
le fang fans néceflité , outrager l’honneur des
femmes , violer les droits de l’ enfance ou de la
vieillefTe ; ces crimes , loin d’être utiles à la
défenfe & au maintien des droits , leur font
néceflairement contraires. Il ne faut pour le
convaincre de cette vérité , que connoître le
coeur humain *, il ne faut même que lire la
vie des généraux célèbres ; c’eft là qu’on verra
que la plus part de ceux à qui la jufte pofté-
rité a confervé la couronne que leurs contemporains
leur avoient donnée, ont refpe£ké>&
fait refpeéter les droits de la foiblefle, Que j’ aime
le mot fublime de l'immortel Duguefclin. Souvenez
vous , difoit-il à fes foldats , que les vieillards
, les en fans , les femmes -6* le pauvre peuple
ne font point vos ennemis : il eft encore'un
général françois qui a peut-être plus mérité de
l’humanité que Duguefclin, parce qu’il a plus
formellement que lui reftreint les adroits de La
guerre : c’eft du premier maréchal de Briffac dont
je veux parler. Dans un fiècle où l’on ne con-
noifloit ni les avantages que le commerce procure
, ni les biens plus grands 8c plus certains
encore que l’agriculture produit ; dans un fiècle
cil la philofophie étoit prelqu’ inconnue aux
François, 8c où les lois de l’humanité étoient
fans cefle foulées aux pieds ; Charles de Cofle
accorda au pauvre peuple , aux laboureurs , aux
commerçans , à tous les êtres foibles ou défarinés
, une proteâion aulli éclairée que confiante.
Le bon connétable avoit, il eft vrai, donné cette
grande leçon au monde , mais il ne -l’avoir
donnée que très-tard à fes troupes , mais les
circonftances ne lui avoient que rarement permis
de joindre l’exemple à la leçon , mais il n’eût
point l’art de forcer fes ennemis à être aufli
modérés, aufli humains que lui ; Briflac voulut
de bonne heure que parmi la guerre il y eût paix
de tous côtés pour les laboureurs ,- de bonne heure
il la leur donna -, de bonne heure il força les
ennemis à la leur accorder. De quelle fermeté ,
de qùcHe patience , de quelle adrefle n’eut-il
pas befoin pour amener Ferdinand de Gonzague ,
& fur-tout le féroce duc d’Albe à figner 8c à
tenir une capitulation qui jufque-là étoit fans
exemple , qui fut également utile & glorieulè
aux deux partis , qui produifit des effets plus
grands & plus heureux que le traité du roi de
Üyracufe fi vanté par l ’antiquité , & dont
nous ne parlons nous - même encore qu’avec
_^emphafe. Au milieu des horreurs de la guerre,
le laboureur vaquoit à fes travaux avec autant
de fecurité qu’au milieu d’une profonde paix :
entouré d’étrangers , de foldats , d’ennëtnis , il
recueilloit fans crainte le fruit de fes labeurs, 8c rapport©« fans inquiétude dans fa chaumière
le prix des objets qu’ il avoit amenés dans les
camps ou dans les cités voifines : l’ approche
d’un corps de troupes ennemies ne chaflbit.
même point des hameaux les jeux & les plaifir*.;
lé foldat, quelque écharpe qu’il portât, obtenoïft
par-tout les fecours dont il avoit befoin , parce
qu’il ne cherchoit jamais à infpirer la terreue
au paifible citoyen : le champ de bataille étoit v
en un mot , le feul endroit où les guerrier»
François paruffent ne plus le fouvenir que le»
hommes font frères. Qu’ il eft beau , qu’il eft
fublime le fpeétacle que Briflac donna au monde i
Le tableau qu’on pourrait en faire pafleroit pour
l’ôuvrage de l’imagination, fi l’hiftoire ne nous en
eût précieulement confervé tous les traits. Briflac
n’eût-il ligné que cette capitulation , fa vie ne
m’offrît-elle que ce feul trait digne d’être imité ,
c’en eft aflez , dirois - je , qu’on lui élève de»
ftatues, qu’on lui décerne les honneurs les plus
grands 8c les plus durables. Mais nous , eclai.es
par l’on exemple, comment n?av-ons-nous poinc
fait renaître ces temps fi heureux ? comment notre
fiècle, lui qui répète il l’ouvent .les mots RLfl-
faifance 8c Humaiité, n’a -1 - >1 pas dès longtemps
fait de cette capitulation lé premier article
de fon droit de la guerre : cecte lo i , qui lèroit
sûrement admife par tous les peuples , immor-
taliferoit fans doute 8c le legiflateur qui la
propoferoit à fa nation , & la nation qui entre*
prendroit de la faire adopter par le refte de»
aflociations politiques. Voye\ nos article»
B e a u x - a r t s , G e n e r a l , §. 18. , lèéiion 4, &
H u m a n i t é -, voye{ auifi les Ouvrages de quelque»
Publiciftes, entr’autres celui de Grotius, liv. 3 *
ch. 2 8c 4.
