
Qu'eft-ce que nos principes naturels, dit Paf-
cal, fînon nos principes accoutumés? Dans les en-
fans ; ceux qu'ils ont reçus de la coutume de leurs
pères , comme la chafTe dans les animaux.
Une différente coutume donnera d'autres principes
naturels 5 cela fe voit par l’ expérience 3 &
s'il y en a d'ineffaçables à la coutume, il y en a
aufli de la coutume ineffaçables à la Naturë} cela
dépend de la difpofition.
La coutume eftune fécondé Nature qui détruit
la première 5 la Nature n'eft probablement elle-
même qu'une première coutume, comme la coutume
eft une feccnde Nature.
Les habitudes, dit Condillac dans fa logique,
font des mouvernens réglés qui fe font en nous fans
que nous paroiflions les diriger, parce qu'à force
de les avoir répétés, nous les faifons fans avoir
befoin d'y penfer. *
C ’eft, dit Montaigne, une violente & traîtrefie
maîtrefie d'école, que la coutume 3 elle établit en
*»ous peu à peu à la dérobée, le pied de fon autorité
j mais par ce doux & humble commencement,
l'ayant rafli & planté à l'aide du tems, elle
nous découvre tantôt un furieux & tyrannique vi-
fa g e , contre lequel nous n'avons plus la liberté
de hauffer facilement les yeux.
Il faut aufli remarquer que les habitudes d’ un
âge nous abandonnent à un autre.
La jeun elfe change fes habitudes par l'ardeur
des fens, & la vieilîeffe garde les fiennes parce
que les fens ne les lui difputent plus.
L’imitation & l'habitude font deux grands mobiles
des aérions humaines } elles ont leur origine
dans la nature de l'homme & dans fes intérêts.
En comparant le nombre des actions qu'elles font
faire, lé nombre d'hommes qu'elles gouvernent,
l'efpace de tems pendant lequel elles ont gouverné
le monde, aux aétions, aux hommes, aux tems
qu'ont gouvernés lespaflions, & furtout la raifon,
on verra que l’empire de l'habitude & de l’imitation
eft le plus ftable & le plus univerfel : on ne
peut douter qu’ il ne foit en même tems le plus régulier,
le plus doux, le plus naturel 5 c’eft donc
fur lui principalement que la politique & la morale
doivent fonder leurs fyftèmes & édifier leurs
inftitutionsj c’ eftpar lui qu’elles peuvent conduire
les hommes fans baïonètes, les accorder fans tribunaux,
les rendre heureux fans.déception.
Mais.avec le fecours de l’éducation, qui doit
foigner les habitudes, les diriger, les infpirer,
l ’on peut tirer le plus grand parti des hommes,
furtout pour le métier fi pénible de la guerre.
■ Si la crainte d’être tue répand l’amertume fur
toutes les jouiffances de ceux qui font oxpofés à
c e danger, il faut faire en forte, non-feulement de
diminuer le danger en lui-même en multipliant
les chances heureufes, mais encore en favorifant
un enthoufiafme qui rend la mort infenfible, en
éloignant la liberté de l’ option, en compenfant
ce défavantage par des avantages plus grands, en
faifant en forte qu’elle n’abreuve que ceux pour
qui elle eft le moins fenfible.
On peut obtenir le premier moyen en multipliant
le nombre des citoyens deftinés à faire la
guerrej le fécond, en ayant une éducation qui
forme des êtres qui préfèrent la gloire & l’honneur
à la v ie , ou en faifant un devoir de la pro-
feflion dès armes à quiconque jouira de certains
avantages civils ou politiques.
On devient brave comme l’on devient couvreur,
matelot, & c . Veuillez faire tout de fuite
un conlViller d’un vigneron, il ne le pourra pas5
mais faites pafier cet homme de l’état de clerc à
celui de procureur, enfuite à celui de confeiller.
Propofez à un dragon qui vient de faire glorieu-
fement la guerre, de devenir charretier} il ne le
voudra pas.
