
la fable, au propriétaire d’ un vafte domaine qui
avoit raffemblé pour garder fes poffeffions un
nombre confidérable de fuperbes Vogues ; ce propriétaire
fe voyant chaque jour fur le point d’être
dévoré par eux, tandis que fon intendant étoit
obéi au moindre ligne qu’il leur faifoit, & ca-
relïe quand il daignoit le leur permettre, leur
dit' avec colère : ingrats , c’eft à moi que vous
appartenez -, c’èft à mes dépens que vous êtes
nourris; c’eft moi qui paye les hommes qui vous
(oignent, & cèpendant c’ eft moi fur qui vous
voulez vous jeter : c’eft à vous que nous appartenons
, vous le dites , mous le croyons ; mais
qu’avez-vous fait jufqu’à ce jour pour nous l’apprendre?
c’eft vous qui, nous nourrirez , cela peut
c trë , mais c’eft un autre qui nous diftribue notre
pitance, c’eft un autre qui nous foigne, qui nous
récompenfe, qui nous punit , qui s’ occupe de
nous : c’étoit donc un autre que nous devions
reconnoître : pour ne plus courir les rifques dont
vous avez été,menacé, montrez-vous plus fouvent
a lious, veillez vous-même fur notre bien-être, 8c alors nous ne reconnoîtrons que votre voix ,
alors nous vous aimerons , & nous vous défendrons
envers & contre tous.
Si nous abandonnons aux monarques le droit
de conftituer l’armée, qui nous répondra qu’ils
me s ’en repoferont point du foin de former la~
confiitution militaire fur des hommes vendus à
J’ariftocratie ou entichés d’ inftitutions , bonnes
^eut - être pour les peuples qui les ont créées,
pour des armées'compofees de la lie de toutes
les nations, maïs qui ne peuvent convenir à des
François, aux défenfeurs volontaires d’ un peuple
libre? Si nous abandonnons aux monarques le
droit de donner une conjîitution à l’armée, nous
verrons, comme nous l ’avons vu jufqu’à ce jour,
l ’ armée facrifiëe à un petit nombre de familles, 8c nous n’aurons point le droit de nous plaindre;'
mous verrons renaître , ou pour mieux dire 1e
propager, les maux fous lefquels nous avons gémi;
nous verrons unè conjîitution aujourd’ hui bonne ,.
demain foible , un autre jour inconftante , toujours
point nationale 8c moins encore patriotique;
alors nous craindrons les guerres étrangères , 8c
nous aurons vraifon ;• alors nous craindrons les
diffenrions intérieures , & nous aurons encore plus
raîi’on ; alors nous gémirons fur nos erreurs, fur
nos fautes ; mais vains regrets , il ne fera plus
temps : l ’armée rerrrife entre les mains des rois
par le confentement libre de la nation , par une
loi conftitutiofinelle, ne pourra plus en fortir ; il
faudra une nouvelle révolution , & peut-être aujourd’hui
un mot fufftroit.
On nous dira , fans doute : le pouvoir exécut
i f étant chargé de l’exécution des loi«'& de la
défenfe du royaume, étant, ft l’on peut s’exprimer
aîa fi, perfonne lie ment refponlabl à la nation de
«ei deux brandies de la fouveraineté, il doit
être le maître de les conftituer à fon gré : paradoxe,
pur fophifme que tout cela. D’après ce
raifonnement il feroit aifé de conclure qu’on doit
laiffer au roi le droit de faire les lois civiles , de
mettre les impôts qu’il voudroit , de conftituer
d’après fa volonté l’adminiftration intérieure &
l’ ordre judiciaire.- Quand on confie à un général
le foin de vaincre les ennemis de l’état , ou de
faire renaître l’ordre & la paix dans fon intérieur,
lui permet-on de conftituer à fon gré les corps
dont on lui donne le commandement? on lui permet
tout au plus d’ infliger les punitions qu’il
croit néceffaires , ou de décerner les récompenles
qu’il croit utiles , mais toujours d’après les lois
précédemment établies.
Ces réflexions nous paroiffant démontrer jufqu’a
l’évidence que la nation doit fe réferver le droit
de conftituer l’armée, nous allons paffer à l’examen
de la fécondé queftion.
