
citoyens pouvoient entrer au fervice en qualité
d’officier : c’ étoit avoir fait beaucoup, fans doute ,
mais en étoit-ce allez ? Difcutons cette queftion
plus importante qu’elle ne le paroît d’abord > donnons
les raifons qui femblent demander qu’on recule
encore cette époque , mais gardons - nous
d’omettre celles qu’on peut alléguer en faveur de
Yâge fixé par ce miniftre, ou même en faveur
d’un âge plus tendre, car aujourd’hui on p eu t,
dès quinze ans, entrer au fervice. Mon but ne
fera jamais , dans le cours de cet ouvrage , de
faire prévaloir une opinion, mais de chercher la'
vérité, & de mettre les adminiftrateurs militaires
à portée de la connoître.
On convient généralement que c’eft de la fageffe
dans le choix d’ un état que dépend le bonheur
de chacun des hommes en fociété, & par confe-
quent celui de la fociété elle-même. On convient
encore que pour bien faire ce choix , il faut non-
feulement fe connoître parfaitement foi-même ,
mais connoître encore les différens états qu’on
peut embraffer, & avoir une idée jufte des devoirs
qu’ils impofent. Or -, je demande s’il eft pof- fible à un jeune adolefcent, qui commence a peine à fentir fon exiftence , ou au moins qui ne s’eft
point encore interrogé férieufement, d’apporter
dans ce choix la maturité & les réflexions qu’il
exige : je demande fi un adolefcent qui n’a vu
encore le monde que la manièrede la plus fuperfi-
cielle , qui ne diftingue les clafifes dans lefquelles
la fociété eft partagée que par les .habits .qu’elles
çnt adopté | peut juger qu’elle eft celle à laquelle
il eft plus propre? Le jeune citoyen qui eft au
moment de faire un choix , eft aidé, je le fais,
par les avis de fes parens > on expofe fous fes
yeux , dans de beaux difcours , le tableau j des
avantages & des inconvéniens de chaque état 5
mais qui nous répondra que l’impartialité a fait
ce tableau ? Si c’étoit la prévention , elle auroit
peut-être embelli l’état pour lequel le jeune citoyen
étoit le moins propre, & chargé d’un~vernis repoufiant celui pour lequel il étoit né. Qui nous
répondra encore que le jeune citoyen a faifi ou
voulu faifir les détails & l’enfemble du tableau ?
C e s premières réflexions portent également fur
la magiftrature , le clergé & l’état militaire 5
mais il çn eft' de particulières à ce dernier.
flétriflurè : ce n’eft pas, il eft v rai, les loix qui l'impriment
Le jeune citoyen que le hafard ou la volonté de
fes parens ont déterminé à entrer dans l’églife ou
dans le barreau , p eu t, fans encourir le moindre
blâme de la part du public,, abandonner, dès
qu’il en a conçu le défir , les vêtemens qu’il avoit
adoptés , & les bancs fur lefqwels il. faifoit une
efpèce d’apprentifiage : car ce n'eft guères qu’à
vingt-cinq ans qu’il contrarie avec lp public un
engagement réeb 11 n’en eft point de même de
celui qui a embrafle l’état militaire ; dès le premier
pas il eft. engagé .dans la carrière , 8c il ne
peut plus en fortir fans encourir une efpèçç de
fur fon front, cette marque avili (Tante, mais
ce font nos préjugés : 8c l’on fait qu’ils font plus
puiflans que les loix. Que penfera-t-on de toi ,
lui difent-ils , d’une voix impérieufe ? on croira
que tu as été jugé incapable ou indigne de fervir
ta patrie les armes à la main , & dès-lors tu n'o-
feras prefque plus te montrer j ainfi ils l’ enchaînent
, par la crainte , dès fon enfance, à un état
qu’il hait , ou auquel il n’eft point propre ;
ainfi ils le rendent malheureux ‘pour toujours ,
& le préparent quelquefois à un opprobre mérité.
Cette première différence eft fenfîble, mais elle
n’eft pas la feule j cette première raifon eft puif-
fante , mais elle n’eft pas la plus forte.
Un jeune adolefcent infpirera-t-il à des foldats
aux cheveux gris , cette confiance entière, qui
I eft un garant prefque certain de la viétoire ? Obtiendra
t-il d’eux cette obéifiance de raifon bien
plus sûrê que celle qui eft impofée par les loix?
