
ne devoit-il pas attendre de la manière dont
il avoit formé 8c difpofé.fa gauche ! Voyez Tes
difpofitions pour rendre inutiles les machines
de je t , fur lesquelles Mécanidas paroiffoit avoir
fondé .de, fi grandes efpérances,. fui v;ez-le.dans
fes ordres pour faire:attaquer.la droite de l'ennemi
par toute fa gauche, au moment pu il
s 'a p p e la itvdës difpo.lirions de .Mécanidas pour
la renforcer. Cependant il ,eft trompé dans fon
attente, fes troupes fe comportent mal, 8c toute
fa gauche eft culbutées .c’eft alors od il mérite
encore de plus grands éloges ; déjà la première
ligne de fa phalange a remplacé .fa.gauche, la
fécondé eft devenue fon corps de bataille ; 8c
déjà auüi, il a renverfé, la : phalange i lacédé-
monienne en la prenant de front, en flanc 8c
à dos. Voilà certainement de grandes manoeuvres
& des mouvemens diéfés par le . fang-froid &
le génie; mais.Mécanidas n’elt pas encore vaincu ,
jl eft encore à la tête d'une partie de fon armée
& cette partie eft viétorieufe > il faut donc faire
de nouvelles difpolitions, non-feulement pour
le combattre, mais encore pour convaincre fes
troupes de l’inutilité de leur réiîftance 8c les
décider à fe rendre. Et tels font les moyens
développés par le général Açhéen, pour ter-!
miner cette journée glorieufe. Enfin après, une
journée auffi pénible, il peut relier quelque
chofe à faire pour mettre le comble à la gloire
du général, & peut-être terminer la campagne
& la guerre 3 Tégée peut ouvrir fes portes,
fi f on marche à elle fans différer, & c'eft le
paf ti pris par Pjiilopemen & exécuté avec fuccès.
Après ces détails • & ces réflexions, on doit
refler convaincu de la difficulté de pouffer plu$
loin l'art des manoeuvres 8c de la bonne conduite
à la guerres auffi, comme nous l'avons d it,
Philopemen fut appelé le dernier des Grecs §
& peut-on regarder la fécondé bataille de Man-
tinée , comme le dernier exemple de la fcience
de la guerre en Grèce. C'eft le pays où nous
avons cru voir prendre naiffance à l'art de la
guerre; c’eft-là où nous avous vu créer l'ordre
en phalange, perfectionner fucceffivement tous
les movens de la fcience de la guerre , & la faire
parvenir au point où Philopemen la laiffa, &
duquel elle déclina bientôt en Grèce , mais
au-delà duquel elle alla chez un autre peuple,
& dans d’autres époques dont nous allons nous
occuper,
L E S R O M A I N S .
Dans les tems où Philippe, Alexandre, Pyrrhus
& Philopemen. faifoient réputer la phalange ,
comme la première ordonnance de l’univers, il
s'établ'iUbic fur les côtes de l’Aufonie quelques
Xroyens fugitifs , qui apportoient avec eux les
principes de la tactique échappés des ruines de
T ro y e , 8c ceux dont ils avoient pu s’ inftvuire
par les peuples qui venoient de les détruire.
Ain fi à l’époque où les Grecs fe croyoient le
premier peuple militaire du monde, on créoic
à deux cents lieues d’eux, des lois, une mil c e ,
une ordonnance o une taClique totalementop-
pofée à la leur, 8c qui devoir les vaincre & les
faire oublier.
Les Grecs étoient devenus guerriers par le
befoin d’oppofer du courage 8c des connoiffances
militaires aux invafions des Pèrfes ; & chez eux
l’art de la guerre s’étoit perfectionné par l ’envie
mutuelle d’avoir la fupérioritë dans les guerres
faites entr’ eux , & par l’ambition de leur gouvernement;
mais ils n’eurent point de modèles
à fuivrei
Profitant au contraire des lumières & des
fautes de tous lés fiècles, mais furtout. combattant
contre de grands généraux, qui les inf-
truifoient à force de les vaincre, les Romains
guerriers par leur confiitution portèrent l'art
militaire au plus haut point de la perfection-} &
chez eux la fcience de la gùerre fit des progrès
qui leur affura l’empire de d'univers.
