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Avant la révolution on connoifloit trois efpèces
d’enrôlemens, ceux volontaires , ceux à prix d’argent
j ceux par le fort. L’ affemblée conftitiiante
s’empreffa de détruire ces derniers, en aflurant
que les Français ne fubiroient plus la loi du fort,
à moins de retomber fous le defpotifme ; mais la
requifition eft mille fois pire que le fort, & porte
de bien plus cruelles atteintes à la liberté Comment
concevra-t-on cependant qu après le 9 thermidor
, après la mort de Robefpierre, après ia
ceffati®n des comités de falut public & de fureté
générale, fous la conftitution de l ’an 5 , & même
fous celle de l'an 8,• on ait pu continuer encore
cette loi fi barbare de la requifition , & lai fier parla
, aux partifans de la terreur, qui la plupart fe
trouvoient encore en place , tous les moyens de
commettre les injuftices & les vexations les plus
criantes, de tyrannifer les requifîtionnaires & leurs
parens , de vendre des exemptions aux riches, &
de faire marcher les pauvres après avoir réduit leurs
parens à l’aumône.
. Frappés des inconvéniens fans nombre, du recrutement
par les requifîtionnaires, on fe décida
à chercher des moyens qui fuflent plus fûrs /moins
vexacoires , moins impolitiques , & qui n’at-
tentaflent pas suffi fortement à la liberté individuelle
; en conféquence, la commiffion militaire
du confeil des cinq cents fut chargée, en l’an 6 ,
de cet important travail, & il en réfulta la loi relative
aux confcripts & aux requifîtionnaires, qui
fut acceptée en fru&idor an 6 par le confeil des
anciens.
Mais, premièrement, cette loi, au lieu d’effacer
à jamais tous les maux „oceafionnés par ceux fur la
requifition, en l’aboli fiant, -la perpétua au contraire
, & exigea que tous les citoyens qui avoient
été compris dans le décret de la requifition , fe
rer diffent promptement dans les chefs - lieux de
leur département, pour de là être envoyés aux
armées.
Secondement, la loi de fruétidor an 6 , en em-
brâïïànt cinq âges de citoyens , 21-, 22 , 2 3 ,24 8c
15 ans, c’eft a-dire, trois de moins que celle de la
requifition , re parut pas vouloir les faire marcher
tous en même rems , mais feulement s’ aflurer des
moyens fuffifàns de faire la guerre avec fuccès ,
de la foutenir, & de remplacer facilement les citoyens
que l’ on auroit eu îe malheur de perdre à
la guerre. A ne confidérer donc cette loi qu'en
général, elle paroifloit afiez jufte , au moins pour
là partie de h confoription > en e ffet, à l'inftar
de toutes les lois des républiques anciennes &
modernes fur le recrutement, elle étoit bafée fur
le principe que chaque citoyen doit concourir à
la défenfe de fon. pays & de fes propriétés-, de fa
perfonne & de fa fortune ; & afin de ne pas étendre
à trop de citoyens l’obligation du fervice personnel,
elle le reftreignoit à cinq.clafles prifés
dans les cinq premiers âges de la jeuneffe, à dater
de celui où Fon venoit d’être infcrit fur la lifte.
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civique j mais ces claufes, afîez juftesen apparence,
Je paroiffoient beaucoup moins dès l’inftant où l'on
vouloit fe donner la peine d'en examiner avec foin
les réfultats dans les détails & leurs conféquen-
ces , furtout encore quand on venoit d’ être forcé
de fe convaincre de tous les nouveaux maux occa-
fionnés par la loi du 1 4 thermidor an 7 , dans laquelle,
en abufant horriblement de celle de fructidor
an 6 , non-feulement on fàifoit revivre le
décret du mois d’août 1793 fur la requifition , &
on exigëoit que tous les citoyens qui y étoient
encore infoumis, fe rendifient aux armées, mais
encore on obligeoit les confcripts de toutes les
clafl’es à fe rendre dans les chefs-lieux de leur département,
pour y former des bataillons auxiliaires.
Nous allons entrer dans quelques détails fur cet
objet, trop important pour ne pas les exiger.
