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ftvecé, a portés à tous les crimes. C ’eft à cette j
première oifiveté qu'on doit attribuer la plupart
des troubles, en partie la chute de la république,
& toujours l’ indifciplme dans les armées.
Publius Nafica fit confhuire, fans qu’il en fût
befoin , les chofes néceffaires à une armée navale,
pour exercer les Romains : on craignoit déjà alors
i’o.fiveté plus que les ennemis.
Ainfi, pendant que les foldats romains fe con-
ftrvoient par des travaux immenfes, nos armées
périffent par un travail immodéré, parce que les
fatigues des Romains étoient continuelles, au lieu
que nos foldats paffem fana celle d’un travail extrême
à une extrême oifiveté.
Corbulon, bien convaincu que l’oifiveté eft le
plus grand ennemi de la difcipline militaire, occupâmes
troupes à creufer un canal de communication
de la Meufeau Rhin j Se cette même armée
d’Allemagne, qui avoir conquis à Vitellius l’empire
romain, après quelque féjeur dans la capitale du
Monde, n'étoit plus la même: les soldats languif-
fans avoient peine à porter les armes ; ils ne pou-
voient fouffrir les injures de l’ air ni fupporter les
fatigues de la guerre, & étoient d’autant plus séditieux,
qu’ils étoient plus lâches.
Un des exemples les plus frappans des effets de
l’oiliveté fur les troupes, eft celui de l’armée du I
connétable de Bourbonrelleétoit entrée floriffante
à Rome dix mois auparavant 5 mais qr^nd elle fut
obligée d’en fortir, elle étoit réduite à la moitié, j
& ce qui reftoit, énervé par les maladies, une
longue inaction, l’intempérance & la débauche, .
méritoit à peine le nom de foldat : nouvelle preuve :
de l’avantage qu’ il y auroit, en tems de paix, de
Jaiffer prefque tous les foldats fe livrer chez eux, •
pendant neuf cm dix mois de l’année, aux travaux
de l’agriculture & des arts mécaniques.
OPINION. On nomme l’opinion la Reine du •
Mondey dit Voltaire} elle l’eft 11 bien, ajoute-t-il,
que quand la raifon veut la combattre, la raifon
eft condamnée à la mort ; il faut qu’elle renaiffe
vingt fois de fes cendres pour chaiïèr enfin tout
doucement l’ufurpatrice. Mais s’ il peut être né-
ceffaire de ne rien négliger pour détruire les opinions
dangereüfes, ne pourroit-on pas tirer un grand
parti de certaines opinions pour conduire les hommes,
toujours fi crédules, à un but que Pon croiroit
effentiel d’atteindre ? Ainfi Mahomet, avecTopi-
niondufatalifme; lesRuffes, avecla perfuafiond-al-
ler droit au ciel en mourant dans les combats, l’infamie
attachée aux lâches, l’honneur doublant le
Courage 'de celui à qui, dès fon enfance, on l’a
rendu préférable à'la "vie 5 l’efpoir de la récom-
penfe c'élefte faifant courir les martyrs au devant
des tortures, & braver la* cruauté "des bourreaux,
tous ces'exemples ne fembleroient-ils pas prouver
les avantages que l’on pourroit retirer de l’établif-
fement de telle ou telle opinion? Une-sentence
grecque dit ^xe-les hommes'font’tourmentés. Ne de*
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v ro it-o n pas plutôt dire : Menés par tes opinions
quils ont des chofes , non par les chofes même : d’où
il s’enfuivroit une nouvelle preuve de ce que nous
venons d’avancer , -qu’il fuffiroit de donner aux
hommes telie ou telle opinion fur telle ou telle
chofe, pour les conduire malgré eux, 8c pour ainfi
dire à leur g ré , au but qui en parence devroit
le plus répugner à leur bonheur. Ainfi les défen-
feurs de la patrie, habitués dès l’enfance à croire
que mourir pour elle doit être le bonheur fuprême,
rechercheroient avec empreffement à jouir de ce
bonheur , qui femble fi peu naturel à la plus grande
majorité des hommes , 8c comme la plupart d’en-
tr’eux l’ attendent en tremblant, les foldats, au
contraire , la fupporteroient plus aifément que la
vie.
Mors utinam pavidos vit a fubçlucere voiles !
Sed virtus te fola daret.
ORDRES. Nous entendons parler , ici feulement,
des ordres que donnent les miniftres, les
généraux ou les officiers qui commandent.
