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mtifë hommes qui s’expofent, aucun peut-être ne
voudroit fe dévouer } ainfî Ton trouve bien le
moyen de faire entrer l’homme dans le danger ,
mais il ne faut pas efpérer pouvoir l’y retenir
lông-tems , à moins de l’occuper & de diftraire
fon imagination de l’idée qu’il en a. Il faut donc
familiarifer les hommes avec l’idée du danger
qu’ils courent avant q l’ils y entrent 3 & la leur
faire perdre dès qu’ils y font.
Ces principes conduil'ent l’auteur à trois côn-
féquences importantes :
La première 3 de ne pas calculer le danger fiir
la proportion réelle de ceux qui y périffent avec
ceux qui en échappent , mais fur foa effet momentané
dans l’opinion du foldat.
La fécondé.', de ne pas expofer celui-ci à un
danger imprévu auquel il ne s’attend pas , & de
le bien familiarifer avec l’idée de celui qui l’attend.
La troifième, de l’occuper & de le diftraire
dans le plus fort du péril * furtout quand on a lieu
de craindre que la réalité ne lui paroiffe au deflus
de l’idée qu’il s’en eft faite.
Après avoir ainfî établi fes affertions 3 l ’auteur
les applique au parallèle entre les deux ordonnances.
Un corps rangé fur l’ordre profond n’eft propre
qu’à marcher contre l’ennemi pour l’enfoncer.
Celui rangé dans l’ordre mince 3 n’ayant-de force
que dans fon feu , attendra de pied ferme le corps
profond 3 & fe fervira de fon feu dans tout l ’ef-
pace de la portée de fes armes. Un coup de canon
emportera cinq fois plus d’hommes dans un corps
profond que dans un corps mince , & il fera un
effet cinquante fois plus grand fur l’imagination
du foldat j de ce premier coup devra naître au
moins de l'inquiétude, & au troifième au plus, de
cette efpèce, le bataillon en colonne retournera
bien plus vite qu’il n’étoit venu.
Or, on fait que l’on peut lancer foixante-quinze
à quatre-vingts boulets contre un bataillon qui
marche - à la charge 5 en conféquence , c’eft bien
peu fuppofer, que de croire que trois de ces boulets
auront leurs effets.
; Et fi , comme on le doit, on pointe le canon
en avant de la troupe qui marche à l’attaque, non-
feulement on fera plus fûr de donner dedans,sinon
à la volée, du moins au bond & par le ricochet
, mais encore on augmentera l’effroi des
troupes qui verront les boulets rouler fans ceffe
fur le terrein qu’elles ont devant les yeux, fachant
qu’elles doivent le parcourir. Dans l’ordre à trois
oh évité beaucoup de boulets eh s’ouvrant & les
îaiffarit paffér, mais dari's un ordre profond la
chofe è f t impoffible, & les foldats, voyant venir
lés boulets à eux & ne pouvant pas éviter la mort
éu la mutilation qu’ils leur â'pporcéroi'ènt, rie pour-
roient y féfiftër : bientôt lé bataillon tourbilloii-
Béroit & preridroit la Fuite.
Jufiqu’à préfent fauteur n’a parlé que du corps
? o u
profond marchant à la charge j mais fi au cor-
traire il attendoit l’attaque ou fe tenoit en pannç
devantl'ennem1, fapofition deviendroit, félon lui,
bien plus dangereufe, ne pouvant concevoir, avec
les partifans de l’ordre profond, que ce corps pût
aufli facilement qu’ils le difent, paffer de l’ordr«
pour le choc, à celui pour le feu, & réciproquement
} il faudroit donc s’eri tenir à l’ ordre profond
tout feul, contre lequel l’artillerie feroit une
etude de fe rendre toujours plus formidable.
L’auteur foutient encore que des troupes ainfî
rangées ne peuvent marcher vîte, à moins qu’elles
ne laiflèntde grands intervalles entre chaque rang}
ce qui diminue d’autant l’effet du choc, & les
rend beaucoup plus expofées à être atteintes par
les traits qu on leur lance. Ainfî, trois pieds d’ef-
pace ne fuffifoient pas à la phalange pour fe mouvoir^
vite } ainfî les Romains, pour éviter cet inconvénient,
s’étoient- ils fournis à fix pieds d’intervalle.
