
D’abord, les anciens avoient un avantage décifif
pour ce palTage 5 leur infanterie paffoit par les
gués les plus difficiles : o r , il y a peu de rivières
où Ton ne trouve des gués dans la belle faifon :
il eft vrai cependant qu'une armée ancienne ne
jsouvoit pas plus paffer une rivière confidérable
à gué^ qu'une moderne, furtout s'il étoit queftion
d’ un paflage par furprife. Obligée alors de laifler
tous fes vivres & tous fes équipages de l’autre côté
de la rivière , pour plulieurs jours , une armée
auro.it été expofée à les voir détruire par l'ennemi
3 & à être mife hors d’état de tenir la campagne.
D ’ailleurs 3 dans de pareilles circonftances,
on détache un corps à l'infu de l'ennemi , avec
ordre de préparer tout ce qu'il faut pour le paffage
j & ici tout s’égalife, parce que chez nous,
en fe fervant d’un corps de dragons avec des fan-
taffins en croupe , ii paflera partout où les anciens
auroient pâlie avec leur intanrerie.
Mais là commence encore une autre différence
notable : le corps envoyé , chez les anciens 3 pour
protéger la conftruCtion d’un pont & en couvrir
le débouché j fe fortifioit comme chez nous ; mais
chez e u x , une fois fortifié, il étoit inexpugnable 5
chez nous 3 la chofe eft bien différente : un ouvrage
de campagne n'oppofe prefque pas de réfif-
tance fi de l’artillerie , placée au bord oppofé ,
ne le couvre pas. D'ailleurs , le paffage d’une de
nos armées eft toujours beaucoup plus long & plus
difficile que celui d’une armée romaine. Ainfi }
quoique les avantages & les défavantages fe balancent
, au moins les combinaifons relatives à ce
mouvement ont changé, & celles des anciens ne
peuvent nous fervir de modèle.
Ce qui rend le paffage des autres défilés plus
' tare , & par conféquent de moindre importance,
continue l'auteur, c ’eft qu'il y en a très-peu qui
préfentent un front auffi étendu & auffi également
difficile à paffer que les rivières.
Mais lorfqu’il faut ablolument les pafler, toutes
les difficultés qui peuvent fe rencontrer dans
un tel paffage, s’augmentent à notre égard, fans
aucun avantage qui en répare l'accroiffement >
auffi y a-t-il actuellement bien des pays qui oppo-
fent des obftacles invincibles à ce que nos armées
y manoeuvrent, & les traverfent lorique l’ennemi
eft en état de s'y oppofer.
Chez les anciens , une armée marchoit ftir une
feule colonne, Si exécutoit rapidement la fortiedu
défilé , par rapport à fon petit front & à fa grande
profondeur. 11 étoit donc fort aifé aux anciens de
fur prendre le paflage des défilés.
'D'ailleurs, il y a une différence totale dans la
manière ancienne & moderne de défendre ces
défiles.
Çhez les anciens on trouve toujours l’ennemi
dans le défilé où il a faifi les partages , & la difficulté
confifte à le déporter. Us étoient a ut or ifés
à prendre cette manière de défendre un paffage,
d’abord par rapport au petit nombre de chemins 1
qu’ il fuffifoit de garder pour fermer abfolumetit
I entrée d’un pays, enfuire parla difficulté extrême
de forcer des troupes placées d*ms des gorges.
Ces deux raifons n'exiftent plus pour nous de la
même manière : nous tournons facilement de pareils
portes , en faifant couler des troupes par aes
fentiers qui les prennent à revers ; car la corref-
pondance des gorges entr'elles, par la nature des
hauteurs q u i, d’un point commun, pouffent des
rameaux, des hauteurs fort éloignées vers les extrémités
, quoiqu’elles fe touchent à leur origine,
font qu'il eft très-facile de tourner des poftes de
cette manière ; en fécond lieu, parmi nous il n’y
a guère que des fortereffes qui affurent un pofte
dans des gorges , encore faut-il qu'elles ne foient
pas dominées.
§. V III.
Batailles.
