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elle ne peut rentrer a fiez à temps dans fa for-
tereffe , pour s’y barricader de nouveau.
Semer des chauffe-trapes fur une brèche eft un
moyen sûr de retarder les progrès de l’ affaillant *
mais comment a-t-on pu propofer de faire ufage
de ce moyen contre une attaque de cavalerie en
rafe campagne ? Pour que les chauffe - trapes
puffent arrêter une troupe de cavaliers , il faudroit
que la terre en fût couverte au loin ', mais comment
tranfporteroit-on , femeroit-on & recueil-
îeroit-on ces machi-nes ? quelle confommation
énorme n’en feroit-on pas ? que deviendroit d’ailleurs
la colonne qui après s’etre couverte de cette
manière fèroit obligée de faire quelque mouvement
? les chauffe-trapes font donc dans cette cir-
conftance un moyen plus ingénieux qu’utile.
M. de Guibert, perfuadé , comme nous l ’avons
vu plus hau t, que l’ infanterie doit oppofer des
obftacles phyfiques au choc violent de la cavalerie,
a propofé de planter , à dix pas du front de chaque
compagnie dé fon infanterie, deux piquets hauts
de cinq pieds , aiguifés & armés de fer , avec un
anneau & deux cordes de la longueur du fron t,
bien tiffues , goudronnées , & garnies- à chaque
bout d’un' crochet de fer qui puiffe facilement
s’adapter aux anneaux des piquets ». M. de Guibert
dit que ce retranchement eft plus fimple , &
beaucoup plus portatif que les chevaux de frife.
Tout le monde fera fans doute, à cet égard, de
l’avis de "ce favant académicien -, mais on ne conviendra
pas fi facilement que fes piquets & leurs
cordes foient un retranchement aufïi sûr que les
chevaux de frife. Quant à nous“ , nous avons
une confiance affez grande en l’auteur de VEJfai
de tactique , pour croire que ces cordes font préférables
aux chevaux de frife , mais nous ne
pouvons convenir qu’elles méritent d’être préférées
aux piquets , qui , de: l’aveu de M.. de
Guibert lui - même , ont valu aux Anglois les
riâoires de Créci & d’Azincourt, &c. Il fuffi-
tjoit, en effet, pour mettre à nu le front de deux
compagnies protégées par des cordes , qu’ un boulet
de canon fût dirigé par un hafard heureux vers
î’endroit où deux piquets feroient fichés l’un à
côté de l’ autre -, où que quelques ^ cavaliers valeureux
jufqu’ à l’imprudence , & il s’en trouve
dans toutes les armées , voulurent bien décidément
, ou couper les cordes à coups de fabres ,
qj2 renverfer les piquets en s’abandonnant fur
eux au galop. M. de Guibert a fi bien fenti la
foiblèffe de ce premier moyen , qu’il s’eft hâté
d’en propofer un fécond : il invite à chercher
une manière de former une paliffade avec les
fufils de deux rangs de fon ordonnance l’ on
pourroit adopter cette paliffade, s’y arrêter même ,
fi l’on trôuvoit la manière- de former l’entrelaf-
fement que l’auteur croit poffible •, fi , en enlevant
leurs armes à un tiers de foldats , on ne courait
pas le rifqùe de les effrayer tous -, fi on né
s’expofoit pas encore à perdre un grand nombre
de fufils -, & enfin fi ce moyen ne mettoit pas dans
Pimpoffibilité de faire faire aux troupes les mou»
vemens que les circonftançes exigent. Puifque
tous ces inconvéniens font réels , il faut bien
paffer à l’examen des autres moyens connus juf-
qu’à ce jour.
