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perfuadé qu’ il êtoit allé couvrir Tes magasins
de Scotufa , fe décida à le fuivre ; mais les "deux
hommes de hauteur, & marcha fièrement contre
les Romains. Flaminius marcha de fou côté, mais
fes troupes re loutinrent point le choc de cette
maife d’infanterie, rangée fur une auffi grande profondeur
j heureufement pour lui, l’ordonnance des
légions les préferva d’une entière défaite. Les manipules
étant indépendantes les unes des autres, le
choc de la phalange ne pou voit avoir un effet comme
fur une Ligne pleine ; d’ailleurs les Romains combattant
fur trois lignes indépendantes , & chaque
manipule ayant derrière elle un intervalle libre,
la première ligne repouffée , il reftôit la fécondé >
on ne pouvoir donc pas courir les rifques de détacher
aucune partie de la phalange pour pouffer fon
avantage ; ainfi Philippe trouvoît conftamment l’ennemi
devant lui, arrêtant fa droite & la combattant
j mais il n'en étoit pas de même à fa gauche,
toutes les ferions de la phalange, ou qui n’avoient
pas pu fe réunir fur la peloufe, ou qui erimpoient
encore pour y arriver, avoient été écralees ou par
les éléphants ou par les manipules. Enfin, au milieu
de ces différens événemens , un tribun qui cora-
battoit à l’aîle droite s’apperçevant de l’embarras
de Flaminius à la gauche, le met à la tête de
vingt manipules, marche avec elles fur les derrières
de la phalange de Philippe , la éprend à dos
&.ena bientôt décidé la défaite & la fuite.
S’il fut malheureux pour Philippe de fe voir
engagé au combat malgré fes ordres, on ne lui
pardonne pas fon inattention à la nature des lieux,
qui dévoient être un obftaçle à la réunion des fec-
tions de fa phalange fur la peloufe, où il dirigeoit
,fa marche avec le projet de s’y mettre en bataille.
Cet ordre annonce pu de l’inexpérience ou de
i’inconfîdération, dans de pareilles circonftances,
un général doit calculer jufqu’à la moindre distance
, la difficulté du terrein, & le tems dont
il peut difpofer pour exécuter une manoeuvre. Qui
preffoit d’ailleurs Philippe de marcher à l’ennemi
avant d’avoir réuni toute fa gauche à fa droite,
après s’être mis en bataille? il pouvoit alors favo-
rifèr la retraite de fes troupes légères & de celles
envoyées à leur fecours.
On peut auffi, peut-être, reprocher à Philipve
de n’avoir point fongé à affiner fes derrières.
Quoi qu’il en foit, les ineonvéniens & les vices
de la phalange font bien clairement démontrés par
le fuccès de cette bataille j quoiqu’elle rende encore
bien incomplettement tous les moyens d’attaque &
de défenfe de la phalange, qui fut obligée de combattre
dans un terrein raboteux, inégal & haché
par des monticules. On peut obferver, d’après la
formation & l’armement de ce corps, combien
il étoit loin de pouvoir déployer dans pareille
pofifion toute la force dont il étoit fufceptible.
armées étoient réparées par des hauteurs > les
partis avancés fe trouvèrent donc à quelques
Tite-Live donne une relation beaucoup trop courte
d une autre bataille , celle de Pidna entre Paul-
Emile & Perfée, où la phalange , quoique dans
une plaine, fut entièrement détruite par les légion«
romaines. Autant qu’il eft poffible de le conjecturer,
aidée par Tite-Live & par Plutarque. Perféè
après avoir été forcé par fon imprudence de quittée
les rives du fleuve Enipée, regardées par Paul-
Emile comme impoffibles à forcer, s’étoit retiré
en arrière du côte de Pidna : Perfée paroît alors
avoir pris une pofition allez favante dans une plaine
entre deux petites rivières, Loefon & Leucos, qui
quoique peu profondes, l’étoient néanmoins allez
pour préfenter des obftacles aux Romains. La ville
de Pidna fe trouvoit derrière la gauche des Macédoniens
, près de 1 endroit où Loefon va fe joindre
au Leucos, lequel couloit devant le front de l’armée
des Macédoniens, & donnoit à ceux-ci l ’avantage,
fi les Romains vouloient traverfer cette rivièré pour
les attaquer, de leur tomber deffus avec avantage.
