
entiers ennemis, dont il changeoit feulement les
drapeaux & lés chefs 5 Tout homme en état de
combattre devenoit un foldat pour lui, & plus
de la moitié de ce qui fuivoit fa fortune étoit
étranger; auffi doit-elle être un titre de gloire
pour Frédéric, cette armée, étonnante machine,
où tout paroifi'oit de pièces de rapport, & prêt
à fe décompofer, mais que la difcipline & fon
génie lui faifoient tenir dans la main & diriger
avec fuccès, comme fi elle eût été compofée des
matériaux les plus parfaits & les plus homogènes.
R e ic h en b e rg . — 1757. 21 a v r i l .
Dans la campagne fuivante, le roi de Prufie
paffa par de plus grandes épreuves, & fon génie
lui acquit plus de gloire. Le duc de Bevern ouvrit
la campagne en battant, à. Richenberg, par des
manoeuvres favantes, Konigfeg, renferme, avec
les Autrichiens, dans un camp bien retranché,
au moment où le roi entroit en Bohême & battait
complettement l'armée autrichienne à Prague.,
Prague. — 1757. — y et 6 mai.
En fuivant les différons mouvemens de l'armée-
pruflienne dans cette journée, on eft toujours
obligé de fe convaincre davantage de la fupério-
rité de fa difcipline & de fon inftrudion ; en
vain les Autrichiens font-ils plus nombreux ; en
vain, par la fupériorité de leur pofition, font-ils
plus à portée a'empêcher les Pruffiens de les déborder
: ils font mis en déroute fur leur droite ;
& tandis qu'ils manoeuvrent pour réparer ce
malheur, & qu'ils commetterjr la fauté de faire
une ouverture au centre de leur pofition, par
leur mouvement vers la droite, celle des Pruffiens
pénètre par cette ouverture ; leurs deux
ailes fe rejoignent, s'avancent, & elles coupent
la ligne autrichienne, dont l'aile droite eft forcée
de fe retirer en confufton. D’après ce mouvement,
qui ne pouvoit être exécuté que par des !
troupes auffi favammênt manoeuvrières, la gauche
des Autrichiens, qui n'avoit point altéré fa pofition,
eftprife en flanc & en queue, & forcée
de fe jetter dans Prague.
K o l l i n . — I7J7- — 18 j u i n .
Après cette bataille fi glorieufe, les fuccès du
roi le ralentirent, mais non pas fa fermeté ni
fon génie. On lui reprocha de s'être arrêté devant
Prague au-lieu d'avoir marché tout de fuite
au devant du général Daun. Quoi qu’il en foit de
cette conduite du roi, que l'on ne devroit pas
fe permettre de juger auffi légèrement, douze
jours après la bataille de Prague, le général Daun
étoit venu fe pofter à Kollin ; Frédéric ne devoit
pas héfiter de le prévenir ; auffi marcha-t-il avec ,
une partie de fes forces & l’attaqua-t-il, quoiqu'il
fût dans une pofition formidable. Jamais peut-
être Frédéric ne manoeuvra d’une manière plus
favante. Voyez-le en effet faire toutes les manoeuvres
& les démonfl rations les plus hardies
pour décidai M. de Daun à affoiblir fa droite
qui occupoit les hauteurs de Kollin : il ne put
jamais lui donner le change ; il fallut donc fe
décider à l'attaquer tel qu’il étoit. Jamais les
Pruffiens ne combattirent avec plus de valeur &
de ténacité : sept fois ils retournèrent à la charges
& ils touchoient à la v J étoffe, lorfque des dragons
qui les prirent en flanc la leur arrachèrent ;
dès-lors le roi dut s’occuper de fa retraite', & il
la fit d' une manière affez impofante pour »’être ni
entamé ni fuivi. (Cependant fi le maréchal Daun
avoit eu plus de réfolution & d'aétivité, fon
armée auroir pu arriver le zo devant Prague,
& les fuites de la batajlle de Kollin feroient devenues
plus funeftes pour les Pruffiens, que leur
défaite même ).