§• 1 1 .
La nation sardant pour elle le droit de donner une
conjîitution à. la force publique , doit - elle uj'er
de ce droit dans toute fa latitude. -
Tous les François,dont des antiques préjugés n’ ont
point totalement obfcurci la raifon, conviennent
que la nation peut &doit s’occuper de la conjîitution
de l’armée ; mais ils ne font point aulfi généralement
d’accord fur les limites qu’elle doit elle-
même donner à l’exercice de ce droit. Les uns
afïurent que la nation doit fe borner à fixer les
fommes dont le pouvoir exécutif peut difpofer
! pour l’entretien de la force publique , d’autres ,
qui fe croient démocrates, veulent que la nation
aille plus loin, ils prétendent qu’elle doit fournir
les hommes au r o i , & lui laiffer le droite de
les organiler à fon gré, que la difcipline, la police,
les récompenfés, les peines, tous les dérails
en un mot, doivent être réglés par lui ou par
fes miniftres ; d’autres , qu’on nomme démagogues
} croient que les fondions du pouvoir exé»
cutif fe bornent à conduire l’armée pendant la
guerre, à l’ inftruire pendant la paix , & a' lui
faire obferver dans tous les temps les lois & les
-réglemens que la nation a décrétés pour elle.
Laquelle de ces trois opinions eft la bonne?
je demanderai aux partilans de la première s’ ils
ne craignent point que le monarque, aux droits
duquel on n’aura mis que des bornes relatives à
la plus ou moins grande quantité d’argent, ne
les oblige pas un jour à porter les armes pour
conquérir des paifibJes vcifins, ou, ce qui feroit
plus cruel encore , pour opprimer leurs concitoyens
: je leur demanderai s’ ils ne craignent
point qu’il les choififfe eux-mêmes pour foldats
tandis qu’il me choifira moi pour les Commander;
, s’ils ne craignent point qu’il m’accabie de grâces
de cüftinéfions , d’honneurs, tandis qu’ il leur ravira
à eux la fubfiftance qui. leur eft néceffaire, ou qu’il
ne leur donnera que la pitance la plus modique,
& fouvent la plus mauvaife. Je dirai aux féconds:
ne craignez-vous pas que les fonds affeétés par la
nation au département de la guerre ne foient en
proie aux courtifans? que les grades élevés foient
toujours accordés au nom & jamais au mérite ?
qaie l’on crée une multitude de colonels , d'officiers
généraux richement dotés, & qu’on ne vous
donne un petit nombre de foldats melquinement
nourris, plus melquinement vêtus , mal logés ,
peu confédérés? ne craignez-vous pas de voir vos
défenfeurs, vos concitoyens en proie aux caprices
du pouvoir arbitraire ? avez-vous oublié que les
hommes qui compofent votre armée font vos
pareils , vos amis , des François , en un mot, 8c
qu’ils doivent chérir, autant que vous l’aimez ,
une liberté réglée par des lois juftes-, mais douces,
mais invariables? ne craignez - vous pas d e v o ir
une portion confidérable de la fubfiftance de vos
troupes envahie par des compagnies financières?
ne craignez-vous pas de voir vos foldats fournis à
une difeipline aviliffante? ne craignez - vous pas
de les voir expofes à des punitions que l’efprit
national réprouve? ne craignez - vous pas en un
mot , car une énumération entière feroit trop
longue, ne craignez-vous pas de voir renaître tous,
les maux de l’ancien régime. Je demanderai à
ceux qu’on nomme démagogues , fi le délégué
de la nation peut répondre de la défenfe des
frontières & dé la tranquillité intérieure , quand
if n’a, que les foibles droits qu’il lui a attribués?
un tel roi ne feroit qu’un général , qu’un conlirl.