Ces paflàges néceffitant toujours du défordre, dont
il eft facile de profiter , circonftance d’ailleurs
où les efforts de la phalange auroient été auffi puif-
fans qu’ils pouvoient l’être j ce qui le prouve c’eft
la conduite de Paul-Emile, qui arrivé fur les bords
du Leucos, ne jugea point à propos d’attaquer
l’armée de Perfée. On pourroit peut-être reprocher
au conful, après avoir eu la fageffe de ne
pas attaquer tout de fuite Perfée, de n’avoir pas
fait remonter le Leucos, toujours plus facile à palier
en fe rapprochant de fa fource, par un corps qui
auroit tourné & pris en flanc les phalanges macédoniennes.,
au moment où il auroit pafTé le Leucos
pour les attaquer de front.
Le conful eût été alors redevable de la gloire
de cette journée à fa capacité 5 il paroît au contraire
l’avoir été an hafard feul d’un cneval échappé,
ou de quelques fourrageurs quioccafionnèrentles com-
mencemens d’une elcarmouche , pendant laquelle
lés Macédoniens commirent la faute impardonnable
de pafler le Leucos & de venir charger les
Romains.
On peut juger facilement du défordre ou fe trottva
leur phalange après ce paffage > auffi Paul-Emile
l’ayant remarqué, « départit fes gens par petites
» troupes, & leur enjoignit qu’ils fe jettaffent habi-
»» lement entre deux, & qu'ils s'attachaient ainfi
m à eux, non point par une charge continue, d’urt
y» tenant partout. « ( Plutarque. )
Des mefures auffi fages fiirent bien vite couronnées
du fuccès le plus complet. Le roi Perfée
s’enfuit à Pidna, & toute fon armée fut mife en
déroute.
Ici on voit encore la bataille engagée malgré
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pas1 les uns des autres lorfqu’ils marchoient pour J
le reconnoître, & ils ne purent éviter de corn-1
battre, ce qui entraîna Philippe à livrer malgré
lui la bataille de Cinofephale dans des terreins
très-défavantageux à la phalange. On doit auffi
en convenir à l’honneur de Flaminius, il fut tirer
parti en grand homme de guerre de la pofition des
troupes macédoniennes 5 car fi après avoir attaqué
d ’abord.inutilement leur aile droite, il s’étoit
entêté à revenir à la charge, il auroit donné
le tems à leur aile gauche de fe former, & n’au-
roit peut-être plus eu le pouvoir d’entamer ce
corps formidable. Mais après avoir obfervé que
la gauche de la phalange n’étoit point encore
fur le terrein ou elle devoit combattre , il la
fait charger par fon aîle droite qui l'empêche
de fe former & la met en fuite, au moment où
un tribun avec vingt enfeignes vient prendre
la droite de Philippe par derrière, & contribue
par fa défedion à une vittoire complette.
Ainfi, fi la phalange avoit des avantages fur
la légion, on vient de voir Philippe ne fachant
ou ne pouvant en profiter dans deux combats de
fuite i & comme les aimées font obligées fou- !
vent de fe mouvoir ou de fe battre fur des ter-
reins inégaux ou efearpés , on feroit autorifé ï
à croire aux fuccès des corps les plus mobiles
& conféquemment à ceux des légions.