La vertu languit quand on ne l’exerce pas, &
quand elle dort le vice s’éveille} c’eft-à-dire que
l’homme redevient ce qu’il eft naturellement, animal
timide, pareffeux & fenfuel.
Pour prévenir cette révolution, il faut perpétuer
l’éducation qui élève les âmes à l’amour du
bien qu’on peut préférer à la vie 3 pour que cette
éducation foit perpétuée, il faut qu’elle continue
d’être néceffaire } pour qu’elle foit néceflaire, il
faut que les occafions foient fréquentes de pratiquer
ce que l'on continue d’enfeigner} &- réciproquement,
pour que l’enfeignement foit utile &
les préjugés à l’abri de la froide ânalyfe, il faut que
l ’habitude fe joigne à l’enfeignement, pour rendre
facile & ordinaire ce qui répugne à la Nature,- &
ce qu’ il doit être honteux de ne pas faire.
Que la difcipline militaire devienne en partie
la difcipline civile, que la conftitution politique
fe monte en partie fur la conftitution militaire ,
que lés foldats redeviennent citoyens fans perdre
leur premier état, & que les citoyens redeviennent
foldats fans ce fier d'être le corps de la nation
, alors les chefs du peuple feront les chefs
de vos légions, les tribuns de votre milice feront
les chefs de vos cantons.
HACHE. La hache eft un outil infiniment rié-
cefîaire à la guerre dans une grande quantité d’occafions.
C'eft pour cette raifon qu'on croiroit
avantageux d’attacher à chaque bataillon, des
porte-haches armés d’une carabine 3 dans une action,
on pourroit les réunir pour faire le coup
de fufil en avant, fur les flancs ou dans les intervalles.
Dans d’autres circonftances ils travail-
leroiént & dirigeaient les travailleurs pour ouvrir
des chemins, faire des abattis , fortifier des
pofitions, couper les bois néceffaires pour l’armée,
faire des. paliflades, des gabions, des fafcines,
des ponts à chevalet, & c . &c.
HAIE.Si vous êtes obligés de pafler des haies,
protégez par le feu de quelques pelotons les
nommes deftinés à les couper.
Faites-vous un fourage, ne négligez pas de j
garnir les haies d’hommes deftinés à les défendre
& à empêcher les furprifes.
Si au contraire , dans une pofition defenfive,
vous ne pouvez pas tirer parti des haies comme !
abattis, ne manquez pas de détruire celles qui
feroient nuifibles & qui pourroient procurer des
points d'appui ou des abris aux affaiilans} mais fi
vous trouvez des haies dont vous puifiiez faire
ufage pour votre dëfenfe, faites un fofié, ou en
dedans, ou en dehors.
On doit aufli faire couper les haies qui pour-
roient embarrafler des colonnes ou de l'artillerie
dans leur marche ou leur développement.
HAINE. La haine eft une malveillance, une
averfion contre quelqu'un : cette paflion eft une
des plus malheureufes parmi des hommes deftinés
à vivre enfemble, tels furtout les militaires,
qui ne fauroient trop multiplier entr eux tous les"
liens de la fraternité & de l’amitié. Dominés par
cette paflion la plus fufceptible de troubler notre
raifon, nous fommes continuellement à la merci
de la perfonne que nous haillons } fa vue nous
émèut,. fon fouvenir nous agite : nous n y pen-
fons qu’avec dépit, & nous recevons par-la nous-
mêmes la peine du mal que nous voulons a autrui
i ainfi 1 homme haï eft tranquille, tandis que
la perfionne qui le hait eft continuellement tourmentée.