Le premier q u i, au lieu d’ arracher la. vie &
l’ennemi qu’il avoit terrafle , fe contenta de le
chaiger de chaînes, 8c de le réduire en efcla-
vage, dut pafler, farts doute , pour un génie
bienfaifant i et- je ne ferois point étonné d’apprendre
qu’il a obtenu des autels, car il en
méritoit •, celui qui imagina le premier de
mettre à rançon les prifonniers de guerre, fut
aufli un bienfaiteur de l’humanité ; celui qui fixa
le premier les rançons à un prix invariable 8c
modéré mérite aufli les éloges, des hommes lèn-
fibîes : ( cet éloge eft encore dû au I maréchal
de Briflac. ) Aujourd’hui , pour ne point outre-
pafler les droits que la guerre donne , il faut
non-feulement confèrver la vie aux prifonnieis
que l’on a faits , mais encore les traiter avec
bonté -, les regarder , dès. qu ils font vaincus &
dél’arraés , comme des frères , des amis malheureux.
Oui y quoiqu’en dilènt certains hommes
timides , & par conléquent cruels, je ne croirai
point qu’il y ait , ou du moins , je dirai qu’il
y a bien peu de circonftances où le foin de
notre propre confervaiion nous oblige de verfer
le fang des prifonniers quê nous avons faits. SI
Fon ne confidéroic que foi , que fa propre vie *
il vaudroit mieux la perdre que d obéir à une
telle neceflire. Cependant , comme cet article
doit offrir une théorie exuûe des droits de la
guerre , nous dirons avec les publiciftes quM
peuf fe préfenter des circonftances qui exigent
le facrifice des prifonniers que l’on a faits , 8c
qu’on ne viole pas les droits de la guerre quand
les circonftances l’ordonnent avec autant d’empire
que d’évidence. Vvye[ Prisonnier.
Les Publiciftes qui fe font occupés des droits
de la guerre fe font faits encore cette queftion :
dans les cas où il eft permis d’ôter la vie à fon
ennemi, peut-on employer indifféremment pour
y parvenir toute efpèce de moyen ? & ils ont
unanimement répondu , non. Les barbares feuls
recourent à des armes empoifonnées ; l’on fait
que lorfqu’on a voulu noircir un peuple aux
yeux de l’Europe , on lui a reproché de faire
ufage.de balles mâchées, dont les blefluresfont,
dit-on, incurables; on l’a accufé d’avoir rempli
fes gargoufles de morceaux de verre ou d’autres
objets qui produifent le même effet que les balles
mâchées. N’oublions jamais ce mot du conful
Romain à Pyrrhus , il efi de Vintérêt de toutes les
nations quon ne donne point de tels exemples ;
celui de Plutarque dans la vie de Camille , la guerre
elle-même a fes lois dans l'efprit des honnêtes-gens*
Les Publiciftes fefont demandés encore , peut-
on légitimement faire aflafliner le chef ou le
général des ennemis? Pour répondre à cette
queftion, ils ont cru devoir la divifer ; demander :
peut-on faire aflafliner le chef ou le général
ennemi par l’un de les ennemis publics? peut-
on le faire aflafliner par un de fes fujets ?" ils
ont répondu pretque tous affirmativement à la
première queftion , & négativement à la fécondé :
pour nous , nous penfons qu’on devoit répondre
à toutes deux négativement. C'eft vainement
qu’on nous dira avec le poète épique latin \
do lus an virtus quis in hofle requirat : c’eft en
vain qu’on nous dira avec des doéleurs célèbres
de l’ Eglife , dans une guerre jujiement entreprife,
qu'on agijje à force ouverte ou qu'on drejfe des
pièges à Pennemi , la juflice n’y efl point intéreflee.