Eft-ce un jeune homme, aux membres délicats ,
qui, par fon exemple , pourra faire rougir fes fu-
bordonnés de ce qu’ils fuccombent fous des fatigues
qu’il fupporte ? Eft-ce un jeune homme qui
a toujours befoin d’un long & doux repos, qui
pourra veiller pour tous , ou au moins fur tous ?
Son ame aétive pourra le foutenir pendant quelques
inftans , mais bientôt il fera abattu malgré
lui , & il fe refîentira même toujours de ces fatigues
trop précoces. Les forces de l’homme s’ac-
croifîent par l’ exercice qu’il en fa it , dira-t-on
fans doute. Oui ; c’eft en fe livrant d’abord à un
exercice modéré qu’on devient capable d un exercice
violent j mais un exercice violent, fait dans
un âge trop tendre, détruit les forces au lieu de
les augmenter. Voyez dans nos manèges avec
quelles précautions un écuyer habile exerce les
chevaux , dont les forces n’ont point encore acquis
tout leur développement 5 voyez dans nos
campagnes quels font les hommes les plus ro-
. buftes 5 ce ne font certainement point ceux qui,
de trop bonne heure, ont été forcés »'par l’indigence
, de fe livrer à des travaux très-pénibles 5
ils font tous petits, fluets, foibles, on les croi-
roit d’une race dégénérée.' 11 faut que les militaires
, dira-t on encore, car cette obje&ion eft celle
qu’on répète le plus fouvent, aient appris de
bonne heure à faire plier leur volonté fous celle
des autres ; cette habitude eft heureufe , elle eft
nécefîaire, mais ce n’eft point à Yâge de vingt ans,
ce n’eft point au momènt où l’on perd de vue,
pour la première fois, fqn père, fon gouverneur,
, ce n’eft point à cet âge qu’on a contra&é , pour
l’indépendance , un. goût difficile à vaincre' : c’ eft
d’ ailleurs une obéifiance de raifon qu’il faut aux
officiers, 8c non une obéifiance d’habitude 5 une
obéifiance de fentiment & non une obéifiance de
préjugé, IJ fau t, dira-1-un aufli» que les jeunes
gen$
gens foient occupés de bonne heure des exercices
militaires , afin qu’ils acquièrent de l’adreffe dans
Jart de manier leurs armes. Il pouvoit être né-
ceflaire , jadis , de faire apprendre de bonne
heure aux jeunes militaires à manier la lancé &
l’épée avec une grande adreffe, à mener un cheval
avec beaucoup d’ar t, 8c c. Mais les changemens
immenfes qui fe font introduits dans notre manière
de nous armer 8c de combattre , ont rendu
ces exercices précoces , inutiles ", ou du moins
fuperflus.
Que deviendront, demandera - 1 - on aufli, les
jeunes citoyens nés de parens très - pauvres , &
qui par leur naiffance femblent plus particulièrement
deftinés au fervice militaire ? Quelle éducation
-recevront-ils dans le fond des campagnes où
jls feront relégués jufqu’à vingt-ans ? Un nouvel
ordre de chofes lèvera cette objection. Mais ne re-
çuffent-ils aucune inftruétion, l ’Etat n’en gagneroit
pas moins au retard propofé. Ces jeunes citoyens
conferveront une ame neuve & un coeur pur dans un
corps vigoureux j ces biens font préférables à
ceux que procurent nos éducations modernes:
'elles ne donnent que les dehors des vertus &
l’apparence de l’inftruétioH.
Si l’on portoit aujourd’h u i, objectera-t-on encore
, une loi qui fixât à vingt ans l’époque de
l'admiflioh au brevet de fous-lieutenant, comment
rempliroit-on les places qui viendroient
à vaquer pendant les cinq premières années ?
