Chaque légion avoit toujours un médecin ,
au temps des empereurs , & ces princes leur
accordèrent divers privilèges, tel que celui de
rentrer dans les biens qui leur auroient été enlevés
pendant leur fervice, & l'exemption des
charges civiles tant qu'ils étoient à l ’armée.
Auffi vit-on fe multiplier, fous les empereurs,
les abus & les vexations dans la partie fi elfen-
tielle des fubfiftances militaires.
Difcipline.
. La difcipline militaire doit régler ta conduite
des gens- de guerre, fixer leurs opinions & modifier
leurs préjugés. Qu on me donne, difoit
Pyrrhus , des Sibarites efféminés , des hommes
lâches ou corrompus , avec la difcipline j'en
ferai des guerriers valeureux > il avoit raifon :
la difcipline peut, jufqu'à un certain point, tenir
lieu de valeur & de courage. Marius &
Marc-Aurèle font obligés de recruter leurs armées
avec des gladiateurs , des efclaves, des
bandits j ils ont le talent de foumettre. ces
hommes à une difcipline févère, ils en font des
foldars valeureux, & ils donnent la loi à leurs
ennemis.
Comme la difcipline contrarie fou vent les volontés
, les defirs & les paffions de ceux qui
doivent s'y foumettre, il faut qu'elle foit fécondée
par la crainte & par l'efpérance.
Aucune des a&ions des gens de guerre ne doit
donc être indifférente y la difcipline doit les
pefer toutes avec foin, & placer en conféquence
leurs auteurs dans la lifte de ceux qui doivent
être récompenfés ou qui méritent d'être punis,
d'ou la néeeflité des peines,. 2°. des récom-
penfès.
La grande, la plus importante loi de la difcipline
, eft celle de l'obéifiTance»
Le nombre & la valeur ne peuvent pas toujours
remplacer la difcipline.
Auffi les nations guerrières ont-elles toujours
fournis leurs troupes à la difcipline la plus
exaéte.
I e . Peines che% les Grecs. Au fîége de Troye,
le chef de l’armée avoit droit de tuer les foldats
qui , par lâcheté , fe tenoient loin du combat.
A Lacédémone , celui q u i, ayant la garde
d ’une fortereffe, la rendoit à l'ennemi lorfqu'il
pouvoir efpérer d'être fecouru, étoit puni de
mort. Ceux, qui rendoient un polie & livroient
leurs armes étoient. notés d'infamie , déclarés
incapables d'exercer les emplois civils, d'acheter
& de vendre.
La punition du foldat qui avoit quitté fon
rang étoit de refter debout, en tenant fort
bouclier pendant un certain temps j ceux qui fe
glorifioient d1’une grande exactitude dans le fer-
vice , regardoient ce châtiment comme une
grande ignominie i celui qui perdoit fon bouclier
, encouroit la note d'infamie} celui qui
refufoit de combattre pour la patrie> étoit puni
de mort.
Dans Athènes, le général rendoit compte de
fa conduite à- la fin de fon expédition ; s'il n'a-
voit pas rempli fon devoir, il étoit condamné
à une amende. Quand fon bien n'y fuffifoit pas,
fes enfans en étoient refponfables jufqu'à ce que
la dette fût payée, ou que le peuple, devenu
plus indulgent, leur en eût fait la remife.
Un général convaincu de trahifon étoit condamné
à mort»
Tout citoyen qui négligeoit de fe faire inf-
crire fur le catalogue, ou de fe préfenter lorfqu'il
étoit appellé pour quelque expédition ,
étoit noté d’infamie. La loi défendoit qu'il gérât
aucun office , votât dans les affemblées du peuple
, entrât dans les temples , affiftât aux facri-
fices & cérémonies publiques j elle l'excluoit de
l'afperfion luftrale dans les affemblées , de
l’honneur d'obtenir des couronnes.
Il étoit défendu à tout citoyen de mettre fes
armes en gage, quoiqu’ elles lui appartinffent :
comme il ne pouvoit favoir fi la patrie auroit
befoin de fes fervices avant qu’il pût leS- retirer,
il s’expofoit à manquer au premier & au plus
faint de tous les devoirs > il en étoit puni fui-
vant l'exigence du cas.
Celui qui commettoit des excès & des violences
dans le camp, en étoit chaffé ignpmi-
nieufement. Le luxe étoit défendu dans les camps,
ceux qui le permettoient en étoient punis par
des impôts confidérables._
La désertion étoit punie de mort, parce que
déferter c'eft trahir l'Etat.
Le général avoit le pouvoir de releguer dans
un grade inférieur, & même d'afîujettir aux plus
viles fondions, l'officier qui défobéiffoit ou fe
déshonoroit. |
Pendant les manoeuvres, on infligeoit des
coups aux foldats indociles ou négligeas. Des
loix fi rigoureufes dévoient entretenir l’honneur
& la fubordination dans les armées ; mais dès
que l’Etat ce fia de les protéger , il n'en fut
bientôt plus protégé lui- même > la plus effen-
tielle de toutes, celle qui obhgeort chaque citoyen
à défendre fa patrie -, fut tous les jours
indignement violée. Les plus riches fe firent inf-
crire dahs la- cavalerie ; & fe difpenfèrent du
fervice, foit par des contributions volontaires,
foit en fe fubftituant un homme à qui ils re-
mettdient leur cheval.
