GRADE. Y. a-t-il une inégalité réelle parmi
les hommes? les uns naiffent-ils pour êtreefclaves
8c les autres pour être maîtres ? les uns font-ils
deftinés à obéir 8c les autres à commander? Si
nous voulons remonter au-delà de la fociété
politique j nous ne voyons d’autre caufe d’inégalité
parmi nous., que celle du plus ou du moins
de force, d’adrefle & d’agilité ; mais quand nous
considérons les hommes réunis, quand nous les^
voyons enchaînés par les lois, fournis aux préjugés
& efclaves de l’habitude : alors nous ne
pouvons plus douter de l’inégalité qui règne
entr'eux. Nous voyons la fociété fe partager en
différentes claffes de citoyens ^ dans chacune de
ces claffes les hommes font inégaux entr’eux 5
les uns font riches, les autres font pauvres; les
uns font puiffans, les autres font foibles : quelques
uns commandent, beaucoup obéiffent. Mais
dans aucune claffe les hommes ne font plus liés
des uns aux antres, ne font plus fournis, plus
dépendants, plus enchaînés à la lo i, que dans
celle des défenfeurs de l'Etat ; on peut tirer, il
eft vrai, de cette inégalité même, dès moyens
très-puiffans pour récompenfer les militaires.
Ofez efrimer publiquement vos foldats, diftin-
guez-les félon leur mérite 8c les grades qu’iîs
occuperont, & bientôt vous verrezuaître parmi
eux cette émulation fi heureufe d’être mieux dans
leur état.
Il y a,.ce mefémble, un principe général & fur
dans tous les gouvernemens, c’eft que chacun
fe trouve bien dans fon état, 8c que tout citoyen ,
fous la prote&ion des lois, s’eftime autant que
tout autre. L’émulation d’être mieux dans fon
rang, n’eft pas la même que celle d’en fortir ;
Fune peut tout animer,, l’autre peut tout confondre.
Mais que feront les grades , fi. vous ne mettez
auparavant la bafe effennelle de refirme pour
ces grades, d’abord dans le miîitaîre, enfuite dans
la nation*
On- peut rappeler ici le mot d’un foldat qui
fervoit fous le maréchal dé Saxej on lui de-
mandoit de quel pays il étoit : j ’ai Vhonneur »
répondit-il , d’ être Français ;; nous étions alors
heureux 8c victorieux, & c’étoit pendant la
guerre où les troupes ont toujours une plus
grande confédération. Dans une autre circonf-
tance, dans un autre tems, ce même homme
avili n’auroit pas fait la même réponfe. Il eft
donc très-effentiel de faire contribuer la nation
par fon eftime pour le foldat, ,à; entretenir chez
lui cette fenfibilité. pour l’honneur. Si au contraire
elle Je retient dans une efpèce d’aviliffe-
ment, il en réfultera , aulieu d’un défenfeur.,
un efclave toujours difpofé à facrifier fes devoirs j
à fes intérêts. i
Comment en effet faire, envifager l’avance-
ment comme une récompenfe, fi le corps dans
lequel on fert, fi les membres de ce corps ne
font pas confïderés. & refpeétés par le public?
Comment faire defirer tel ou rel grade, fi la
nation n’y a attaché elle-même aucune diftinc-
tion , fi l’on n’a pas appris aux hommes qui
peuvent les méri terà les confidérer 8c à Ls-
refpe&er? Parmi nos militaires , quel cas fait-on
des fous-officiers ? on les laiffe trop fouvent.