Mais à toutes ces raifons que l ’auteur regarde
comme vi&orieufes , il ajoute encore le mal que
devroient faire au corps profond les coups de fufil
qu’il recevroit avant d’arriver } coups d'autant plus
meurtriers, que le foldat fur lequel on ne tireroïc
pas, tireroit lui-même avec bien plus de confiance
& de jufteffe. D’aill eurs , dans l’ordre à trois
rangs, les hommes qui tombent par le feu de l’ennemi
dans le premier rang, ne caufent ni le défor-
dre ni la fenfation que cauferoient ceux qui tom-
beroientdans un bataillon en ordreprofond. Dans
le premier cas, les deux hommes de la file qui
fui vent, peuvent aifément lui faire place fans déranger
l’ordre j mais quinze hommes de file ne le
pourront pas de même, ou ils le fouleront aux
pieds,.ou toute la file restera en arrière j ce qui
eft impraticable : mais le pire feroit la longueur
du tems pendant lequel ce bleffé ou ce mort feroit
expofé aux yeux de fes camarades & frappéroit
leur imagination.
Enfin, l’auteur propofe de rendre ce problème
plus facile à réfoudre, en cherchant s’il feroit avantageux
d’ôter le fufil à toute l’infanterie ou à
une grande partie, & de lui donner des piques,
des épées ou quelqu’autrë arme de main.
Pour répondre à cette nouvelle queftien, l’auteur
foutient que le' fufil eft une arme de main
très-médiocre 5 qu’il a , vis-à-vis de la pique, le
défavantage d’être trop court, & vis-à-vis de l’épée,
celui de n’êtrepas maniable. Ilfàudroit donc
en revenir, ajoUte-t-il, à l’ànciënne méthode,
mêler les piques au fufil 5 mais cet çffai a été fait
& on- l’a trouvé désavantageux.
J Ainfî l’auteur, en fe réfumant, conclut à fe fer-
vir de l’ordre profond dans toutes les occafîons
où l’on ri’aura point à craindre du feu de l’enrièmi,
fbrroiit d'ë fori canon , foit qu’on piiiffé le. Surprendre
,. foit qu’on puiflfe arrivér jufqu’à cinquante
pa$ couverts d’ririe hauteur, ou dé quel-
qa’àutrè rid'éau 5 il attribue auffi un grand a'van-
. t.age
P O U
tageà l’ordre profond, quand l’infanterie doit fe
defendre contre de la cavalerie, encore voudroitr
il qu’alors elle fût armée de piques. -
Quant aux anciens, on doit rendre juftice à
leur induftrie & à leur prudence étonnante dans
la formation de leur ordonnance, parce qu’elle
écoit admirablement adaptée à leurs armes, qu’elle
étoit une preuve de la fageffe-de leurs réflexions.
§. I I I .
E x e r c ic e
L’auteur fait remarquer que, d’après les preuves
hiftoriques, l’exercice militaire des anciens
differoit eflentiellement du nôtre} mais pour cela
faudroit-il changer entièrement notre syftème
d’exercice , ainfî que l’ont Soutenu plufieurs écrivains?
C’eft ce que ne penfe pas l’auteur, convaincu,
comme il eft, que nos armes & notre méthode d’arranger
les troupes ont été les caufes très-fenfées
de la nouvelle méthode d’exercice adoptée de
nos jours.
Le peu de profondeur que l’invention de l’artillerie
nous a obligé de donner à notre ordonnance,
& le defir d’employer toutes nos armes ,
nous ont obligé , l’une, à ferrer les files, l’autre, à
ferrer les rangs comme nous faifons.
D’après cette explication, le maniement des
armes eft fuffifamment juftifié.
Quant à l’ufage adopté de faire tirer le foldat
très-vîte & nullement -jufte, pour peu qu’on y ré-
fléchiffe, on fe convaincra que l’on ne peut ni ne
doit faire différemment.
Pour tirer vraiment jufte, il faut un ufage continuel
& de très-grandes dépenfes j mais la nature
de nos armes & les circonftances qui accompagnent
l’ufage que nous en faifons dans le combat, rendent
l’acquifîtion de cette adreffe tout-à-fait inutile
, au lieu que rien de pareil n’empêchoit les
gens de trait des anciens d’employer contre l’ennemi
celle qu’ils avoient acquife dès leur jeuneffe.