En parcourant cette époque, nous nous
convaincrons jufqu’à quel point l’art de la guerre
eft fufceptible de modifications différentes ; nous
le verrons affurer des victoires aux Romains,
en les laiffant fe foumettre à des formes très-
peu feniblables à celles adoptées chez les Grecs.
Par-là les détails en deviendront plus inftruc-
t ifs , 8c nous aurons v u , comment fans fe concerter
ni fe connoître, deux peuples portèrent
la fcience de la guerre à fa plus grande perfection.
Les Grecs avoient imaginé l ’ordre en phalange,
les Romains créèrent la légion 3 ( voyeç
Légion ) 3 elle étoit compofée à-peu-près par
moitié de foldats nés Romains 8c de foldats des
alliés. Elle s’étoit d’abord mife en bataille fur
une ligne continue, mais en perfectionnant la
taCtique , on imagina trouver de plus grands
avantages à la former par manipules 3 l’infanterie
pefante étant compofée de trois ordres
de foldats, ils étoient placés fur tiois lignes
différentes., & l ’intervalle laiffé entre ces lignes
égalait le front de l’ une des divifions. Ainfi les
manipules de la première 8c de la fécondé
ligne y pouvoient agir féparément ou remplir
mutuellement* les intervalles 8c completter la
ligne : durant l’aCtion les triaires formoient le
corps de réferv.e ; ils foutenoient la ligne &
prenoienr la place des manipules enfoncés par
l’ennemi. Afin de faciliter ce* manoeuvres , les
divifions d’une ligne fe trouvoient devant les
intervalles de l’autre.
Les foldats de la légion avoient, pour armes
le
le piltim, qui étoit une javeline pefante>. def-
tinée à être lancée fur l’ennemi, 8c l’épée
courte à deux tranchans, avec laquelle ils frap-
oient d ’eftoc & de taille 5 ils portoient un
ouclier oblong, haut de quatre preds, fur deux
& demi de largeur , de forme un peu convexe 5
un cafque , une cotte-de-maille ou cuiraffe,
des cuiffards 8c des bottines.
En équipant ainfi fes fantaffins, Rome affer-
miffoit leur courage, car les foldats font plus
difpofés à la bravoure, en raifon de la conviction
de pouvoir faire un grand mal à l ’ennemi,
& de fe garantir en même tems de fes coups.
Les Romains fans doute divifèrent leur légion
en manipules , 8c combattirent en intervalles
féparés , après avoir adopté l’épée -courte ,
venue originairement d’Efpagne, & ils employèrent
cette difpofition pendant tout le tems
où ils eurent à combatre des ennemis rangés
en phalange &' armés de lance.
La phalange formant une colonne d’une profondeur
indéfinie, fes rangs étant ferrés & fa
ligne continue offrant un mur de javelines, l’épée
courre 3 8c les divifions détachées de la légion, ne
pouvoient l’entamer, à moins d’avoir rompu là
ligne, après y avoir fait quelques brèches, au
moyen des javelots lï terribles des Romains.
Les Romains aboient donc imaginé d’attaquer
en divifio. s féparées & à différens intervalles
, afin de produire du défordre au front
de la phalange, 8c de percer des ouvertures
dans lefquelles le foldat put faire ufage de fa
courte épée 8c maffacrer enfuite un grand nombre
d’ennemis fans beaucoup de réfiftance 3 mais
après la guerre fociale 8c les guerres civiles
les Romains renoncèrent aux divifions féparées 3
ayant alors à combattre. des ennemis rangés fur
une feule ligne, ils rangèrent leurs troupes de
la même manière 3 probablement on dût cette
innovation à Marius,
Ces différentes combinaifons fi favantes , relativement
à la manière de s’armer, de fe former
8c de combattre, deviennent bien moins étonnantes
quand on fait attention à l’efprit qui
•régnoit dans la république romaine.