Peines che[ les Roumains. La févérité de la discipline,
dit Valère Maxime, fut la'garde la plus
fainte de l'Empire romain. Elle f i t , dit C icé ron
, la célébrité de Rome ; elle a couvert cette
ville d'une gloire éternelle, elle a contraint la
terre d'obéir à fon empire.
La difcipline romaine eut ces grands effets
tant que l'amour de la patrie en fut la bâfe, que
les moeurs furent Gaintes, qu'on refpeéla la vertu
pauvre, que l'éclat des richeffes ne voila point
une vie honteufe, que les crimes furent détestés
, qu'on ne fit pas des vices un amufement,
& que la proftitufion, le v o l, l'adultère ne fu- -
rent ras appellés le Jiecte.
On connoît la févérité de Manlius, plus citoyen
que père , & celle de Papirias, qui ne
céda qu'aux fuppllcations du fénat & du peuple.
Ce furent ces grands exemples qui maintinrent
la difcipline dans les armées romaines pendant
plufîeurs fîècles. Ce fut la profonde impreffiofi
qu’ils avoient faite dans tous les efprits qui con-
lerva, dans le camp de Scaurus, cet arbre chargé
de fruit, 8c q u i, fous l’empire même, fufpen-
doït les coups de tous les foldats dans une ville
abandonnée à leur fureur.
Enfreindre la difcipline, c’étoit trahir la patrie.
Une punition févère & certaine rendoit
r-re cette efpèce de crime.
A mille pas de Rome, le général avoit fur toute
fon armée une puiffance abfolue. Il pouvoit juger
feul, & la fentence étoit fans appel, mais il
affembloit le plus fouvent un confeil de guerre.
Les tribuns, fous l'autorité du conful, infli-
geoient les amendes, recevaient les cautions ou
les gages. Ils pouvoient auffi punir par les coups,
& ce droit appartenoit également aux centurions.
C e u x - c i portaient une tige de vigne j
c’étoit pour eux une marque de diftin&ion &
l’inftrument de cette peine. La févérité plus ou
moins grande du centurion régloit le nombre
des coups. Ce châtiment n’étoit pas regardé
comme déshonorant.
Les Romains étoient punis par des coups de
tige de v igne, les étrangers par le bâton.
Les li&eurs exécutoîent ceux que le conful
condamnoit à perdre la vie.
Lorfqu'un manipule, une cohorte, une légion
ou même une armée s'étoient rendus coupables
de lâcheté ou de défobéiffance, le général en
condamnoit la dixième partie} ce châtiment regardé
comme ignominieux , puniffoic tous les
foldats par la crainte, & un petit nombre par le
fupplice. Alors le tribun affembloit l'armée, expofoit
les circonftances & l'énormité du d é lit,
faifoit tirer au fort tous les foldats, & en fuite
•exécuter la fentence j le reftè de la troupe coupable
étoit le plus fouvent condamné à recevoir
de l’orge, au Heu de froment, & à camper hors
du retranchement.
Lorfque le confeil de guerre avoit condamné
quelque accufé au fuftuairc, le tribun le tou-
choit avec un bâton , auffi-tôt les foldats., armés
de bâtons & de pierres, le frappoient & le
tuoiern le plus fouvent ; fi quelques-uns en ré-
chappoient, il ne leur étoit pas permis de revenir
dans leur patrie ; leurs parens même n'auroient
ofé leur donner afyle : ainfi tous ceux qui fu-
biffoient cette peine , périffoient miférablement.
A l ’égard des autres punitions, elles étoient
à-peu-près comme celles des Grecs pour des
fautes iemblables.
2°. Récompenfes cfte% les Grecs. Les récom-
penfes étoient établies, dans les armées grecques,
dans le temps d’Hercule & de Théfé > elles con-
fiftoîent alors dans une portion plus grande ou
plus précieufe de butin.
Cet ufage fe perpétua'5 Paufanias e u t , à Platé
e , la dixième partie du butin , choifie fur le
tout.... Sparte récompenfoit, par le don de .la
liberté , les éfclaves qui l ’avoient fervie.
Une autre récompenfe , qu'on peut nommer
nationale, étoit le jugement de la Grèce entière
, qui décidoit quel étoit le peuple q u i, dans
une guerre, lui avoit rendu les plus grands fer-
vices.... Elle fut adjugée aux Athéniens dans la
guerre contre les PerGs.... Une autre de même
genre étoit le jugement de l’année, qui décidoit
quel éto:t le peuple qui avoitsmontré le plus
d’ardeur dans une bataille. Les Lacédémoniens
eurentncette gloire à Platée ; on recherchoit en-
fuite dans chaque peuple le combattant qui s'é-
toit le plus diiiingué. A la même bataille, ce
fut Poffidonius parmi les Spartiates.
Dans Athènes, les récompenfes confîftèrent
en promotions aux grades fupérieurs, en proclamations
, en couronnes & en monumens. Après
une victoire, le général affembloit les troupes,
pour qu'elles décidaffent, à la pluralité des fuf-
frages , quelle tribu avoit contribué le plus au
gain de la bataille ; quel bourg, dans cette tribu,
avoit fourni les plus braves combattans , & quel
étoit parmi eux celui qui avoit furpafle tous les
autres. Les tribus & les bourgs tenoient regiftres
de ces diftinélions, & les citoyens qui les avoient
obtenues rt’étoient pas oubliés dans les élections.
Les généraux n’eurent d'abord d'autres récompenfes
que leur part du butin , l'honneur de
commander, la gloire de vaincre & le bonheur
de fervir la patriè. Le peuple craignoit qu'en