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exemples. Qu’ ils deviennent les amis & les compagnons
de ceux qu’ils veulent inftruire. À l’autorité
que l’âge leur donne, qu'ils unifient une
indulgence convenable pour la manière de vivre
des jeunes gens. Cette condefcendance, loin d'af-
.foiblir le rèfped qu'ils méritent, eft le plus fur
moyen de l’augmenter : jamais la vieillefle ne fe
montre avec plus de dignité que quand, tempérée
par la douceur & animée par la bonne humeur,
elle eft lé guide & lé confeil de la jeunefie.
. Heureux le jeune homme qui fe fent pénétré
d'admiration pour les grands-hommes ! Heureux
furtout celui qui peut en avoir un pour guide! Arif-
tide fut peut - être redevable de Ton mérite à un
excellent citoyen nommé Clyftène , auquel il s'é-
toit attaché dans fa jeunefie, et dont les leçons
ainfî que les exemples développèrent en lui le
germe de tant de qualités fubiimes.
§. Ier.
Nécejfité d’un mentor.
Ï1 eft bien difficile à un ancien officier français ,
doué de quelque fenfïbilité , de ne pas plaindre
très - férieufement fes jeunes concitoyens quand
il les voit entrer dans la carrière militaire , fans
que leurs parens leur aient afluré un ami fage ou :
un mentor vigilant : il fe rappelle les premiers
inftans où il vint joindre fes drapeaux, la peine
qu'il éprouva au moment où il fe v i t p o u r la
première fois , éloigné des lieux qui l'avoient
vu naître , & de toutes les perfonnes qui lui
étoient chères , & qu'il n'avoit jamais quittées 5
il fe rappelle le vide-affreux occafîonné par i’ab-
fence de tous ces objets chers à fon coeur, &
des larmes qui coulèrent de fes yeux en fe trouvant
au milieu de tant de perfonnes qu’il ne.coîi-
noifloit point, & dont il n’étoit point connu 5
il fe refiouvient de toutes les fautes qu’il a vu
commettre à fes jeunes camarades , qui erxoient
fans guide , dominés par leurs paffions 5 il fe
rappelle toutes les fautes qu'il auroit faites lui-
même lî fon mentor ne lui eût tendu une main
fecourable, & dès cet inftant il croit voir la fanté
de fes jèunes concitoyens détruite, leur fortune
délabrée, leur ame corrompue , leur honneur
flétri. Non, il ne faut connoître ni les paffions
qui tourmentent la jeunefie , ni l'efprit des jeunes
militai tes, pour ofer abandonner un jeune homme
à lui-même en le plaçant dans un corps militaire,
au milieu d’objets faits pour le corrompre , dans
un âge où les paffions font les plus fougueufes,
& où la raifon eft fi peu aétive. $, dans un moment
©ù tout le pouffe à acheter des plaifirs & à fatis-
faire des fantaifies j dans un inftant où il porte
pour la première fois un habit qiul regarde
comme le fymbole de la liberté & peut-être de
h licence. Et quand même le jeune homme qui entre
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dans un corps , ne feroit ni ébloui par les objets
nouveaux qui fe préfentent à lu i , ni aveuglé
par les exemples qu'il aura fous les yeux, il ne
lui fera pas moins important d’avoir un mentor.
Il y a dans chaque corps des ufages que le
tems y a introduits, fur lefquels les lois fe tai-
fent, dont les fors font jaloux , & que les hommes
fenfés font obligés de fuivre en les mépri-
fant, parce qu’il en réfulte quelques légers avantages.