D’abord, nos armes occafionnent une fumée épaiffe
& pefante, qui ne fe diffipe qu’ avec peine. A la
troifième décharge, une troupe fe trouve enveloppée
dans un atmofphère fi opaque, qu’elle ne
voit plus l’ennemi & n’en eft plus vue : comment
alors diriger fes coups contre lui ?
Chez les anciens il n’y avoit point cette fumée,
& les gens de trait n’étoient pas placés fur
p'ufîeurs rangs} ils combattoient à la déoandade :
chez noiis, au contraire, nos rangs & 00s files
font fi ferrés, que le plus habile tireur ne peut
ajufter & tirer jufte dans cette fituation.
D’ailleurs, quand on veut tirer jufte, il faut
connoître fon arme, il faut charger également,
d faut bourrer également fa charge : rien de tout
cela ne peut exifter dans les combats. A la guerre,
la confommation des armes étant très-grande, le
foldat a fouvent des armes qu’il ne connoît pas.
A r t M i l i t . S u p p l . T om e I K .
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En ouvrant fa cartouche & en amorçant, il répand
toujours de la poudre ou plus ou moins ;
quelquefois il bourre bien , plus fouvent mal,
quelquefois point du tout : d’après ces faits ,
comment efpérer que le plus habile tireur pût faire
le moindre ufage de fon adreffe ?
N.ps fufils font auffi trop longs & trop pefans
pour qu’on puiffe s’en fevvir comme il faut} auffi
, lé foldat tire-t-il ordinairement, ou en l’air, ou à
terre.
Et quand ces inconvéniens n’exifteroient pas ,
a-t-on fongé à la fituation d’efprit où fe trouve le
foldat dans le feu ? Il y a une grande différence
entre tirer à la cible ou contre un ennemi qui fe
difpofe à faire ufage de la même arme contre
vous. Que l’on fe figure donc l’anxiété & la précipitation
qui doivent naître de l’idée quefï on ne
fe hâte de tuer fes ennemis on en fera rué.
Les coups tirés par nos troupes de ligne ne
pouvant donc jamais être bien ajuftés , on a eu
raifon de les multiplier, afin de réparer par-là ce
qui leur manque du côté de la jufteffe.
On ne fauroit pourtant nier que l’effet du fufil
ne foit très-peu de chofe en comparaifon de la
multitude des coups que l’on tire ; mais ce n’eft:
point en apprenant à tirer aux soldats, comme le
prétendent ia plupart des auteurs militaires, qu’on
peut le rendre plus efficace} c’eft par des moyens
plus analogues à la nature des choies.
En confidérant nos armes & l’objet que le foldat
a devant fo i, on peut fe convaincre qu’il n’eft
pasbefoin d’en faire un habile tireur pour rendre
fon feu meurtrier. L’objeta entre 300 & 400 pieds
de large fur y de haut} le fufil forme une ligne
à peu près droite : il n’eft donc poffible de manquer
lin pareil objet qu’en tirant ou trop haut ou
trop bas. Il fuffit de tenir le fufil dans le plan horizontal
de l’objet, parce que la balle décrit une
ligne qui ne s’écarte fenfiblement de la droite
qu’au commencement ou vers la fin de fa portée.
Il faut donc d’abord trouver la meilleure manière
de tenir le fufil pour en diriger le coup dans toute
fa portée, contre un objet tel que celui que l’on
vient de décrire, & rendre cette manière de le
tenir abfolument machinale au foldat. Il faut en-
fuite , en exerçant les troupes à bien charger &
en apportant attention & même fëvérité à ce
qu’aucun foldat ne couché autrement en joue
qu’on lui aura montré, empêcher qu’il ne tire
mal.
Tout ce que l’expérience a pu nous apprendre,
c?eft qu’à une petite diftance il faut pointer plus
bas que l’objet auquel on tire , pour donner dedans
} qu’à une diftance moyenne il faut y vifer
droit, & qu’enfin à une grande diftance il faut
tenir l’arme un peu plus haut que l’objet,
D’après ces obfervations , il paroît que la manière
de coucher en joue, adoptée allez générale-
mentpour les troupes, eft conforme à la nature de
l’arme 5 mais plufîeurs caufes encore viennent em-
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