Mais malgré les avantages de l’ordonnance des
légions, il ne fera peut-être pas hors de propos
de faire obferver combien la conftitution militaire
des Romains offroit auffi de. nombreux incon-
véniens- La république ayant pour foldats des
citoyens, & pour généraux les magiftrats ordinaires
j le foldat jouiflbit de trop de liberté
en qualité de citoyen, pour fe foumettre com-
plettement à la difeiplinenéceffaire à une armée,
& les généraux étoient trop abfolus pour s’ af-
Perfée, mais on eft auffi obligé de fe convaincre
de la foibleffe de l’ordonnance en phalange, dès
l’inftant on il y avoit à franchir le moindre obftacle
qui pût occafïonner du défordre dans les rangs.
On avoit commis une grande faute dans cette
ordonnance, c’étoic l’oubli total de la protection
de fes flancs & de fes derrières j protection cependant
bien néceflaire dans -une formation où les
corps ne pouvoient point fe défunir & n’étoient
fufceptibles d’efforts & d’attaque que par le front.
De la cavalerie , des troupes légères favemment
difpofées fur les aîles & en réferve, auroient peut-
être rendu cette ordonnance infiniment plus redoutable.
Auffi avons-nous vu Alexandre prendre ces
fages précautions j partout des fécondés lignes ou
des referves 5 partout fur les flancs des phalanges
une nombreufe cavalerie , des arefiers à pied,. des
troupes légères 5 &c.
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fervir bien ftriétement aux réglemens. Chacun
des citoyens devant fervir dans les légions, la
plupart cherchoient à fe fouftraire à ce devoir,
furtout quand il s’agifToit d’ une expédition éloignée
ou difficile , & les chefs n’ofoient pas
enrôler de force ceux qui leur avoient donné
leur v o ix , & dont ils dépendoient pour leur
avancement ultérieur; Affez fouvent auffi les
chefs permettpient à un grand nombre d’ officiers
inférieurs & de foldats de s’ éloigner de
leurs drapeaux. Cet abus étoit prefque nécel-
faire parmi des troupes compoiées de citoyens
qui donnoient leurs voix à Téleôtion des généraux.
Et fi l’expérience n’étoit pas un guide
plus fur que des idées de firnple théorie, on
feroit tenté de rejetter, comme, une mauvaife
manière de former des armées, cet établiflement
avec- le feeours duquel les Romains conquirent
le monde.
Ce qui pouyoit cependant contre-balancer en
partie les défauts fur lefquels nous venons de
faire des obfervations dans la conftitution militaire
des Romains j c’ eit à l’époque dont nous
écrivons l’hiftoire ( c ’eft-à-dire au fixième fiècle
de la fondation de Rome ) & même long-rems
après, de voir régner parmi les membres de
la république un efprit d’égalité qui n’admettoit
point les diftinétions de la fortune, & qui ne
fe laiffoit point éblouir par la richefle. Quand on
faifoit des largeffes aux troupes, les centurions
recevolent Amplement deux fois la part du
firnple foldat 5 le rang militaire étoit toujours
paflager, le conful ou le commandant en chef
d’ une armée, fervoft l’année fuivante en qualité
de tribun ou d’officier inférieur, & le même
homme qui avoit dép'oyé le talent & le génie
d’ un général, cherchoit à montrer enfuite le
courage & l’exemple d’un firnple légionnàîie.
Tous les Romains fans diftinôtion afpiroient
à la gloire qui réfultoit de la bravoure perfon-
nelle & de la force du corps s lorfque Marcus
Servilius demanda le triomphe pour Paul-Emile ,
qui avoit battu Perfée à Pidna, il rappela au
peuple romain les vingt-trois fois où ce général
s’étoit battu en combat fingulier, & où dans
chacun de ces duels , il avoit égorgé & dépouillé
fon ennemi.
Toutes ces caufes réunies à une ordonnance
militaire, & à des armes qui avoient la fupé-
riorité fur celles connues & mifes en ufage le
plus avantageufement jufqu’alors ,v dévoient naturellement
entraîner la défaite des peuples, dont
. il importeroit aux Romains de faire la conquête ,
& contribuer au perfectionnement de l’ art militaire.
Après les batailles de Cynofephales & de
Pydna, partie de l’Afie , partie de l’Afrique
& la Grèce entière fut forcée, de fe foumettre