Qui enfeignera au jeune militaire à ob-
ferver ces formalités mi-.ucieufes ? Qui lui fera
connoître ceux de fes. camarades dont il doit
rechercher l'amitié , ceux qu'il doit voir peu
fouvent, ceux qu'il doit éviter avec foin ? De
ce choix cependant peuvent dépendre , nOTi-feulement
fon bonheur & fa réputation , mais encore
fon honneur. Qui l'introduira dans les cercles
que forme 'la bonne compagnie ? Qui lui
apprendra à diftinguer ceux où il doit defirer
d'être admis ? Qui lui indiquera la place qu’il
doit y occuper ? Qui lui apprendra à en connoître
les hommes ? Qui lui apprendra'à fe connoître
lui-même ? Ces connoiffances font toujours tardives
& .fouvent très-coûteufes quand on les doit
j à fa propre expérience. Que l’on fe garde donc de
| faire entrer un, enfant dans la carrière des armes
avant de lui avoir trouvé un mentor, fi l ’on ne
veut pas être inquiété dans fa. fortune,, dans fon
honneur & dans fa tranquillité..
§. IL,
Du choix £iin mentor.
Préférez pour mentor l'officier dont les moeurs
font les plus pures, & qui jouit dans fon corps
de la plus grande eftime. : les militaires n'accordent
ce fentiment qu'à-ceux qui le méritent.
Préférez .celui qui.a fu fe concilier l'amitié du
plus grand nombre dé fes compagnons d'armes >
votre fils aura autant de mentors que fon guide
aura d’amis : il apprendra à apprécier l'amitié
de fes camarades , & de cette frie a ce naîtra fon
bonheur. Ne choififlez pas un mentor trop âgé :
la vieillefie eft chagrine , fa fagefle .eft auftère y
elle eft ennemie des plaifirs ; elle les fu it, & c’ eft
précifément au milieu des plaifirs que le mentor
eft le plus néceflaire au pupille 5 ce n'eft point
fous les traits de Neftor que la Sagefle fe montre
à Télémaque. Un homme fait peut guider un
jeune homme : ils ont encore les mêmes goûts
l’un & l'autre » & cependant le mentor a a fiez
vu pour être inftruit ; il a affez réfléchi pour
être fage 5 il a acquis afiez de poids pour en im-
pofer à fon pupille. Sachez quel eft l'officier qui
réunit le plus grand nombre de qualités morales
nécefiaires aux militaires- : fâchez auffi, quel eft
celui dont l’efprit, les talens & les connoifiances
ont le plus d’analogie avec ceux que l'on defire
dans le jeune officier qui entre au ferv-ice,..
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§. n i .
De la conduite du mentor.
Nous nous bornerons ici à dire que le mentor
doit effentiellement s'occuper de faire de fon
pupille un homme raifonnable, un citoyen vertueux
& un officier inftruit 8* furtout heureux 5
mais les officiers français ne peuvent, être heureux
que lorfqu’ils fe concilient l ’eftime du public
& celle de leurs chefs, l’amitié de leurs égaux ,
l'amour & le refpeét de leurs inférieurs, & ces
fentimens précieux, ils ne les.obtiennent que lorf-
qû'ils joignent aux vertus qui conftituent l’hon- j
ne te homme & le bon citoyen, les qualités & les
connoiffances qui font le bon militaire , &c.
Mais vouloir s’appefantir Hd sur les moyens à
employer de la part d’un mentor pour affurer tous j
ces avantages à fon pupille , ce feroit vouloir
entreprendre un traité d’éducation. Qu’on life I
Télémaque, Rouffeau , Us Lettrfs du lord Sches-
terfield à son fils , & quelques autres ouvrages’de
ce genre.-, & l’on fe fera procuré les idées les
plus précieufes fur cet objet.
MÉPRIS. S’ il eft avantageux d’infpirer aux soldats
du mépris pour l’ennemi, il feroit. bien dangereux
que le général prît de lui la même idée :
ce mépris pourroit bccafiônner les plus grandes
fautes.
Les Mefféniens, campant fans la moindre in.-,
quiétude , àffe&ant de méprifer les Spartiates,
furent attaqués par. Licurgue ,. qui leur enleva
leurs bagages & leurs chevaux.
Le comte d’Artois , en 1302, ayant négligé
toute efpèce' de précaution, & marché à l’ennemi
fans prendre aucun ordre, parce qu’il le méprifoit,
perdit la bataille à Courtrai.
