
pieux ; mais alors il ne porte des vivres que pour
cinq jours.
F o r c e î ( confidérée comme le nombre des
troupes) c^eftla réfolution plutôt que les troupes
qui gagnent les batailles > la force d'un corps
militaire , ne çoafifte pas entièrement dans le
nombre d'hommes , mais dans fon heureufe formation
j & dans l’efprit qui anime les individu».
Comme il eft toujours important de connoître
la force des ennemis , il ne l’eft pas moins de
lui cacher les fiennes. 11 eft dangereux de réparer.
fes forces j le -grand art à la guerre eft de
ménager tellement fes forces 8c d'en tirer un
tel parti, que l'on paille à volonté en refufer
une partie à l'ennemi, afin d'en porter une
fupérienre fur les points 8c contre les troupes
que l'on veut attaquer.
Force ; ( confidérée comme courage ) elle a
été appellée vertu , elle eft la plus difficile _> la
plus glorieufe } elle produit les effets les plus
éclatans ; elle comprend la magnanimité , la patience
,.la confiance j la difcrétion , la perfévé-
rance invincible 3 les qualités du coeur, la fermeté
de l'ame , la domination des paffions j 8c
combien cette vertu doit être effentielle aux
hommes qui ofent fe mettre à la tête des
armées.
FORMATION. Dans le Di&ionnaire Militaire
, on s'eft borné en parisnt du mot fo rm a t io n
de renvoyer à celui de ta c tiq u e ; mais cela ne
peut ni ne doit être fuffifant, fur-tout encore ,
quand en lifant ce mot ta f t iq u e , on n'y trouve
pas un mot relatif à la fo rm a t io n des troupes.
Nous avons déjà ébauché des idées fur h . fo rm a t
io n dans les mots f i l e s & flo ttem en t de ce Supplément.
Nous y reviendrons dans ceux h a u teu r
& ta c tiq u e . Outre la f o rm a t io n phyfique , fi l’on
peut ainfi parler , on oferoit dire qu'il y a une
fo rm a t io n morale j c'eft celle connue par les
Gaulois , de compofer les différens corps avec
des hommes de la même famille , du même
bourg , de la même ville , du même canton , du
même département, &c. Il y a auffi une fo rm a t
io n politique , celle qui compofe les corps, de
manière qu'ils puiffent être portés facilement du
pied de guerre à''celui de paix, de celui d’une
guerre ordinaire à celui d’une guerre beaucoup
plus, étendue j en obfervant de conferver dans
ces différentes fo rm a t io n s le même nombre d’officiers
& de füus-officiers , pour éviter les variations
dans les manoeuvres , & s’affurer un bon
efprit de corps 8c une grande facilité pour l’inf-
truétion , la meilleure 8c la plus prompte. Nous
avons traité cet objet important au mot fo r c e
y u b liq u e .
La ta&ique exige auffi h fo rm a t io n , qui doit
être celle au moyen de laquelle on peut paffer
aifément de l’ordre du feu à celui de l'impul-
fion , & réciproquement ; car depuis l’ufage des
armes à feu, une fo rm a t io n univerfelle eft devenue
impoffible pour l’infanterie j ( nous avons
donné des idées affez étendues fur c.t objet,,
dans le f o ld a t - c i t o y e n } ) d’où s’enfuit 1 importance
d'exercer fouvent cette arme à prendre
avec une grande promptitude la f o rm a t io n la
plus appropriée au terrain fur lequel elle fe
trouve, ou au geme de combat qu'elle veut
livrer, celui du feu ou celui de l'arme blanche ;
d’où s'enfuit en même - teins cette .vérité
que la bonté d’une fo rm a t io n confifte dans fa
force & fa légéreté.
C'eft-avec une efpèce d’orgueil que nous nous
permettrons de mettre ici fous les yeux des
militaires, les idées fur cet objet d'un des officiers
le plus inftruit de ce fiècle,.le général
Lloyd dans fes M ém o i r e s m ilita ir e s & p o lit iq u e s ,
en nous glorifiant d’avoir penfé comme lui , 8c
de l’avoir dit quatre ans avant que fes Mémoires
ne fuffent connus en France.