obfcurs & ignorés, & leurs grades mêmes font
devenus fi pénibles 8c fi défagréables, que bien
peu de foldats fe foucient de les obtenir. Ils
préièrent leurs devoirs qu’ils connoiffent 8c
ui les bornent à eux feuls, à la pénible charge
e conduire les autres 8c d’en répondre. Un
foldat eft exaét à remplir fes devoirs, il eft brave
fage 8c intelligent y veut-on le récompenfer £
on le fait caporal 8c enfuite fergenr mais dès-
lors fes devoirs deviennent infiniment plus effrn-
tiels & plus multipliés, il eft plusexpofé à être,
coupable, parce qu’il eû chargé de la conduite
des autres dont on le rend refponfable, & il
ne fembl'ê être uniquement forti de la foule ^
| que pour être plus en but aux punitions. Peut-on
i appeler cela des récompenfes ?' font-ce là les-
; moyens de faire defirer d’avancer en grade ?•
on auroit bien de la peine à le perfuader, 8c
] l’expérience prouveront le contraire. Combien*
il feroit néceffaire de prendre une route différente,
pour tirer un parti avantageux des grades
militaires & faire defirer de les obtenir ! que
d’égards, que d’attentions il faudroit avoir pour
le foldat que l’on vient- d’avancer 1 combien il.
faudroit qu’il fe refpeétât lui-même 8c qu’il fût.
refpeCté par les autres ! les marques de fon gracie
devroient lui mériter dans le public, la confia
dération 8c l’eftime qu’annoncer oit la récom-
penfe qu’on lui a accordée. On; devroit y ajouter
certaines prérogatives parmi fes camarades 8c- fes-
concitoyens. Enfin il faudroit compenfer les-
peines par les avantages,. & fi bien graduer Si
proportionner les uns 8c les autres, que le foldat
ne fût continuellement occupé dans toutes fes
allions,, qu’à conferver fon nouveau grade 8c
à en mériter de plus hauts.
Choififfez toujours un fous-officier, à la pi lierai
i té des voix des officiers & des fous-officiers ;;
les foldats eux-mêmes doivent concourir à. cê
choix. Préférez toujours l’homme fage , brave
& intelligent; fon grade, doit le diftinguer des-
autres. Faites-le refpeCter par fes camarades , &
furtout par les officiers ; confultez-le’ fur les-
chofes dont il a été infhuit par l’expëriénce ;;
ne le puniffez jamais légèrement ni comme fes
inférieurs. Si vous voulez le faire rentrer dans
la foule d’où il eft forti, faites-lui fon procès-
Si:.jugez-le publiquement; gardez-vous de l’af-
fervir comme le moindre foldat à- toutes les
■ minuties de la difeipline ; il doit s’y fou mettre
librement pour donner le bon exemple, & il
doit pouvoir jouir de cette liberté méritée par
fa bonne conduite; dès-lors vous affurerez parmi
vos foldats, cette émulation fi néceffaire & toujours
fi heureufe , qui maintient la difeipline &
difpofe aux grandes actions.
Vous récompenfez un état & les peîfonnes
qui l’ont embrafië, en lui donnant de la considération
i vous liez davantage les foldats les
uns aux autres, vous affurez l’accompliffement
de leurs devoirs, en faifant dépendre l ’avancement
de l’approbation mutuelle de chacun
d’eux; mais ce qui eft effentiel pour les fous-
officiers , l’eft encore peut-être bien davantage
pour les officiers. Ce font eux qui font chargés
de conduire, de ' punir, de récompenfer les
hommes qu’on leur confie ; ce font eux qui
doivent donner en même tems l ’exemple de
l’obéiffance 8c de l’autorité. Ils doivent être
affez fournis pour obéir avec promptitude &
remplir, exactement leurs devoirs , & affez inf-
truits pour favoir bien faire exécuter par les
autres, les ordres qu’on leur a donnés ou les
opérations dont on les a chargés. C’eft de leur
intel igence, c’eft de leur | fageffe , c’eft de leur
bravoure que dépendent fouvent la perte ou le
gain d'une bataille. C ’eû leur prudence, leur
expérience, leur douceur, qui contribuent au
bonheur des foldats, maintiennent fans effort
la difeipline en vigueur & font faire les plus
grandes chofes. Ce font eux. enfin qui doivent
être l ’ame de.ee corps fi néceffaire à l’état,
& qui en affure la tranquillité.