La bataille de Cérignole, en 1 f©$ , prouve la
néceffité des ordres clairs 8c du danger de faire
courir la voix.
Le grand Condé donnoit toujours fes ordres
par écrit, à fes lieutenans , & leur impofoit la loi
de les fuivre. Turenne difoit aux fiens ce qu’il
croyoit convenable , & s’en rapportoit à leur prudence.
Il arriva de là que le dernier eut beaucoup
d’illuftres élèves, & que le premier n’en forma
point ou très-peu.
En 1,636, les Espagnols avoient entrepris de
paffer la Somme pour porter la guerre jusqu’aux
portes de Paris. Puységur fut chargé de leur dif-
puter le paffage avec peu .de monde. Lecomte
de Soiffons, général de l’armée françaife , craignant,
avec raifon, qu’ il ne fû té c ra fe , lui envoya
dire de fe retirer s'il le jugeoit a propos.
Monfieur, dit Puyfégur à l’aide-de-camp, un homme
commandé dans une aétion périlleufe comme
eft celle-ci, n’a point d’avis à donner. Je fuis venu
par ordre de monfieur de Soiffons , je .n’en for-
tirai pas à moins qu’il ne me le faffe ordonner ex-
preflément.
Le duc de Rohan remarque dans fes mémoires,
que les princes donnent ordinairement leurs ordres
de manière que fi le géitéral rétiffit, le prince
veut s’attribuer la gloire d’en avoir donné les ordres
j s-il échoue, au contraire, il fe trouve toujours
que la coulpe eft à celui qui commande, car
le maître ne peut jamais faillir.
Il eft effentiel que le génécal voie quelquefois
par lui-même fi les ordres qu’ il donne font exécutés.
Le maréchal de Berwick étant à- Cuvan
en Irlande, ordonne au brigadier Wanehop de
mettre des.partis en campagne , pour être averti
des mouvetnens des ennemis : -le brigadier répond
qu-il l'a fait, & qu’il fera averti à tems des plus
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petits mouVètnéns qu’ils feront- Le maréchal s’en
rapporte à lu i , & a la pointe du jour , le lendemain,
les ennemis parurent fans qu’on eût eu aucune
nouvelle d’eux.
11 n’eft pas moins effentiel, à tout commandant
ïubalterne, d’exécuter à la lettre les ordres qu’ on
lui donne. Le marquis de Broglio arrivant, dans
la campagne de 1 7 1 1 , fur le camp de Saim-Colom-
ban, & y attaquant les troupes du duc de Savoie,
vingt-quatre heures avant le jour où il devoir le
faire , & cela, pour ne pas partager la gloire de
les battre avec M. d’Asfèld, eft repoufté, & fait,
par fa défobéiffanee, manquer une opération des
mieux concertées.
On doit au(fi fe fervir, pour porter les ordres,
des pcrfonïieS de la plus grande intelligence , 8c
les donner de la manière la plus claire. Pyrrhus ,
roi d’Epire , enfermé dans A rg os , fentant qu’il
étoit de la dernière importance de faire fa retraite,
& voyant qu'il lui ïeroit très - difficile de le faire
par fes portes de k ville, envoie à fon fils Hé-
lénus , qui étoit occupé hors de la place , un exprès
, avec ordre de lui dire de faire avancer un
corps de troupes pour faire abattre un pan de
muraille, afin de faciliter fa fortie. Celui qui portait
cet ordre en ayant donné un tout contraire,
Bélérius choifit ce qu’il avoir de meilleure troupe,
& fit fon poifible pour entrer par la porte } cequi
rendit la retraite'de Pyrrhus impoffible , 6c occa-
fiormala mort de xe prince & la défaite de fon
armée.
ORGUEIL. L’oTgueil eft une opinion exceflive
‘de fon propre mérite, accompagnée de mépris
pour les autres. L ’orgueilleux eft injufte, en ce
qu’il ne s’apprécie jamais lui-même avec équité. Il
prétend s’ attirer Peftime , la' confédération , les
égards des autres , tandis qu’il 'les-révolte par fa
conduite, & ne s’attire, pour l'ordinaire, que leur
1hainè’& leur mépris. L’homme orgueilleux ne voit
partout que lui feul} il femble croire que fes fem-
blables ne font faits que pour l’admirer : il eft colère
, inquiet, très-prompt à s’alarmer} ce qui
toujours dénote Tabfence du mérite réel.