On a dit que les canons , leurs avant-trains &
les caiffons , peuvent, s’ ils font difpofés avec
a r t, mettre l’infanterie à l’abri des efforts de la
cavalerie. Nous croyons bien que s’il étoit poüible
de placer l’ infanterie dans une enceinte formée
avec ces machines , elle y ferait a l’abri de la
cavalerie -, mais les canons , les avant-trains &
les caiffons accordés à un corps d’ infanterie , ^ne
peuvent fuffire à le couvrir : toutes les fois qn on
voudroit , d’ailleurs , mettre la colonne en marche ,
il faudroit que les chevaux d’artillerie y 4ont la
place eft naturellement marquée au centre de la
colonne, en regagnaffent l’extérieur , & ce mouvement
efl: capable de porter le trouble & la con-
fuflon parmi les troupes , ou au moins de confirmer
un temps précieux pour elles. M. Dutheil , frappé
par cet inconvénient & par quelques autres confi-
dérations , met fes avant-trains & fes caiffons au
centre de 1n colonne ; & il cherche a prouver dans
l’ouvrage déjà cité , qu’ils font plus utiles la
que lorlqu’ils font placés extérieurement : fi laffer-
tionde M. Dutheil eft auffi-bien fondée qu’elle
nous paroît l’ être , voilà l’ infanterie encore a nu ,
& tout nous dit qu’elle a befoin d’ être couverte.
Comme il nous femble avoir prouvé par cette
difeuflion, quele s armes.de longueur , les pieux
à l’antique , les chevaux dé frife , les chauffe-
trapes , les cordes , les paliffades de fufils , les
canons , leut* avant-trains & leurs caiffons , ne
rempliffent point parfaitement notre objet, il faut
donc chercher une machine qui remplace avec
avantage toutes celles dont nous venons de
parler.
On conviendra , fans doute , que nous aurions
atteint notre b u t, & que l’infanterie feroit inexpugnable
, fi nous pouvions la placer avec vîteffé
& avec facilité , dans tous les temps 8c dans
tous les lieux , au milieu de l’enceinte que nous
allons décrire : cette enceinte devroit être formée
par un double rang de lances ou de piques longues
de fept pieds & demi & armées d’ un fer large ,
fort & tranchant- : ces lances devroient être faites
d’un bois dur , de deux pouces d’équarriffage > fe
tenir inclinées vers l’ennemi , de maniéré a^lui
préfenter la pointe de leur fer > être armees d un-
talon capable de les empêcher de gliffer , quand
bien même elles feroient plantées dans un terrain
mouvant & frappées par le courfier le plus vigoureux
& le plus abandonné y être difpofées de
manière à ce que l’ennemi ne pût ni les franchir,
ni les arracher , ni les abattre ; etre affez rappro-
j chiées les unes des autres , dans chaque rang,
pour ne pas laiffer à un cavalier ifolé & maître
de fon cheval , la liberté de paffer entre deux ,
& point affez pour empêcher l’infanterie qu elles
couvriroient de faire feu & de marcher facilement,
foit en colonne , foit en bataille en avant, en
arrière & fur fes flancs : il faudroit encore que
l’homme le moins exercé, le plus mal-adroit ,
ne pût mal difpofer ces lances , & qu’ il -n eût
befoin que d’un court inftant pour les planter-,
que le nombre des fufils ne fût point diminue ",
& enfin , que toutes les paliffades puffent être
tranfportées à la fuite de l’armée, fans augmenter
la charge de chaque foldat , fans exiger une
augmentation, de chariots , & fans multiplier
d’une manière fenfible le nombre des chevaux.
Si l’enceinte dans laquelle nous venons de renfermer
l’infanterie , réunit toutes les qualités qu’on
peut défirer , nous avons réfolu notre problème ,
car nous croyons avoir trouvé un moyen qui
remplit toutes les conditions demandées -, il paroît
les remplir fi parfaitement, il eft en même temps
fi fimple , & s’offie fi naturellement , que nous
fommes tentés de croire qu’ iPpréfente quelques
grands inconvéniens qui nous ont échappé : fans
ces vices , qui nous font inconnus, il auroit été |
fans doute déjà mis en ufage. J’avois d’abord j
projeté de ne point rendre public le moyen que
j’ai imaginé : fi ma machine eft bonne , m’étois-je
d it, fi elle eft capable de produire dé bons effets ,
elle en produira de plus confidérables & de plûs
certains en reftant inconnue à n'os ennemis , en ne
frappant leurs yeux qu’au moment où elle percera
leur féin , & qu’au moment où ils n’auront plus le
temps dé l’imiter : mais l’impoflibilicé où je me fuis -
trouvé de la faire juger par les chefs de l’admi-
niftration militaire , & le peu d’efpoir qui me
refte à cet égard m’a déterminé à la rendre
publique. Tel adminiftrateur qui l’auroit rejetée
fans l’examiner , parce qu’elle lui auroit été pré-
fentée par un homme d’un nom peu connu &
fur-tout d’un grade peu élevé , l’adoptera peut-
être, parce qu’il ne rougira pas d’en devoir l’idée
à l’Encyclopédie.