Che? les peuples ch 3 fie lus , le premier & le
plus barbare de la fociété , chaque nomme-eft en
même tems guerrier & chaffeur : il n’en coûtoit
rien pour le préparer à la guerre à laquelle il eft
très-propre par (a vie habituelle, ni pour l’entretenir
lorfqu’il eft en campagne. La pofition de ces
peuplades , au milieu ou près des forêts, les met
a même de pourvoir à leur fubfiftance , en même
tems qu’ ils combattent Leurs ennemis.
Parmi les nations de bergers qui conftituent un
état de fociété plus avancé , tels que les Tartares
& les Arabes , chaque homme eft de même guerrier
; mais ces nations ayant une population beaucoup
plus confidérable que les précédentes, parce
qu elles ont plus de moyens de fubfiftance, &
étant plus réunies, parce que leurs occupations
les fixent près de leurs troupeaux, elles font-aufli
plus dangeréufes à la guerre.
Au premier apperçu, on imagineront que la vie
fimple & douce des peuples pafteurs devant influer
fur leur caractère, ils devroient être moins redoutables
que les chafleurs, que leur habitude porte à
la férocité & à la barbarie : l’expérience cependant
a démontré le contraire. Rien n’eft plus mé-
prîfable, dit Smith, qu’une guerre avec les Indiens
dans l’Amérique feptentrionale 5 rien au
contraire n’eft plus terrible qu’une invafion de
Tartares, telles qu’on en a vu fouventen Afîe.La
conquête de là Chine & celles faites par Mahomet
& fes fuccefieurs , prouvent aflèz ce que
peuvent exécuter les habitans des déferts réunis
fous un chef habile.
Le troifième âge de la fociété eft le premier
de l’agriculture 3 c’eft celui où , ne cultivant la
terre que pour aflurer fa fubfiftance, on n’a encore
aucune idée des ffiperfluités qui deviennent
des chofes de première néceffité pour des peuples
plus avancés. Leshommes, dans cet état', ont beaucoup
de tems difponiblè : femer & recueillir font
deux grandes époques dans l’année j les intervalles
peuvent être employés à la défenfe du pays,
ou fouveût, fous ce prétexte., au gré de« paf*
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fions des hommes influencés. Alors les campagnes
militaires nom dé durée que le tems qui ne rappelle
pas néceflàirement les agriculteurs à leurs,
travaux. C ’eft ainfi que les Grecs, jufqu'à la fécondé
guerre de Perfe & celle du Péiopofiefè 5
les Romains, jufqu’au fiége de Veïes , & les modernes,
pendant le régime féodal & jufqu’à l’éta-
blifièment des troupes réglées, ne firent que des
incuffîons, des invafions, & ne purent jamais
concevoir ni réalifer des plans de campagnes &
des iyftèmes réguliers d’opéraJons.
Mais Iorfqu'une nation arrive à un certain degré
de perfectionne ment,le progrès des arts & des fcien-
ces donnant un plus grand développement à l’agriculture
& au commerce, les travaux de la campagne,
lès manufactures, toutes les branches de
l’induftrie, des profe fiions utiles ou d’agrément réclament
& occupent habituellement un grand nombre
d'hommes qui ne pourroient, fans un dommage
réel pour la prôfpéiité nationale , être dif-
traits & éloignés de-leurs travaux ; de manière
que, quoique le réfultat des améliorations qu’é - ■
prouvent les fociétés foit un grand accroiflement
de population , il arrive cependant qu’une nation
avancée a , quoique plus nombreufe , moins d’individus
qui puiffentêtre habituellement employés ;
au fervice militaire.
Aufïi le calcul des hommes que l’on peut defti-
ner à cette profefiipn, eft-il très-différent,.relativement
aux nations purement agricoles, & à
celles qui font de plus manufacturières & corn-
merçantès.Smith évalue que, chez les premiers,
le quart ou le cinquième de tout le corps du
peuple peut, à de certaines, époques de l'année ,
être employé à la guerre, tandis qu’ il à adopté le
calcul de Montefquieu & de plufieurs autres écri- •
vains politiques, qui ne pënfent pas que, chez les
nations induftrieufes & commerçantes, on puifle
prélever fans nuire à la fociété, plus de la cen- ■
tième partie des habitans pour îa confacrér à la i
profeffion des armes j ce qui feroit. trois<cent
mille hommes fur une population de' trente millions,
tandis que'la loi delà conjcrlption, Wéo n -
facrant cinq âges à la profeflion militaire, excède
en France d e , fept cént mille hommes la proportion
exigéé par les auteurs que nous venons de
citer.