Rien de plus aile : il y a dans chaque régiment:
plufieürs volontaires & quelques officiers de remplacement
qui tous , ou prefque tous , qnt atteint
leur vingtième année , & fi ces officiers ne fuffi-
foient pas , on pourroit , fans inconvénient,
laiflèr quelques places vacantes , car .le nombre
de nos officiers p eut, fans danger, être beaucoup ■
diminué. Que deviendront les jeunes gens qui, ayant
atteint iem, quinzième année -, n’attendent que le
moment d’être admis dans l’état militaire ? Ils
relieront dans les maifons d’éducation où ils ont
été élevés j ils refieront au fein de leurs familles,
.& ils font mieux là qu’à la fuite d’ un régiment :
-s’ils font animés par une vive impatience d’avoir
un éta t, ils entreront dans le clergé, dans la magiftrature
, ou dans le commerce ; peut-être ne
feroit il pas impolitique de former quelque engorgement
, ainfi l’on obligeroit la nobleffe de
France à entrer dans les carrières que la fagefîe
des tepréfentans de la nation vient de leur ouvrir.
Si l’ on n’ entre dans l’état militaire qu’à vingt
ans , on n’en fortira qu’ à quarante-huit au plutôt
> aucun mal ne réfultera de ce retard : l’Etat
fera mieux fervi, 8c cependant il le fera moins
.chèrement. Quant aux hommes qui avoient dès
vingt - un ans- la prétention de commander des
cprps, eh bien ! ils la formeront plus tard. Eh
Art milit. Suppl, Tome IF".
d'ailleurs ne devons nous point efpérer qu’ un
nouvel ordre de chofes , aufli fage que jufte ,
lèvera à jamais cette derniere objection.
La conftitution de l’armée françoife gagnera
donc beaucoup au changement que nous propo-
fons î mais l’inftruéHon & les moeurs des. militaires
y gagneront encore davantage.
On remarque depuis long* tems toujours
avec peine, que les officiers françoîs ontTefprit
moins formé que le refte des citoyens ; on a raï-
fon de proférer ces plaintes, mais on a tort de
faire un crime à nos officiers du. peu d’inftruc-
tion qu’on leur reproche j c’eft aux circonftances
dans, lefquelles ils font placés & aux préjugés
qu’on leur infpire qu’on doit s’en prendre , de
leur peu d’inftruélion. C e n’eft vraiment qu’ à
l’âge de feize ans que l’on commence à apprendre
j tout ce que le meilleur înftituteur a pu
faire, avant ce moment, c’eft de préparer fon
jeune élève à l’infiruétion } 8c cependant c’éft à
l’âge de feize'ans que les militaires ceffent de
recevoir des leçons : le tems de l’ inftitution eft
même plutôt fini pour eux : dès le moment où
ils font affurés qu’on leur cherche un emploi
dans l’armée , ils abandonnent toute efpece d’étude
: un abfurde préjugé leur a dit qu’un militaire
peut être inpunément ignorant. Voye% notre
article M oeurs. C e qui porte le mal à fon
comble, c’eft que les parens & les maîtres eux-
mêmes femblent avoir adopté ce préjugé funefte.
Reculons l’cpoque de l’admiflion à l ’état militaire,
& nous verrons naître un nouvel ordre de chofes
: les maîtres , affurés de conduire ceux de
leurs élèves quLfont deftinés au fervice militaire
jufqu’à un. terme aflez reculé , s’attacheront à
eux comme au refte de leurs écoliers j les pères
ne feront plus arrêtés par l’idée, qu’il eft inutile
de faire donner à leurs enfans une inftitution
qu’ ils n’auront pas le tems de fuivre toute entière
j & les enfans ne voyant Yâge de leur liberté
que dans le lointain, ne concevront plus
pour l’étude un dégoût fi prompt & fi vif. C e
retard donnera donc aux jeunes citoyens le tems
de recevoir line éducation foignée, & de fe préparer
aux examens qu’il eft indifpenfable d'établir
dans l’armée. Voye^ E xamens & l’article C a pita i-ne.
_ C e que j’ai dit de l ’efprit eft encore plus par**
ticulièrement applicable au coeur: ce n’eft qu’à
feize ans qu’on peut travailler à former le coeur
d’un jeune homme, avant ce moment il n’a
aucune idée de rapports , aucune notion de fes
devoirs & de fes droits : c’eft à cet âge que
les hommes doivent être furveillés avec le
plus de vigilance , parce que les pafiions commencent
à être fougueufes, 8c que la raifon eft
encore foible : à cet âge toute femme eft un
être divin s & cependant c’eft à cet âge ■ qu’oa
B