L'auteur diffingue, relativement aux batailles,
l'emplacement, 1’aCtion & la retraite , tous objets
qui ont éprouvé des changemens très-confr*.
dérables par 1 intervention de la poudre & des armes
au moyen defquelles on la met en ufage} car
ici les armes font la bafe & la caufe efficiente de
tout.
, En lifant les auteurs militaires, on voit que la
décifîon des combats dépendoit infiniment plus
de 1’aCtion des troupes & de leurs manoeuvres
en elles-mêmes, que de leur emplacement, relativement
au terrein 5 au lieu que chez nous .c'eft
tout le contraire : le terrein fans les troupes n’y
fait rien : cela ne vaut pas même la peine d'être
obfervé 5 ainfi c’eft toujours 1’aCtion des troupes
qui forme la bàfe du tout j mais cette aCtion eft
tellement dépendante du terrein, que celui-ci eft
devenu l'objet principal.
L’aCtion du fufil, en tant qu'arme de je t , commence
à faplus grande portée, & finit lorfque l'ennemi
eft aflez près de nous pour que notre coup,
une fois tiré , nous n’ayons plus le tems de recharger
avant qu’ il vous joigne, c'eft-à dire,entre
trois cent cinquante & trente pas.
II faut donc abfolument employer tous les
moyens pour obliger l'affaillant, par un feu meurtriery
à rebrouffer chemin entre cette diftance,
& c eft de ces moyens que dépend la bonté d’une
pofîtion.
Obfervons encore que le jet de nos fufils & de
nos canons fe fait en ligne droite ou à peu près :
la puiffance de leur aCtion dépend donc principalement
du terrein. L'artillerie & la moufque-
terie ne doivent être placées ni trop haut ni trop
bas : les moindres fînuofités dans le terrein en
amortifffent tout l'effet ,* & c’eft de là & de quelques
autres orcordiances qui réfuîitent médiatement
de nos amies, que découlent tous no.s principes
fur l'art des polirions.
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Le principal c’eft d'affurer nos flancs : les anciens
n'y fongeoient que lorfqu’ils étoient très-
foibles. Nos armes ont fait changer notre ordonnance
, 9,« a-étend u exceffivement le front de
nos armées : ce front démefuré en a fait des corps
fi peu maniables, que dès qu'elles font placées
fur un ferrein , elles y font comme immobiles.
En voulant déplacer une chaîne fi longue Si fi
mince, on ri (que fi fort de la caffer, il faut tant
de précautions qui entraînent tant de lenteurs,
qu’on ne làuroit trop éviter un danger inévitable
dès que l’ennemi tourne une aile.
Tout cela étoit inconnu aux anciens, également
en état de s’oppofer aux mouvemens que l’ennemi
pouvoit entreprendre de loin Si de près.
A l’égard du front, nous tâchons de le couvrir
de qudqu’obftacle qui empêche l’ennemi de marcher
fur nous en front de bandière, & qui i'o-
blige de fe rompre devant nous j ainfi l’ordonnance
mince ayant affoibli l’effet de nos armes à
feu, nous cherchons les moyens de forcer l’ennemi
à fe remettre dans un ordre profond, pour
rendre notre feu plus meurtrier & plus propre à
lui faire abandonner le projet de venir jufqu’à
nous. ' :
Nous cherchons beaucoup auffi à couvrir notre
front , au moins en partie , d’obftacles infur-
montables pour réduire les ennemis à des points
d’attaque , foit pour rendre notre feu plus meurtrier,
foit pour mettre le général plus à même de
favoir où il fera attaqué.
Ni l'une ni l’autre de ces raifons n’exiftoient
pour des anciens : loin de vouloir qu’une partie
de leur front fût couvert d’obftacles qui le ren-
diffent inabordable, toute l’étendue du front dévoie
être entièrement libre pour agir avec toutes
fes forces contre l’ennemi.