L’établiflement des troupes/réglées dèvoit né-
çeffairement être la ,fuite du progrès des nations
Vèrs la civilifation , le commerce & l’Opuleiïce.
Ainfi, de même que chez les Grecs, les Romains
les Carthaginois, les troupes, foldées avoient rèm7
placéda cdnfcriptiôn , chez les peuplés modernes
les armées permanentes furent, fubftituées à
1 appel du ban. & de Farr'ière'-bam.
Ce nouvel Ordre de chofes ne dut cependant pas
fon origih'e àux circonftahcçs qui là mehbiënt .na-
tutèllëtriétït.}' triais la;ppljtique1 dés princes1 én fai-
fit'hàbilernent lapdlfibilitél &c ils q'Oüvérént dans
cette inftitution les moyens de comprimer des :
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vafiaux trop puifians, de contenir & protéger leu s
fujets, d’étendre même leur domination. On peut
voir, dans l’inimitable introduction au règne de
Charles-Quint, les importantes conféquences que
Robi-rtfon at.ribue à cet établi fie ment , dont
Charles VII eft regardé comme le.fondateur. .
Ce n’eft pas ici le cas d’examiner les change-
mens que cette inftitution des armées permanentes
a apportés dans l’art- de la guerre. Sans cela
on auroit pu peut-ê tre fixer à cetté époque fa
renaiflance , comme on a fixé celle des lettres au
pontificat.de Léon X & au, règne de Médicis ;
car. ce n’eft en effet qu’ avec des foldats accoutumés
à la difeipline & aux exercices militaires , &
avec des officiers exclu fi vement occupés des con-
noiffiances relatives à leur profelfjon, que la fcience
militaire peut acquérir dans les differentes branches
cette perfection qui la conftitue un art, &
qu’on peut exécuter & réalifer les combinaisons
lavantes qui ont depuis éternifé la mémoire de
Guftave Adolphe, de Turenne & de Frédéric-lë-
Grand.
Mais en relifànt Fhiftoire’ de ces célèbres généraux
, on trouvera confirmée l’obfervation que
nous faifions plus haut, que l’accroifiement de la
population & de fes richeffes, bien loin d’augmenter
le nombre de foldats que chaque état entretient,
amène plutôt à le circonfcrire & à le borner j
car tandis qu’on voit Charlemagne' ou Philippe-
Augufte commander des armées de deux & trois
cent mille hommes, on n’en trouve au contraire
'que trente ou quarante mille fous les ordres de
Turenne & des généraux contemporains.
Il eft vrai que, depuis le règne,de Louis XIV &
‘furtout depuis la guerre de la fuccé.ffion,Tes troupes
foldées 6n,t été confidérablement augmentées èa
Europe ÿ mais elles' l’ont été d’une manière tout-à-
fait difproportionnée à la population & au revenu
des différens états j & cette rivalité des puifiances,
en diminuant leur pr.ofpérité , a particulièrement
contribué à‘ leur faire contracter .I’immép-fité de
dettes' qui les açcab/ent toutes, plus ou moins.!.
Au refte , quelquè hombrêufes qu’ aient été
lés armées dans les;guèrres précédentes . elles ne
Font jamais été d’ une' manière qui puifle .être
comparée à celles qu’on a vu lever & agir dans
la guerre préfénÉè, qui, en neuf campagnes , a
certainement confommé beaucoup plus d’hommes
& d'argent, que toute la guerre dé trente ans.
Auffi, pour-parvenir a les compléter, a-t-il fallu
técoufir/aiix procédés dés. peuples qui ne connoiÇ-
fent qu’imparfaitement les arts, le commerce &
l’opulence j nous voulons dire aux requifitions ,
aux levées en mâfie & à là côhfcriptiori : moyens
extrêmes que.toute? les nations, eufient pourtant
été _ forceps d’adopté j fi la guerre .avoir duré plus
long-têmsi
Il-faudra eficôré quelques'années 'avant de fen-
tir les fün.êftes çoriféquences d’un fyftèrne qui ren-
Verfe toutes lès idées d^conômie politique. Les