« La coutume eft un tyran plus impérieux que
tous les defpotes de l’Orient } qu’on s'éloigne
d'elle le moins du monde, on eft réputé'traître
& rébeîle. Il n’y a point d’argument direél qui
puiffe arracher des efprits, une opinion bien ou
mal fondée. C ’eft au tems feul, aidé de quelques
circonftances favorables, à la^ fécher dans( fes
racines. Croiroit-on que depuis plus de cent ans
la philofophie moderne, quoiqu’établie fur Ijs
principes mathématiques , n’a pu encore^ détruire
entièrement les chimères 8c les vifions d’Ariftote
& de Platon.
« On fe donne- bien de la peine pour ne
gagner que la haine, quand on entreprend de
démontrer à un homme qu’il eft dans 1 erreur,
& que fon opinion eft abfurde. Peu de gens
ont ce courage , encore moins ont Je talent de
s’ouvrir des routes nouvelles. Ils aiment donc
mieux fuivre les fentiers battus. En matière de
religion ou de politique, on doit bien fe garder
de rien innover , parce que fur ees objets , le
vrai comme le faux caufe de la difeuffion & des
’ débats , toujours nuifibles, qu’un homme de
bien doit éviter. La paix & la concorde font
le but 8c le principe ae toutes fes allions ; mais
en ta&ique , 1 s erreurs ne peuvent faire, mal à
perfonne. Le pis qui puiffe arriver , c’eft qu'elles
tombent dans le mépris , & difparoiffent. C’eft
donc avec confiance 8c tranquillité , que je
prie le leéteur de vouloir examiner fans prévention
, & avec un efprit attentif 8c impartial,
ce que nous allons dire fur ce fujet important.
i « La formation d’un corps foit d’infanterie ou
de
t!e cavalerie doit être analogue à l’efpèce de fés
armes, & il faut réunir dans l’enfemble la fo r c e ,
l 'a f t i v i t i 3 8 c une mobilité univerfelle applicable
à toutes les opérations de la guerre. La phalange
étoit armée convenablement à fa conftitution >
elle avoit auffi la fo r c e au plus haut degré. La
légion également bien armée avoit de plus la
fo r c e & l ' a c t iv i té j mais l'une 8c l'autre avoir
un défaut effentiel dans la fo rm a t io n de l’enfemble ;
c'étoit une cavalerie jettée fur les aîles 8c qui
par-là n’étoit ni flanquante ni flanquée.
« Avant de juger notre fo rm a t io n moderne ,
il faut examiner foigneufement la nature 8c les
effets du fufil, puifque c'eft maintenant à-peu-
près la feule arme qu'emploie l'infanterie. L'épée
n’eft pour lé foldat qu'une charge inutile, 8c qu'il
feroit bon de réformer.
« Confidéré comme arme de jet, le fufil eft
certainement fupérie ur à toutes celles des anciens
; & fi l'on ne faifoit attention qu'à la longueur
de fa portée & à la facilité de fon fer-
vice , on devroit s’étonner que toute une armée
ne fût pas détruite en peu d'heures par cette
arme meurtrière- ; il eft pourtant vrai que le
fufil eft bien moins redoutable que l’épée 8c
la pique. Quand l'infanterie empîoyoit ces armes
, il falloit néce fiai renient qu'on en vînt à
combattre de près î la plus grande partie des
vaincus , & beaucoup de vainqueurs étoient tués
ou bleflés dans le cours de Ta&ion , & la victoire
étoit plus décifive-; car il étoit impoffible
de fe retirer en bon ordre. L'ufage des armes à
feu aintroduit une manière incertaine de faire
la guerre , moins fanglante à la vérité , mais
auffi moins décifive : lis deux armées fe tien-
»ent à de grandes diftances l'une de l’autre,
pendant une grande partie de l'aélion & fouvent
pendant l’aétion toute entière. Il eft bien rare
que deux lignes fe joignent au point de croifer
le fabre ou la bayonnette ; il en réfulte pour les •
deux armées la facil.té de changer leurs difpofi-
tions en tout ou en partie , ou même d'abandonner
entièrement le terrain, fi les circonftances
l’exigent, & tout cela fans embarras, fans
danger, & prefque fans perte.
