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confédérés qui faifoient le fiége de Parme : fes
incertitudes hrent leur falut , & un renfort de dix
mille Suiffes qu'ils reçurent, leur rendit leur fupé-
riorité : ce fut ce même vice qui caufa, en 1 5 1 8 ?
la mort de ce général avec la perte de l'armée qu'il
commandait j & celle du royaume de Naples que
nous avions conquis.
La lenteur fut encore le vice dominant du connétable
Anne de Montmorenci : il réuffiffoit allez
bien à fe défendre} mais jamais il n'eut affez d'activité
pour attaquer & vaincre.
Le célèbre duc de Guife éprouva en 1557 les
funeftes effets de la lenteur : fon expédition fur
Naples fut malheureufe, parce qu'il confomma
deux mois à Rome au fein des plaifirs , & qu'il
perdit beaucoup de tems à prendre une petite
ville dont la pofTellion étoit peu importante pour
lui.
Une des principales caufes de la défaite du marquis
de Feuquières devant Thionville , ce fut la
lenteur qu'il mita raffembler fes troupes & à fe
retrancher : fes forces étoient fans doute peu proportionnées
à l'objet qu'il avoit à remplir , mais
c'étoit là même une raifon de plus de recourir à
l'aéfcivité.
Ce fut la lenteur du marquis de Rochefort qui
^empêcha Louis XIV de fe rendre maître de la
Hollande entière 5 ce général, qui, quoique brave,
redoucoittrop les événemens, marcha fur Muydem
avec trop de lenteur} il donna le tems aux Hollandais
de munir cette place, & de revenir de l'étonnement
dans lequel les conquêtes de Louis XIV
les avoient jetés.
Eugène & Malborough ne fe réparèrent du
marquis de Bades que parce qu'il étoit trop lent
à fe décider , même dans les momens les plus dé-
cififs ; ils crurent , avec raifon , que leur activité
fuppléeroit aux forces dont ils fe privoient.
LEVER DES PLANS. L’art de lever des plans
eft un des plus néceflaires à un militaire. Il eft
bien difficile de rendre un compte exaét d'un
terrein que l'on a parcouru, d'une reconnbiffance
que l'on a faite, fi l'on n'a pas confervé au moins
un croquis bien léger des objets qu'on a vus.
Comme à la guerre on n’a prefque jamais le tems
de faire ufage ni des inftrumens que l’on emploie
communément pendant la paix, ni des moyens
indiqués par la trigonométrie , tout officier defî-
reux de rendre à fa patrie des fervices utiles, &
d’obtenir, je ne dis pas de la gloire, mais cette
confidérarion qui quelquefois mène à l'avancement
, & qui toujours flatte & fatisfait celui qui
l’obtient après l'avoir mérité, s’exercera, pendant
la paix , à lever des plans avec fes yeux feuls
pour alidades, & fes jambes pour compas. Afin de
parvenir à acquérir cette rectitude de coup-d'oeil
& une grande précifion dans fes opérations, il lèvera
fouvent des plans à vue & au pas, à pied ou
a cheval j il rectifiera enfuite fes erreurs avec des
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inftrumens. Quelques jours deflinés chaque année
à cet exercice auffi agréable qu'il feroit utile, lui
rendroit bientôt aifé l'art de lever les plans fans-
le fecours d'aucun infiniment. N’oublions pas que
nous devons à la foule de fecours que les arts
nous préfenteqt, un grande partie de la foibleffe
ou de la mal-adreffe de nos membres & des erreurs
de nos fens. ( V o y e \ Pay s , S u p p lém en t. )
LIBÉRALITÉ. Pour faire connoître les avantages
de cette vertu pour les chefs militaires,
nous nous bornerons a citer quelques exemples
des généraux ou des princes qui l’ont exercé avec
fuccès;
Le roi Charles IX ayant fait préfent d’une groffe
fomme d’argent au maréchal de la Vieux ville ,
celui-ci la diftribua au marquis d'Epinay et de
d’Ailly , leur faifant accroire que le roi leur fai-
foit des préfens pour leurs bons fervices.
Lors de la conquête de Naples par Gonfalve,
quelques foldats fe plaignirent qu’ils n'avoienc
point eu part au butin j eh bien ! leur dit le général,
»il faut que ma libéralité vous dédommage de
votre mauvaife fortune} allez chez moi, & pillez-
y fans fcrupule ce oui m’appartient} je vous le
permets, & je vous donne tout ce que vous trouverez
dans mon palais.