Les tentes dans lefquelllss coachenr nos loldats ,
font fupportées chacune par deux mâts : ces mâts
font d’un bois dur ; ils ont chacun fix pieds de
haut & deux pouces d’équarriffage : à la partie
Supérieure de chacun de ces mâts eft placé un
morceau de fer cylindrique de deux pouces &
demi de longueur &de trois lignes de diamètre ,&c.
Dès l’inftant où j’ai nommé des mâts de tente ,
on a prévu , fans doute , que je veux les transformer
en hampe de lance , & le morceau de fer
cylindrique qui les fariüonte , en fer large &
tranchant. Voilà en effet le projet que j’aj conçu
& que j’ai exécuté. Ce moyen eft fimple, on ne
peut en difeonvenir : il ne refte donc qu’à prouver
qu’ il eft praticable dans tous les lieux & dans
toutes les circonftances ; qu’il eft sûr , facile ,
peu difpendieux & préférable à tous ceux qui ont
été imaginés jufqu’à ce jour.
Les tentes ne font jamais ou prefque jamais
tendues quand on combat-, elles ne le font point
non plus quand on fait une marche on peut donc,
dans ces deux circonftances, faire des mâts uft
autre ufage que celui auquel ils font principalement
deftinés : mais il faut, pour employer ces
mâts à un autre ufage , qu’ il ne foit pas néceffaire
de leur faire fubir des changemens nuifibles à
leur deftination primitive: nous y avons pourvu.
Chaque" tente n’eft deftinée qu’ à lóger huit
foldats ou bas-officiers -, en fuppofant que de ces
huit hommes il y en a deux ou à l’hôpital , ou
de garde aux équipages , ©u détachés fur les
flancs & fur les derrières de l’armée, ou placés
en ferre-files , il ,refte donc un mât pour trois
hommes j or trois hommes forment une file ,
donc chaque file peut avoir devant elle un 4s
ces mâts.
Chaque file n’occupe guères qn’environ vingt-
quatre pouces de terrain , & chaque mât a au
moins deux pouces d’équarrifl'age -, il n’y aura par
conféquent entre chaque mât que dix - huit ou
vingt pouces de diftance.
Toutes les fois qu’on veut réfifter à de la cavale
rie, on eft au moins fur fix de hauteur-, chacun©
des files aura donc , dans cette circonftance, deux
mâts en avant d’elle.
Je transforme le morceau de fer cylindrique.,
deftiné a entrer dans la traverie de la tente , en
un morceau de fer quarré de quatre lignes 4 ’équar-
riffage ’, l’augmentation de force que je .donnera
ce boulon n’ eft pas affez confidérable pour, trop
affoiblir la traverfe dans laquelle il doit .entrer.;
& le changement de forme que jelui fais éprouver
ne peut qu’ajouter à la folidité de la tente , car
la traverfe ne pourra rouler autour du boulon. Si
l’on craignoit cependant que ce changement de
forme ne rendît la manière de tendre la tente plus
difficile , on pourroit cônferver à ce boulon la
forme cylindrique en lui donnant toutefois quatre
lignes de diamètre.
De l’extrémité fupérieure du quarré ou, du
boulon , partira un fer de lance de dix pouces
de longueur, fur quinze lignes de largeur & une
épaiffeur proportionné© ; ce fer de lance paffeiia
par une ouverture pratiquée dans la longueur
de la traverfe : cette ouvertue ne pourra nuire a.la
force de ce morceau de bois ; car elle n’aura que fix
lignes de longueur au-delà des extrémités du trou
du boulon & au plus une ligne de largeur; k pli^s
grande épaiffeur du fer de lance fe .trouvant dans
l’ouverture pratiquée pour le boulon. Voilà.donc
mon mât devenu lance fans que la tente ait
éprouvé le plus petit changement. Si l’on étoit
arrêté par la dépenfe qu’occafionneroit la fabrication
de nos fers de lance , ou par les changement
que nous avons faitlubir au boulon qui furmonte
les mâts, ou par l’ouverture qu’il faudroitpta