On pourroit citer une grande quantité de traits
femblables, où des généraux.n’ont été battus que
pour avoir méprifé l’ennemi, & n’avoir pas pris
contre lui toutes lès précautions diétées par les
règles de la plus Ample prudence *
MÉPRIS DE LA MORT. Le courage qui n’a
pas le mépris de la mort pour bàfe , eft fujet à fe
démentir. Le mépris de la mort nous iîffpire un
courage au defius de nos forces $ c’eft lui qui a
opéré la plupart des aéles d’héroïfme que l’hif-
toire nous a confervés. « Qui ne craint point la
mort, eft fur de la donner , a dit avec raifon
» M. de Voltaire-, & avant lui Sénèque. »
L’ idée de la mort étant une des caufes les plus
faites pour éteindre la valeur , les Lacédémoniens
avoient placé les fépulcres dans l’enceinte de la
ville, afin que chacun put fe familiarifer avec
l’idée du trépas.. •
La meilleure manière pour infpirer le mépris
de la m o r t c ’eft.d’en faire une vertu , & de lui
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! prodiguer d’autant plus d’eftime , qu’on a plus
i d’intérêt à l’exciter pur l’utilité qu'on en retire :
c'eft donc une grande faute, que de faire craindre
la mort aux foldats comme une punition : ou la
mort ne fera point d'effet fur lui comme peine,
ou elle influera fur fon courage.
Un article des réglemens pruffiens ordonne aux
fous:officiers & aux officiers de ne perdre aucune
occafion d'infpirer à leurs foldats le plus grand ■
.mépris des ennemis., des dangers & de la mort ,
& de percer de leurs épées le premier foldat qui
tentera de fuir..
MÉSINTELLIGENCE. La méfintelligence entre
les principaux officiers d'une armée en eft indubitablement
la ruine : l ’un fait ce que [’autre
défait $ ils s'entrebarrassent mutuellement, & font
naître mille retardemens &-difficultés.
Mallius & Æpio réunis font trembler les .Gaulois
: la méfintelligence fe met entr’eux , les Gaulois
s’en apperçoivent, les attaquent féparément
& les battent complètement.
Pendant la guerre de Sicile , entre les Romains
& les Carthaginois , une conteftation s'étant éle-
'véê entre les Romains & les Siciliens leurs auxiliaires,
fur ce que les Romains prenoient toujours
les poftes d'honneur , c ’est-à-dire , les plus dangereux
,. les Siciliens- fe réparèrent, & dreflerent
un camp particulier Amilcar s'en étant apperçu ,
attaqua les deux camps féparément, les battit,
& remporta plufieurs autres avantages.
« La mauvaife bête que c ’e ft, dit Montluc,
m que la méfintelligence , quand elle fe met dans
» une armée. ! Empêchez-la tant que vous pour-
rez , vous qui commandez, car fi une fois elle
» a ouvert la porte, il eft mal ai-fé de la chaffer.
» je confeiilois toujours au toi , dit Monrluc,
» que comme il entendroit une divifion dans une
« armée , qu’ il envoyât toujours un prince de
« fon fang pour commander , & plus tôt feroit
53 le meilleur, avant que la divifion puiffè prendre
sa grand pied ; car après qu'eile auroit pris pied
33 & fondement , & fait que le défordre feroit
33 arrivé , on n’y pourroit jamais donner ordre
33 qu'avec grande difficulté & dommage. >3
Quand on apperçoit quelque méfintelligence
parmi les généraux ennemis, on doit, à l'exemple
du chevalier Bayard, faire tous lès efforts pour
l'augmenter. Pendant la défenfe de Mézières , il
apprend qu’il y avoit quelque méfintelligence entre
le comte de Naflau & Sickenghen , généraux de
l'empereur : pour l'augmenter & leur infpirer une
méfiance mutuelleil écrivit à Lamark une lettre
qui devoir tomber entre les mains ,de Sickenghen^.
par laquelle il le prévenoit d'avertir le comte de
Naflau qu’il ne pouvoir trop fe hâter de quitter
le ferviçe de l’empereur pour celui du roi , parce
qu'il devoit être attaqué par des forces fiipérieiires
aux fiennes. Cette lettre étant tombée entre les
] mains de- Sickenghen , il fe crut trahi. En con