Mais combien, peu reffemblent aux officiers
-qu’il faudroit avoir, la plus grande partie de ceux
que les circonftances & les lois trop variables
ou trop imparfaites, ont fait nommer dans nos
.troupes] Comment donc pouvoir s’occuper férieu-
fement d’avancer & de faire eftimer des hommes
trop fouvent avilis à leurs propres yeux 8c à ceux
de leurs concitoyens ? Voulez-vous avoir des
officiers tels qu’on pourroit les defirer? voulez-
vous les faire eftimer & rèfpeCter de la nation ?
.employez des moyens différéns pour vous les
procurer, 8c obligez-les auparavant à aimer leur
état & à y relier-
La manière dont on choifit les officiers, cette
■ maladie de la protection & de l'ancienneté, qui
fait les deux tiers de l’avancement, eft la caufe
la plus fenfible de tous les mauvais effets dont
on peut avoir à fe plaindre.
Montluc faifoit de fon tems les mêmes obfer-
vations 8c les mêmes plaintes, ce Sire, difoit-il,
» vous créez un capitaine de gens-d’armes,
» pour l’amour de. celui qui vous l ’aura nommé ,
« comme vous feriez un fergent du Châtelet
33 de Paris; & celui-là fe trouvant à une bataille
33 vous lui baillerez quelque coin à défendre ;
•i 8c ce pauvre homme qui ne connoîtra fon
33 avantage vous fera perdre ce coin, donnera
» coeur à l’ennemi & caufera la perte de la
»» bataille. Prenez donc garde à qui vous donnez
33 des places de capitaine. 33
c« Vous donnez enfuite les charges de capi-
33 taine de gens de pied, à l’appetit d’ un mon-
33 fleur ou d’une dame , parce qu’ils veulent
33 toujours avancer quelques-uns des leurs, 0(1
33 en obliger d’autres ; de ces charges peuvent
33 eft advenir de grands malheurs à une brèche ,
33 ou à quelqu’aufre entreprife qui fera de grande
33 importance. Du tems de François Ier. , le titré
33 de capitaine étoit titre d ’honneur; à préfent,
33 le moindre pique-boeuf fe fait appeler ainfi,
33 s’ il a eu le moindre commandement. Il feroit
33 bon que tant de capitaineaux retournent*
33 foldats. »j
« Il faudroit auffi examiner les officiers quê
33 l ’on fait capitaines , les renvoyant par devant
33 les vieux pour les interroger fur le fait dé
33 guerre. »
La nomination aux grades doit donc dépendre
du choix qu’ il faut faire du fujet qu’il faut y
nommer ou y avancer, même pour les fousr-
officiers après un examen rigoureux fur les faits
de guerre. ( Voye^ le mot E x a m e n . Supplément.
)
. C e n’eft pas toute la force ( dît le che-
33 valier de la T o u r , dans fon Guidon des gens*
33 d’armes ) d’avoir bon vouloir de bien frap-
33 per & de ruer bons coups; mais tout gît à
: 33 entendre ce que l ’on doit faire & de fecourir
33 aux inconvéniens qui peuvent fubvenir. Che-
, » vàliers doivent avoir fens , force ardemment *
» loyauté 8c exercice de leur art ; fens de che-
* valier vaut plus d’ aucune fois en victoire, que
i 33 ne fait multitude de gens, ne que la force
33 des gens qui fe combattent. 33
Etablîffez donc cette règle invariable, que
ce foit par les fuffrages feuls que l’on puiffe
prétendre à parvenir aux grades & à y avancer.
ProteÇti on , faveur, ancienneté d e fe rv ice , faites
tout difparoïtre devant le mérite unanimement
; reconnu.
Vous avez adopté trois modes alternatifs
d’avancement, l’ancienneté, la nomination du.
dire&oire , le choix par un jury ; de ces trois
le dernier feul eft fupportable, encore faut-il
le reâifier.
Quel danger n’y a-t-il pas en effet de faire
E e e e z