: f. Les armes à feu font les plus délicats de
tous les inftrumens de guerre,& ceux dont l’effet
eft le plus incertain. La quantité de pondre, la
manière de charger , l’état de l'atmofphère ,
Iagitation de l ’homme, çaufent tant de variations
dans l'effet 8c dans la direction, qu'on peut
bien eftimer que fur quatre cents coups, il y
en a peut-être un qui porte. L'incertitude des
effets du feu , & la grande diftance que l'on
garde toujours entre les deux armées font les
deux véritables .caufes du peu d’importance, de
n o s batailles : il y a peu de monde tué , le yefte
■ Art M i L t . S u p p l, T om e
fait fa retraite. Ce n'eft plus comme autrefois
que les guerres fe décidoient par des batailles-
où la viâoire étoit toujours complette} aujourd’hui,
une armée bien inférieure parle nombre,
8c même par la bonté des troupes , peut, fous
les ordres d’un chef habile, prendre despofi-
tions avantageufes, 8c arrêter pendant des années
les progrès d'un vainqueur bien plus fo rt,
jufqu'à ce qu’enfin le vainqueur & le vaincu
étant également épuifés & ruinés, la paix devient
néceffaire à. tous deux , par l'impuiffance
de foutenir plus long-tems la guerre : voilà pourquoi
de nos jours on ne voit plus de royaumes
conquis 8c de trônes renverfés ; le peuple feul
paie les frais 8c fouffre les calamités de la
guerre ; le monarque étranger à la mifèré publique
, vit dans la paix 8c les délices, 8c ne s'em-
barraffe guère du mauvais fuccès, dont il eft bien
rare que l'influence s'étende jufqu’au trône. Il
ordonne la paix ou la guerre , fuivant fon caprice
ou celui de fes favoris.
« Si l'incertitude de l’effet des armes à feu
eft telle, que le meilleur tireur au blanc, libre
8c fans obftacle , ne puiffe une fois en dix ajufter
un but placé à une diftance confidérable 5 que
peut-on attendre d’un foldat ordinaire dans le-
rang où il eft gêné , preffé , pouffé de tous
côtés par fes camarades , troublé par les voix
des mourans 3c par les images de la mort qui
flottent de toute part fous fes yeux ? L'arme 8c
le but,- s'il en avoit, vacillent également; il
faut peuf compter fur ce feu - là. Si à tout cela
vous ajoutez le mouvement des chevaux , il s’en-
fuivra qu’aucune arme à feu , excepté le-piftolet
à brûle - pourpoint, n'eft propre ni pour la cavalerie,
ni pour aucun autre corps pefant, parce
qu'ils n'en peuvent faire aucun ufage avantageux.
Il feroit difficile : 8c je crois même impof-
1 fible de difpofer l'infanterie de manière à tirer
avantage de fon feu : fi■ vous lui donnez trois,
tout au plus de profondeur à rangs 8c files ferrés,
comme cela fe fait aujourd’hui ; elle ne peut
pas fe fervir de fes armes : & fi on la forme
fur une moindre profondeur avec les files 8c
les rangs ouverts , vos hommes ne peuvent plus
tirer du tout; & ainfi féparés, ils-manquent de
force & d'union pour agir 8e- fe. mouvoir ; il eft
donc réellement impoffible de donner à une
troupe armée de fufils les trois qualités que
nous avons reconnues effentielles '. fo r c e , a c t iv i t é ,
m o b i l i t é . Oh a fenti ces difficultés, &ona cherché
à les diminuer, en introduifant différentes efpèces
de feu. Sur cela les avis fe font partagés. Les uns
ont cru meilleur de tirer par rang, les autres
par portion de files , comme ..pelotons , divifions
, 8cc. Le comte de Saint-Germain rejette
tous ces feux , 8c propofe un feu de file en
commençant par la droite ou par la gauché. *
d’où l’on voit que le fufil 8c en général toutes
Q q a