L ’affemblée des citoyens de Rome, réunis pour une guerre ou pour une affaire d’ Etat, étoit toujours appelée l’ armée 3 chaque plébéïn était infcrit fur la lifte des fantaffins , 8c tous :
les membres de l’ordre équeftre fur celle des
cavaliers 3 la légion étoit un détachement de
la grande armée 1 les généraux commandoient les
troupes à titre de magiftrats civils , ou en vertu
d’une qualification militaire, dont les confuls
ou les préteurs étoient toujours revêtus. Les |
Art Mi lit. Suppl. Tome IV .
membres de la république ne pouvoient afpirer
aux premières charges, fans avoir été auparavant
enrôlés l ’efpace de dix ans en qualité de
cavaliers, ou de feize en qualité de fantaffins 3
8c même en leur donnant des commuions fpé-
ciales pour des fervices particuliers d’ adminif-
tration ou de guerre, on ne féparoit jamais le
rang militaire 8c le .rang civil. Rome cherchoit
avec le même foin à former des hommes d’Etat
& des généraux 3 fouverft elle faifoit la guerre
pour calmer fes troubles domeftiques 3 8c fes
divifions inteftines, aulieu d’enchaîner les forces
de l’Etat leur donnoit plus d’aéfivité. Les patriciens
s’efforçoient par de grandes actions de
fe rendre dignes de leurs privilèges 5 les nobles
8c les plébéïns exerçoient à l’envi leur courage
8c leurs talens , 8c les querellés de faisions inf-
piroient aux uns 8c aux autres plus d’énergie
contre les ennemis de la république.
Les confuls nouveaux chaque année donnoient
une nouvelle vigueur à l’adminiftration, 8c ils
indiquoient à l'Etat de nouveaux projets de conquêtes.
Chacun d’eux avoit l’ambition de fe
diyiinguer 8c de mériter un triomphe.
Dans cette école de guerriers, les honneurs
militaires n’étoient pas réfervés aux feuls généraux
j le foldat victorieux partageoit le triomphe
de fon ch e f, 8c on lui accordoit des récom-
penfes particulières, félon la valeur dont il
avoit donné des preuves. Lorfque Dentatus
réclama une portion de terre conquife, il dit
aux Romains : on trouve fur mon corps les cicatrices
de quarante-cinq bleffures, j’ai obtenu
un grand nombre de prix de valeur 3 on m’a
donné quatorze couronnes civiques, pour avoir
fauvé dans les combats la vie à un grand nombre
de mes concitoyens; pour avoir monté le premier
trois fois à l’efcalade des murs ennemis,
trois fois j’ai reçu la couronne murale : j’ai remporté
huit fois le prix offert à ceux qui montrent
un courage extraordinaire dans les batailles ;
les généraux particuliers pour me montrer la
fatisfaétion de mes fervices , m’ont accordé
quatre-vingt-trois chaînes d’o r , foixante bracelets
, dix-huit lames, 8c vingt-huit équipages
de cavaliers complets.
Sous une adminiftration qui avoit imaginé tant
■
d’honneurs militaires, 8c qui offroit aux foi-
;
dats tant de motifs de gloire, la mutation fré-
.
quente des généraux ranimoit fans ce fil l'ardeur
8c le courage des armées 3 8c quand on déli-
béroit fi l’on feroit la guerre, l’ambition effrénée
des individus devoit néceffairement produire des
réfolutions vigoureufes , 8c la force irréfiftible
avec laquelle on les exécutoit. Quelques détails
nous aideront à faire bien mieux connoître l’art
I militaire chez ce peuple étonnant.
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