Je répondrai toujours que l’ on confond les rufes
avec les ttahifons , les ftratagêmes avec les artifices
: il eft permis de recourir aux rufes de
guerre & aux ftratagêmes militaires ; mais les
ttràhifons , les artifices doivent être aufli' févè-
rement profcri.ce pendant la guerre que pendant
la paix. En vain me dira-t-on que 'lorfqu’ on
peut tuer fon ennemi , il importe peu que ceux
que l’ on emploie pour cela -, foient en grand ou
«n petit nombre ; on me citera l’ exemple de
Mueius Scévola , de Léonidas & quelques autres
du même genre -, mais ces exemples ne m’ébloui-
ffont point. Je pourrois répondre à ces exemples
par celui de Pyrrhus 8t par beaucoup -d’autres
aufli juftement célèbres ; mais je rnebornerarà-celui
du maréchal de Bouffters pendant le fiége-de
Lille : celui-là me femble fait pour -fervir de
aiodèle à tous les guerriers : un partifan de fon
Ærmée ., tireur adroit, vient luhoffrir de tuer dès
le foir-même d’un coup de carabine Eugène,
chef des afliégeans & fléau de la France ;
Boufïlers lui défend cet attentat fous peine de
la vie , mais il lui fait entrevoir une récom-
penfe brillante s’ il parvient à faire ce priace
prifonnier de guerre : n’eft-ce point la de l’ he—
roïfmë ou du moins une grande vertu. Je na
prétends cependant point intimer par cet
exemple» qu’on doive dans une bataille ou pen-
dant un fiége ne point; diriger fes coups 8c fés
efforts vers le quartier ou le pofte occupe par
le général ennemi ; je veux dire feulement qu’on
ne doit jamais employer des moyens obfcurs
pour s’en défaire : la guerre ne feroit poinc
terminée par cet aflaflinat, 8c la goire du peuple
qui Fautait commis en feroit ternie.
Les Publiciftes fe font demandés enfin s’il eft
permis .de tuer les ennemis fur les terres d’une
puiflance neutre. Ils ont répondu négativement y 8c ils ont eu raifon. Plus on rétrécira le théâtre
de la guerre , plus celui de _ Inhumanité fera
agrandi. La guerre , quoiqu’en difent des hommes
de lang , n’eft point néceffaire au monde , c’eft
au contraire la paix qui eft 1? bien fuprême y 8cl violer un territoire étranger, c ’eft: courir le
rifque de fe faire de nouveaux ennemis.
Après avoir vu les Publiciftes ne donner pref-
que point de bornes au droit de la guerre fur la
vie des hommes , on ne fera point étonné de
les voir lui- en donner moins encore fur leurs
propriétés. Ce n’eft point affez de les endommager ,
on peut, difent-ils , les ravager, les enlever y
les détruire. Qu’Attila eût fait un pareil cod e ,
je n’ en ferois point étonné , & peut-être le lui
pardonnerois - je : un conquérant n’eft plus un
homme à mes yeux ; il ne. mérite plus d©
porter ce nom : mais comment des philofophes,
des gens de lettres , des amis de l’humanité,' ont-
ils pu de fang-froid tracer de pareils droits ? je
ne le conçois point. Nous avons le droit de
nous mettre en pofleflion de ce que l’ennemi
nous a ravi ; nous avons peut-être lé droit de
nourrir la guerre par la guerre ; de nous payer
par nos mains des dépenlès extraordinaires que
l’ennemi nous a contraints de faire par le*
injuftices -, de nous rembourfer des .dommages qu’ il
nous a volontairement caufes -, nous avons le
droit de l’ affoibjir afin de ie contraindre à être
jufte , à demander ou à accepter la paix v mais
nous n’avons point le droit d’ i-ncèndier les villages,
de couper les plantations d’arbres , de détruire les
villes , de fouler lès récoltes aux pieds. Le
dégât , la dévaluation , ne donnent , aucun avantage,
à celui qui les fa it , 8c ne font éprouver à
celui qui les fubit que dés . pertes paflagères.
Tout minière qui ordonne , tout général qui
commande , tout militaire qui exécute ou permet
tin dégât , une dévaluation , inutiles au luccès de
•l’entreprifç -dont il-eft chargé , ..met paroît , jç
L i a