Combien nous fommes dans l’erreur ! Ah !
fi nous avons quelque chofe à haïr, que ce foit
Celte paflion fi dangereufe de la haine. Rappelons-
nous , comme le dit Charron, que toutes les cho-
fes ont deux anfes ^ par lefquelles on peut les
prendre 5 par l’une, elles nous paroifient g r ie v e s
& f>oiJfantes ; par l’autre, a if é e s & lég èr es . Appliquons
- nous donc'à prendre les chofes par la
bonne anfe, tic nous trouverons qu’il y a toujours
quelques objets dignes de notre attachement
dans les perfonnes que nous accufons &
que nous haïflons, & nous plaindrons la perfonne
qui nous oftenfe, au lieu de Ja haïr. N eft-elle
pas en effet bien à plaindre, puifqu'elle perd l'u-
fage de la raifon en offenfant un de fes fem-
blables ? O mes dignes frères d’armes I tournez
votre haine en pitié envers ceux dont vous auriez
à vous plaindre, & occupez-vous à les rendre
dignes d’être aimés, au lieu de vous permettre
la moindre haine contr’eux !
HARAS. C h e v a u x , troupes A c h e v a l . On
trouvera peut-être déplacé que nous regardions
comme important de s’occuper des haras dans un
Di&ionnaire militaire 5 mais, d’un côté, la guerre
nécefiîte une fi grande,quantité de chevaux pour
la cavalerie , l'artillerie, les vivres, les équipages,
&.c. 5 d’un autre côté, nous fommes fi
convaincus que l’on devroit faire, des haras une
partie eflentielle des établifîemens militaires, que
sous avons regardé comme un objet très-intérefiant
les haras négligés, depuis fi long-tems, .&
méritant plus que jamais l’attention du gouvernement.
D'ailleurs, jamais l'occafion ne fut plus favorable
pour traiter un objet qui intérefie le bien
général & particulier , depuis la divifion en de-
partemens , préfectures fous-préfectures, arrondi
fie me ns , cantons, &c.
En formant ces différentes divifions, on s’eft
donné des yeux pour voir jufqu'aux moindres ramifications,
& la nation eftafluree d'avoir des
moyens, non - feulement pour connaître, pour
difeuter tous les droits & tous les intérêts des
plus fimples citoyens, mais encore des facilités
pour porter à la fois, dans toutes les communes
& les établifîemens les plus recules , la protection
qui leur eft due, les fecours & les lumières
qui leur font néceffaires, ainfi que les travaux
qui peuvent leur être utiles.
D'après ces vérités malheureufement reconnues
trop tard, qui ne doit efpérer que les préfets
ne s occupent férieufement à veiller fur tous
les objets qui intérefîent la choie publique ? Qui
ne doit pas fouhaiter en même tems de voir établir
dans chaque département un haras confié à
des officiers de cavalerie, tiès-bons écuyers, auxquels
on donneroit pour palefreniers .des cavaliers
très-inftruits & très-excellens fujets? Dès-
lors plus de garde - étalons , & conféquemment
la deftruCtion de très - grands abus. Ces gardes
ne prennent ordinairement cette place que pour
jouir des rétributions & des privilèges qui y font
attachés, fe fouciant d’ailleurs a fiez peu que leurs
chevaux faflent des poulains ou non : quelques-
uns même d'entr'eux ne fe font pas de fcrupule
de faire des fraudes très-pernicieufes, & les privilèges
dont ils jouifiènt, font onéreux aux communes
dans lefquelles ils font établis.
Quant à l’utilité des haras, quel eft le Français
un peu patriote qui pourra apprendre avec indifférence
qu’il fort annuellement de la république
des fommes immenfes (1) pour fe procurer
des chevaux de chafle, de felle, de cavalerie,
de trait dont nous avons befoin, tandis que
de toute l'Europe la France a toujours été reconnue
pour le pays le plus propre à la propa-
gation tic à l'éducation des chevaux & qu'il
n’y a pas un feul de fes départemens où l’on ne
puifle établir des haras avec fucçès 3 cependant,
malgré des avantages aufli importans, non-feulement
on importe chez nous des chevaux de
toute efpèce , & nous n'en exportons d’aucune 3
mais à l’exception du cheval d’attelage normand,
(1) La France tire de la Oft-Frife plus de fix
cents grands chevaux de trait chaque année, coûtant,
Yun dans l’autre , quinze louis j ce qui fait
plus de neuf mille louis, fans les frais de route}
i {brume quelle pourroit aifément épargner.