On dit que par une méprife, d’ordre, & peut-
être par un défaut d'intelligence, une partie de
la ligne pruffienne qui devoit, en fe refufant
conftamment à ((ennemi, appuyer .l'attaque de
la hauteur, s’engagea mal-à-propos avec le centre
des' Autrichiens, & trompa, par-là. les vues des
favantes dispofitîons du roi. Le général Daun
\ profita eti grand général des fautes des Pruffiens.
Grande leçon qui, en faifant voir les fautes qu’on
commet, même dans une armée inftruite 8c ma-
noeuvrière, montre à quoi font expofées les
armées qui n’ont ni la théorie ni la pratique des
grands mouvemens.
Cependant on peut auffi penfer avec Frédéric,
qu'une des grandes raifons de fa défaite à Kollin,
fut d’avoir amené avec lui trop peu de monde
pour attaquer les Autrichiens. Cette faute, une
des plus grandes peut-être qu'ait commis le roi de
Pruffe, fut d’autant plus funeile, qu’elle lui fit
lever le fiège de Prague ; évacuer la Bohême .&
perdre la meilleure partie de fon infafiterie. Si,
au contraire, il avoit gagné cette bataille, il
auroit été le maître de toute la Bohême, toute
l'Autriche lui auroit été,ouverte, il auroit pu
diéler à fes ennemis les conditions de la paix, au
Heu que ce mauvais fuccès fut fuivr de fix années
d’une guerre fanglante.
De nouveaux revers fe joignirent à ceux-ci ;
Lewald fut battu par les Ruffes à Jagerfdorf, &
Winterfelds fut tué à Gorlitz ; mais le roi battit
eomplettement l'armée combinée de la France &
de l’Empire, à Rosback.
- Rosback. — 17 J7 .— y novembre.
Dans cette bataille , la rufe du roi de Pruffe
conûfta à tirer l'armée ennemie de fa pofition
avantagea fe, & à diriger l’attaque vers le flanc
gauche, comme il vouloit qu’elle fe fît. Par des
mouvemens fimulés, Frédéric fait ""Croire qu’il
veut fe retirer ; & le maréchal de Sonbife trompé,
dans la crainte que cette armée ne lui échappe,
quitte fa, pofition & fe met en mouvement pour
tourner les Pruffiens par la gauche & par la droite,
de cette manière l’armée françaife formoit un arc
dont celle de la Pruffe étoit la corde. Frédéric
feint de marcher vers Marfebourgj mais Seidîitz,
à la tête ,de la cavalerie de la-droite , profite d’une
hauteur qui le,couvre 3 il revient fur fes pas, fe
réunit à l’aile gauche , & fe trouve par-là fur le
flanc de l’armée combinée 5 celle-cj qui s'avançoit
toujours, croyant pourfuivre une armée en déroute
, trouve au contraire les Pruffiens en ordre
de bataille derrière une rangée de batteries.
Aussitôt Seidîitz fe précipite avec fa cavalerie
fur l’ennemi, & bientôt toute l’armée eft en
déroute avant qu’elle ait eu le tems de fe former.
Jamais on ne fentit peut-être mieux qu’à la
bataille de Rosback, les défauts de la conftitution
militaire de l’empire. En effet, il ne peut y avoir
aucun ordre dans l’armée des cercles 5 chaque
Etat de l’Empire eft obligé, même en tems de
gueire,de fournir tous les befoins de la vie à
fon contingent 3 c’eft-à-dire aux troupes qu’il
envoie pour fa part à l’ armée commune. Plufieurs
régimens font compofés d’un nombre de ees
contingens de différens Etats, dont chacun eft
obligé d’avoir fon entrepreneur particulier, fon
fourniffeur, fes convois , fa boulangerie , fon
hôpital, & c .; de cette manière, jamais l'armée
ne peut avoir des magafins réguliers 3 chaque
fourniffeur a fa maifon particulière 5 d’après
cela, il n’ y a ni boulangers ni fours 5 ce qui <
oblige de s’établir dans les villages pour cuire
dans les fours des payfans, d’où il arrive
que le foldat a toujours du pain mai fait &
jnal-fain.