Lorfque le dauphin eut prisPhilisbourg, le duc
de Montatifiér, qui avoit été fon gouverneur, lui
écrivit : Monfeigneur, je ne vous fais pas decom-
1 ment fur la prife de Philisbourg} vous aviez une
onne armée, une excellente artillerie & Vauban}
je ne vous en fais pas non plus fur les preuves que
vous avez données de bravoure & d’intrépidité} ce
font des vertus héréditaires dans votre maifon $
mais je me réjouis avec vous de vous favoir généreux,
humain, libéral, & faifant valoir les fervices
d'autrui en oubliant les vôtres} & c'eft là vraiment
ce qui mérite des complimens.
Lorfque l'on confia à Turenne le commandement
de l’armée d'Allemagne, elle manquoitd'habits
& de chevaux} il lui en fournit à fes dépens.
Pendant qüe M. d’ Eftaing commandoit dans les
Indes, des foldats fous fes ordres s'emparèrent
d’une cadette remplie de bijoux & de diamans ;
M. d’Eftaing crut qu’il devoit rendre cette caf-
fette } mais pour ne point fruftrer fes foldats de
l'argent qu’ils efpéroient avoir de cette prife , &
pour ne point exciter leurs murmures, il leur
abandonna la part des prifes qui lui revenaient.
LIBERTÉ. On lit, avec étonnement, dans Thiftoire
militaire des anciens & des modernes, ks
aétes de courage & les efforts prefque furnaturels
qu’ont-faits certains peuples , par le defir de con-
ferver leur liberté ou celui de l’acquérir. Dès l'inf-
tant où les Athéniens eurent fecoué le joug fous
lequel ils gémilfoîent, ils furpaffèrent tous les autres
peuples par leur bravoure. Auffi long-tems ,
dit Hérodote, qu’ils fe trouvèrent dans l'oppref*
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fién , ils agirent avec moleffe, bien convaincus
que leurs victoires ne procureraient des avantages
qu’à leurs maîtres } dès l’inftantau contraire où ils
eurent recouvré leur liberté, chaque Athénien
crut ne plus combattre que pour lui-même.
Sans la liberté, l’amour de la patrie ne peut exif-
ter, parce que la valeur n'a plus d'objet.
Créez une efpèce de liberté aux yeux de vos
foldats, qui puiffe être un aiguillon fuffifant pour
leur courage 5 faites-leur voir une armée comme
un peuple indépendant, n'ayant de règle que celle
de la difcipline} de chefs, que la lo i} d’héroïfme,
de paffion , que les armes} de gloire, que les exploits
} de besoin, que les vi&oires.
LIGNE D’OPÉRATION. C’eft d’après le général
Lloyd que nous allons parler de la ligne d'opération.—
Les idées grandes & juftes de cet écrivain
fur les effets de la ligne d’opération , nous
ont déterminés à confacrerà ce mot une place dans
ce fupplément.
Le général Lloyd donne le nom de ligne d'opération
à la ligne qui unit entr’eux les différens ma-
gafins qu'on a formés pour alimenter une armée.
Un général doit fe demander, avant de raffem-
bler fes troupes, quel eft l’objet qu’il a à remplir,
ou, ce qui eft la même chofe , quel eft le point
où il doit fe rendre } cette première queftion. ré-
folue, il doit fe demander quel eft l’endroit d'où
il doit partir , quel eft le chemin le plus court &
le plus facile qu'il doit tenir. Un mot répond à la
principale de ces queftions : on doit partir du point
le plus rapproché qu'il eft poffible de l’endroit où
l'on veut aller} mais s’il eft aifé de donner à cette
ueftion une réponfe fatisfaifante, il eft infiniment
ifficile d'appliquer la théorie à la pratique.^
C'eft cependant du bon choix de ce chemin que
dépend le fuccès des guerres, tant offenfives que
défenfives. Ce chemin commence à l ’endroit où
l'on a raffemblé tous fes magafins & fon armée ,
& finit à l’endroit où l'armée doit agir. Comme
Ton ne peut efpérer de trouver fur ce chemin des
fubfiftances néceffaires à une armée, on eft obligé
de déterminer d'avance fur la longueur des points
fixes où Ton établira des magafins de vivres & de.
munitions de.guerre $ points d'où partiront les convois
deftinés à alimenter l'armée : ces points fervent
de bafe aux opérations} ils doivent conduire
dans une guerre offenfive, vers d'autres^ points
donnés fur vos frontières ou dans l'intérieur de
votre pays.