D’un autre c ô té , tout ce qui couvre l’ennemi
a huit cents pas de notre front, & nous voile fes.
mouvemens fans les embarraffer, forme un grand
défaut à une pofidon, parce que notre force fe
perd dès l’ inftant où nos armes de jet ne peuvent
pas atteindre l’ennemi fur tout l’efpace de leur,
portée..,
L’auteur finit par obferver, à l’égard du front,
que les anciens, en en occupant un très-petit, fe
trouvoient en état de porter toujours leurs armées
en ligne droite , au lieu que nous fommes prefque
toujours obligés de faire former des angles à notre
front, à caufe de fa grande étendue : ces angles,
font avantageux s’ils font rentrans , mais bien
foibles s’ils font faillans.
Enfin , continue l’auteur, il faut que le champ
de bataille ait une profondeur confidérable , uniquement
pour nous y porter, Si encore plus pour
pouvoir y faire tous les mouvemens néceffaires.
U faut de plus que l’on puiffe fortir aifément de fou
champ de bataillé, & que les derrières fourniflent
des moyens de faire une retraite avec fureté. Les anciens
trouvoient partout, bien plus aifément que
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nous, tous ces objets fur lefquels on eft bientôt
convaincu combien l’invention de la poudre à c;.-
non a multiplié les attentions, quand on les compare
avec ce que Vegèce recommande fur ce fujet.
Après avoir examiné le champ de bataille, l’auteur
paffe à Faction ou au combat. Dès l’inftanr,
obferve-t-il, que le général a placé fes troupes
pour fe défendre ou pour attaquer, il faut qu’il en
abandonne la plus grande partie à elle-même & à
la conduite de ceux qui les commandent fous lui j
ce qui eft une fuite de l'invention de la poudre à
canon, qui nous a obligé d’avoir un front auffi
énorme j auffi le général d’armée de nos jours
doit-il faire un bien plus grand effort d’efprit un
jour de bataille, qu'un général fous les anciens,
& les officiers-généraux fous fes ordres doivent
avoir toute la capacité & toute la bonne volonté
pour faifir dans toutes les occaiïons un jufte milieu
fur les points les plus déliçars.
Il eft vrai que l’étendue même du front de nos
armées empêche que jamais elles ne le chargent
que fucceffivement & en partie fur tout le front $
ce qui donne au général la facilité de choifir un,
deux ou trois endroits par où il tâche de percer
l'ennemi.
Les généraux trouvent encore une reffource dans
la lenteur, l'incertitude Si le flottement infépa-
rables des mouvemens des armées, qui les fauve
l’une ou l’autre, & fouvent toutes les deux le jour
ou combat , d’une entière deftruCtion.
Auffi voit on rarement dans les batailles modernes
, de ces mouvemens hardis faits à la vue de
l’ennemi, foit pour l’ouvrir , le tourner ou le
charger dans quelque point où il ne s’attendoit
pas. Une armée ancienne étoit prefque toute en-,
tière fous la voix de fon général, & l’exécution
fuivoit immédiatement fes ordres ; chez nous, il
faut que l’ordre d’un général paffe de fa bouche
par celle d’un de fes aides-de-camp au commandant
d une divifion, & de celui-ci par plufieurs
autres bouches , à chaque corps fous fes ordres..
Une bataille gagnée eft donc chez nous le fruit
feul d’ une bonne difpofition pour le combat, &
félon l’auteur, le fimple fait du gain d'une bataille
ne peut donner tout au plus qu'un préjugé
en faveur des talens militaires d'un g c ^ r a l ,
& jamais êrfe la preuve de fon-mérite ; chez les
anciens, au contraire, où le hazard n’ influoit !pas
fur les batailles, leur perte étoit prefque toujours
l’effet de l'inconduite du général ou de la lâcheté,
des troupes.
Au refte, l'auteur obferve que tout ce qu'il
vient de dire ne doit s’entendre que de l'infanterie
, parce qu'elle eft l’ame de nos armées, &
qu'elle feule eft chargée d’attaquer ou de défendre
les polirions. La cavalerie n’ a pas changé
d’armes, Si fa manière de combattre eft reftée la
même j mais Ton doit confidérer que les règles
fuivies actuellement par la cavalerie , pour ob tenir
la victoire, font celles que fuivoienr les