Un feul régiment, compofé des contingens
de dix à douze Etats, eft obligé d’envoyer à dix
ou douze endroits pour avoir du pain 3 les char-
riots de l’armée ne pouvant fervir à ces charrois,
on force le payfan de donner fes chevaux & fes
voitures 5 de-là quelques foldats ont du bon pain,
d’autres du mauvais, quelques-uns en manquent,
tandis que d’autres en ont en abondance, &
jamais les livraifons ne fe font en même-tems : le
chef ne fait donc jamais fi fon armée a du pain,
ni pour combien de jours, ni quand elle pourra
en avoir 5 de-là l’impoffibilité au fecret fur fes
mouvemens. La différence de paye eft encore un
fujet de défordre , ainfi que le prêt fait pour des
femaines entières ; de forte que le foldat mange
quelquefois en un jour la paye de fept,' & eft
obligé enfuite, pour vivre * de marauder 8c de
voler.
Après la v:&oire que le roi de Pruffe avoit fi
facilement remportée à Rosback, il fe décida à
marcher au fecours de la Siléfie 3 & il en approchent
, lDrfqu’il apprit que l’armée qui défendoit
cette province avoit été eomplettement battue -
fous Breflaw 5 que Bevern avoir été pris, Breflaw
rendu fans défenfe avec douze mille hommes,
& Scheidnitz avec, fept mille. Heureufement
pour le ro i, l’armée autrichienne quitta , pour
venir au-devant de lu i, une pofition inexpugnable
qu’elle avoit occupée fous Breflaw. Il
eft vrai auffi que cette armée eut huit jours pour
préparer la nouvelle pofition où elle attendis Es
Pruffiens 3 elle étoit forte de quatre-vingt mille
hommes , & les Pruffiens en avoient trente-cinq
mille î les troupes autrichiennes étaient fraîches,
& avoient derrière elles unejville abondamment
pourvue 3 les troupes pruffiennes étoient haraf-
fées . & il ne fuffifoit pas de battre les ennemis 3
il faifoit les anéantir & reprendre Breflaw.
Tant de caufes réunies pour accélérer la perte du
roi, tant d’obftaclés à furmonter, tant de raifons
pour fuccomber, ne pouvoient être parfaitement
calculées que par un génie comme celui de Frédéric
, & lui feul pouvoit efpérer de réuffir par
l ’habileté de. fes manoeuvres & la certitude
qu’elles feroient ponctuellement exécutées par
fon armée 3 auffi cette bataille fut-elle le triomphe
de l’art : jamais peut-être la guerre ne montra
plus de fcience , ni un général ne développa
plus de talent.
L i j fa o u L e u ik e n . — 1757. — J d éc em br e.
Marie-Thérèfe fembîoit voir couronner tous
fes voeux par la reprife de la Siléfie. Le roi
arrive 5 il déloge dé la Luface les généraux
: Marchai & Haddick , furprend Gerfdorf &
Parchwitz, recueille les débris de l’armée battu®
du duc de Bevern, enlève à Neumarck la boulangerie
des Autrichiens, avec les troupes qui la
couvroient, & affied fon camp de l’autre côté
de la ville. Son plan étoit déjà' fait. Mieux inf-
truit de tous les détails locaux & de la pofition
de l’armée impériale, que les Autrichiens eux-
mêmes 3 il fe met en marche le 5 décembre 5 fes
huffards ont bientôt renverfé le général Noftits
qui commandait l’avant-garde autrichienne près
de Borne 5 ils le font prifonnier, s’emparent de
toutes les hauteurs & des rideaux qui bordent le
camp des ennemis, & par cette manoeuvre trafiquent
tous les mouvemens de l’armée pruffienne
& menacent l’aîle droite autrichienne qui étoit
la moins fortement poftéé. Cependant le prince
Charles s'occupoit à renforcer cette partie 3 mais
la roi de Pruffe profitoit d’une hauteur qui ca-
choit le mouvement de fes colonnes, & fondoic
à travers une prairie marécageufe , regardée
1 comme impraticable par les généraux ennemis >
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