Dans la guerre offenfive, une feule ligne d'opération
fuffit : fa dire&ion doit être telle, que l'ennemi
ne puiffe agir fur elle }. ce qui arriveroit s'il
étoit maître des provinces qui fe trouvent fur la
droite ou fur la gauche de votre marche 5 car alors
plus vous avanceriez , plus vous afflueriez votre
perte } bientôt, n’ayant plus de communication
avec vos dépôts , votre ligne feroit détruite , &
vous feriez entièrement enveloppés &perdus.Dans
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ïa guerre défenfive, il faut avoir trois lignes d’opération,
qui foient toutes trois perpendiculaires au
terrein que Ton veut défendre} c’ eft fur la ligne
du milieu que Ton doit fe tenir conftamment, ou
du moins revenir toutes les fois qu’on le peut 5
ainfi on protège les deux lignes extérieures.
Le général Lloyd prouveenfuite que l’armée qui
opère fur la ligne la plus courte, doit, à mérite
égal, avoir à la longue beaucoup d’avantages sur
l’ennemi} car étant la plus rapprochée de fes dépôts
, elle peut entrer en campagne la première
agir plus long-tems avec plus de vigueur & d’activité
que celle dont la ligne d’opération eft la plus
longue. Il affirme qu’une armée conftituée comme
le font les nôtres , -ne peut agir fur une ligrie d’opération
de plus de trente lieues, à moins qu’elle
ne communique avec fes gros dépôts par des canaux.
Il va plus loin encore } il dit que cette armée
ne peut être plus de quinze jours dans fon camp,
n'eût-elle d'autres difficultés à vaincre que celles
qui naiffent de la diftance même , du mauvais état
des chemins, du mauvais tems & d'autres acci-
dens pareils. Il dit enfin : Placez feulement vingt
mille hommes d'infanterie & cinq mille chevaux:
dans une pofition d’où ils ne puiffent tirer leur fub-
fiftance que de trente lieues,& ils feront contraints,
avant une.femaine, de venir eux-mêmes chercher
leurs convois, ou de périr, ou de fe difperfer. De
toutes ces Obfervations, il conclut qu'il n’y a peine
d’armée, grande ou petite, qui puiffe agir fur un&
ligne d’opération de trente lieues, fi l'ennemi eft
en état de' tenir la campagne, & s’il a la prudence
d’éviter une bataille générale. Si lés difficultés x
. ajoute-t-il, font toujours en proportion de la longueur
de la ligne d’opération, il s'enfuit que l'armée
qui agit fur la ligne la- plus courte, doit avoir
à la fin tout Tavanrage , en la fuppofant même
très-inférieure, pourvu qu'elle foit.conduite avec
prudence & avec activité.
Cette opinion du général Lloyd acquiert une
bien grande force toutes les fois que Ton fait paf-
fer devant fes yeux Thiftoire militaire du Monde*
Partout & dans tous les tems on voit ces raifon-
nemens confirmés par les faits. Les exemples font:
& fi frappans & fi conftans , que Ton affirme fans
héfiter , qu'il eft poffible, en calculant la ligne
d'opération de deux armées, de prédire, non pas-
quel fera le deftin d’une bataille , mais quel fera»
celui d'une guerre entière. Qu'on daigne jeter les-
yeux fur les événemens qui fe font paffés de nos-
jours , & fur ceux dont Thiftoire nous a tranfmis
le'fotfvenir, & Ton fe convaincra de la vérité de
cette grande & belle obfervation.
Le général Lloyd confeille, d’après ces réflexions,
à tout général qui s’avance dans le pays:
ennemi, de faire conftruire à fept lieues au plus
de l’endroit où eft fon armée, un camp retranché
qui devienne fon gros dépôt : de là-, dit-il, vous
pourrez, fans obftacle & fans difficulté , amener
vos convois à votre camp j ce que vous ne pour