Mais n’e x ifte - t - il point une manière de rapprocher
, d’accorder les opinions qui paroiffent fi
diamétralement oppofées ? Si la nation & le roi
changeoient ici de rôle , tous les partis ne fe-
roient-ils pas d’accord. Je m’explique. Après que
la nation auroit fixé les fommes qu’elle voudroit
dépenfet à . l’entretien d e , l’armée , après qu’e lle -
auroit déterminé la manière dont elle voudroit
que 1 armée fut renouvelée en officiers & en
foldats, le roi propoleroit à l’alfemblée, nationale.
les lois de détail qu’il jugeroit les meilleures ;
l’affemblée les examineroit, accepteroit celles qui
lui paroirroient néceffaires , & conformes à la
conjlUuùcn , aux moeurs, aux préjugés nationaux,
rejeteroienc celles qui contrarieroient les, lois
cpartitutionnelles , les moeurs ou les opinions régnantes,
ou noteroientee qui devroit être changé.
Le roi amenderoit la loi d’après les vrais principes
| elle feroit de nouveau prefentée à l’acceptation
, 8c fi elle a g réoit alors à la nation , elle
deviendrait nationale & confticutionnelle. Il en
leroit de même des réglemens particuliers. Au
moyen de l’initiative accordée aù roi fur les lois
de détail & fur l’organilation de l’armée , le
pouvoir exécutif aura la quantité de trpufes qui
lui feront néceffaires ; elles feront organifées
comme elles doivent l’être 1 eonf^rvera ftir
elles l’efpèce d’autorité qu'il doit avoir , & cepen
d a n tla nation ne perdra aucun de fes droits ;
& cependant toutes les méfiances, toutes les
craintes difparoîtront, & cependant les militaires
feront heuteu-x,
Quoique j’euffe apporté à la folution de cet important
problème toute la réflexion dont je fuis
capable, je craignois cependant d’être tombé dans
quelque erreur; j’ai été rafturé quand' j’ ai vu deux
militaires d’ un grade élevé & diftingués par leurs
connoiffances 8c leur patriotifme , embraffer la
même opinion ; je veux parler de M. Alexandre
de Lameth & de M. le duc de Liancourt., tous
deux députés à l’ affemblée nationale. Je vais tranf-
crire ici ce qu’ils ont penfie fur cette matière importante
; leurs opinions y répandront toute 11
clarté que je n’ai pu lui donner.
M. de Lameth difoit aux repréfentans de 11
nation françoife y le 9-février 1790, fans doute
le moment approche où. les lumières unïverièlles
mettront un terme à cet inconcevable déliré,
qui placé dans un état continuel de difeorde 8c
de guerre , des nations faites pour s’aimer 8c
’ s’entre-fecourir. Une révolution peut-être lente,
mais inévitable, prépare à toutes les nations
la connoiffance & la conquête de leurs droits :
alors une des premières vérités qui viendra frappèr
tous les yeux , c’eft l’intérêt qu’elles ont de
s’unir, & l’étrange abus de laiffer à un petit
nombre d’hommes le pouvoir de facrifiêr des
peuples entiers à leurs reffentimens perfonnels’ ,
à leurs méprifables caprices. Il ne fera- plus né-
ce(faire alors d’entretenir, au fein d’ une nation,
une multitude d’hommes armés ; & les moyens
de concilier leur exiftence, foiravec les revenus
publics, l'oit avec la conjîitution 8c la liberté',
ne feront plus un des points les plus difficiles
de la fclence des gouvernemens.
Mais jufqu’ à cet heureux jour, que peut-être
nous: pouvons nous flatter d’atteindre', 8c que
nous aurons- au moins la fatisfaétion d’avoir
avancé pour l’efpèce humaine , l’exemple que nous
avons à donner , c’eft: celui de lier l’exiftence,
encore néceffaire, d’une grande armée, avec une
conjîitution libre.
C’eft aulfi , Meilleurs , à remplir ce but que
je me fuis principalement attaché ; j’ ai confidére
l’organifation dë l’armée , fous les rapports- du
pouvoir conftituant, du pouvoir, légiflatif & du
pouvoir exécutif; mais penfant que les objets de
cette dernière clalfe étoient étrangers à nos travaux,,
& que ceux' de la fécondé ne dévoient
être, arrêtes qu’après-, une mefure préalable que
j’ aurai l’honneur de vous préfenter, je me fuis
fu r - to u t attaché à la partie conftitutio-rnelle.
Parmi les difpofitions de ce genre , il en aft qui
m’ont paru affez peu fufceptibles de difçuifiçm
j pour vous être propofeés à décréter dè$ à pré^
t e i