommes de pied & fix mille cavaliers ; après être
parti de TEipagne à .la tête de quatre-vingt dix
mille hommes de .pied 8c douze mille cavaliers.
; Cependant, le conful romain qui n’avoit pas
: pu joindre Annibal fur les bords du R hône ,
s’étoit hâté de revenir en Italie, 8c avoit joint
fes ennemis fur les .bords du T e fin , où la cavalerie
.romaine fut battup ;par la cavalerie efpa-
gnole 8c africaine. Convaincu probablement de
la fupériorité de la cavalsrie d'Annibal , le
conful réfolut de quitter les plaines ; il repaffa
le Pô ; 8c afin d'arrêter les Carthaginois, il
prit pofte fur les bords de la T réb ie , où vint
le joindre un autre confuL romain, ce qui rétablit
l’égalité dans lés forces refpeêtives, 8c empêcha
les naturels du pays de fe déclarer pour
Annibal, qui probablement avoit compte les
ranger tout de fuite fous Tes drapeaux. Cette
méprife, jointe aux circonftances où il fe trouvoit
, l’obligea à prendre des réfolutions violentes
8c dangereufes : convaincu de ne pou-
yoir pas prolonger la guerre, il chercha les
occafions de livrer une bataille. Heureufement
pour lui 8c màlbeureufement pour les Romains ,
Fes deux confuls ne penfoient pas de même;
Scipion vouloir temporifer, mais Sempronius
qui voyoit dans ces précautions, la terreur inf-
pirée par une première défaite, montrait aux
Cavrhaginbisle défit d’ en, venir aux mains ; c ’éroit
entrer dans les vues d’Annibal, qui probablement
avoit prévu cette manière de fe conduire ,
d’ aptes, la connoiffance qu’ il avoir _ grand foin
de fe procurer du caraâère des généraux ennemis.
En copféquence, il prit des mefures
pour livrer .bataille dans une pofition avan-
tagcule.
Ba t a -ille -de l a TRÉBrE. — Annibal .avoir
devant lui une plaine coupée _ par la T r é b ie ,
qui féparoit lés deux armées, il defiroit attirer
i les Romains du côté où il fe trouvoit, 8c com-
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