N’éft-ce pas méconnoître fes intérêts, que de
montrer de l’orgueil ? C ’ eft forcer naturellement
les autres à examiner les titres de celui qui prétend
s’élever au définis d’eux : de cet examen il
refaite rarement que l’ orgueilleux foit digne de la
haute opinion qu’il a ou qu’il veut donner de lui.
Le mérite réel n’ëft jamais orgueilleux} il eft au
contraire communément accompagné de modef-
tie, vertu fi nécëffaire pour amener les‘hommes à
" l'ecbnhoicre la fupériorité que l’on a fur eux ,dont
ils ont toujours tanrde peine à convenir.
Cependant le fentiment de fa • propre dignité
eft fait pour foutenir l’homme de bien contre l’in-
graritùde /qui fouventlui refufe les récompenfes
auxquelles il a droit‘de prétendre. C ’eft -lé fen-
timent de l'honneur, c ’éft le refpeét pour lui-
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même, c’eft u n e noble fierté qui empêche l’homme
vertueux de s’avilir , de fe porter à des baffcfîes 8c aux moyens honteux par lefquels tant de gens
s’efforcent de parvenir, en facrifiant leur honneur
à la fortune. Les âmes baffes 8c r a rn p an es n o n t
rien à perdre } elles font accoutumées au mépris,
à s’eftirner t r è s - f a ib l e m e n t e l l e s -m ê m e s , à s’exagérer
leur propre mérite. & à l’étaler avec fafte ,
d'une façon humiliante pour les autres.
De toutes les claffes de la foeiété, c’ eft celle
des officiers, dans le militaire, qui doit fans
contredit le plus foigneufement fe préferver de
l’ orgueil. Difons-leur que la préemption ou la
confiance, peu fondée fur des talens ou des vertus
qu’on n’ a pas, eft de tous les défauts le plus ridicule.
Inspirons-leur la crainte de fe rendre mé-
p r i f a b le s par une fatuité qui fait que l’on ne fe
montre occupé que de foi - même & des qualités
que l’on croit pofféder. Si ces qualités font réellement
en nous, nous fatiguons les autres à force
de fes leur préfenter : font - elles fauffes ? nous
leur paraiffons impertinens 8c ridicules dès qu’ ils
-ont urre fois démêlé 1’impofture ou l’erreur. La
.g r o f f ié r e t é , la brutalité, l'impoliteffe, font des e f fets
ordinaires d’un orgueil qui fe met au deffus
des égards, qui r e . fu fe de fe conformer aux ufa-
ges, & de montrer les -déférences & les a t t e n t
i o n s que des êtres fociables fe doivent les uns
-au x a u t r e s . . - 1 j
D ftirtés à vivre pour ainfi dire en fa m i l l e dans
! les différens corps militaires, les hommes raifon-
I nabies fentiront facilement combien leur orgueil
i les rendroit bientôt in f u p p o r t a b k s à leurs camarades,
ou qu’ils humilîeroient s’ il étoit fondé , ou
dont ils d e v i e n d r a i e n t la rifée fi leurs prétentions
étoient déplacées : la faute d e ,v i e n d r o i t encore
bien plus capitale fi leur orgueil fe faifoit
fentir à ceux à qui ils d e v r o i e n t de la foumiflion
& du r e f p e é t
OUVRAGÉS EN TERRE. Sous le mot;Ou-
v r a g e s e n t e r r e , nous donnero; s une idée de
ceux que peut être obligé de faire un officier
particulier pour mettre fa troupe à l’abri des e fforts
de l'ennemi.
Nous fuppofons ici que cet officier ( après avoir
reçu les ordres -de fon chef, après lui avoir demandé
une configne claire & précife,.après l'avoir
reçue par écrit ou enpréfence de témoins, après
avoir infpeété fa troupe, après avoir marché en
militaire prudent ) arrive enfin proche l’endroit
qu'il doit occuper avec la troupe qu’il commande.
Si cet officier rencontre , dans l'endroit où
on lui a ordonné de fe porter, une maifon , un
château ou quelques-uns des autres objets dont
nous nous femmes occupés dans le mot M a i s o n
il pourra fe conduire d’après fes principes que
l’ on y ?a-donnés; mais s’ il ne trouve aucun.édifice
dont il puiffe faire ufage , il faut bien qu’ il fe
I -réfoWe-à -conftruire lui-même un ouvrage en terre3