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Condé, les Luxembourg, les Créqui,les Eugène,
les Catinat, les Vendôme, les Villars, les Ber
w ic k , les Malboroug furent remuer ces masses
énormes, par la fupéri.omé de leur génie 5 mais
une grande quantité d’autres généraux ne fe
virent à la tête des armées , que pour y faire des
fottifes & donner des preuves réitérées de leur
incapacité & de leur infuffifance. Nous allons en
voir de tnftes preuves dans le commencement du
dix-huitième fîècle (1).
Le paflage des rivières étoit, comme à préfent,
une opération délicate ; & les précautions employées
alors étoient à-peu-près les mêmes que celles d'aujourd’hui.
Les quartiers d'hiver paroiffent avoir été choifis
avec moins de méthode ; mais ils dévoient avoir
leurs flancs en fureté ,. leur front difficile à forcer,
des points de réunion indiqués, un champ de bataille
propre à y combattre ^ennemi, & des facilités
reconnues pour pouvoir porter rapidement des
troupes dans fon pays.
La bataille de Steinkerken faillit à être perdue
par la fupérioriré du feu des fufils fur celui des
jnoufquets, & du feu roulant fur celui des décharges
générales.
La fcience du choix des camps étoit moins avancée
qu’à préfent : les polirions avantageufes n’étoient j
pas toutes connues 5 mais les principales commen-
çoient à l’être.
Les batailles avoient aufli commencé à être^mé-
thodiques & raifonnées.
L ’habileté de dreffer un j ’©jet de campagne étoit
devenue une fcience importante.
Le befoin impérieux de fubfiftanees pour une
grofle armée , avoit fixé l’étendue des opérations autour
des établiflemens'des fours et des magasins.
Enfin fi l’art militaire avoit fait des progrès, il
paroifloit avoir perdu quelque chofe du côté de l au-
«face & de l’énergie.
ü La p remière campagne de ce nouveau fiécle j
commença par un fuccès au prince Eugène fur le
maréchal de Catinat. Ce dernier ayant été forcé de
défendre le paflage de l’Adige, fe trouva dans la
néceflîté de le border depuis Véronne jufqu’à la Bafi-
lica : dans cet endroit le fleuve y forme un arc. Le
prince Eugène étant placé fur la corde, parvint à
forcer le paflage an porte de Carpi.
; Quelques militaires fe font permis, peut-être trop
légèrement, de blâmer le maréchal de Catinat. Le
plan de la cour étoit une guerre défenfive; en con-
léquence, on donna au maréchal des inftruérions
qui le génèrent beaucoup : il ne lui fut pas permis
de fe placer au débouchement de l’armée de l’em-
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Les grands hommes dont nous venons de parler
gagnaient des batailles ; mais ils ne laiffoient à
ceux qui dévoient les remplacer aucun moyen
pereur au fortir du Trentin ; & il fut obligé de
fe tenir en-deçà de l’Adige avec toute fon armée,
fes ordres lui défendant Tes premiers artes d’hofti-
lité. On ne peut former un plan plus mal conçu, ni
donner des ordres plus préjudiciables. Le maréchal
entreprit d’exécuter Tes ordres en défendant l’Adige;
il n’y réuflit pas : rien n’eft moins étonnant. Le
cours de cette rivière, depuis le Trentin jufqu’à fon
embouchure dans la mer adriarique, est.trës-étendu :
le maréchal tenoit plus de vingt-cinq lieues de fon
cours. Il n’exifte dans l’art aucun moyen pour qu’une
armée égale, même fupérieure, paille entreprendre
avec fuccès la défenfe du paflage d’une rivière dans
une aufli grande étendue. M. de Feuquières reproche
au maréchal de n’avoir pas tenu plus de troupes dans
les portes de fa droire ; mais alors le prince Eugène
eût a taqué ceux de la gauche.
Le maréchal raflembla fon armée entre l’Adige
& le Mincio , à Villafranca ; il y prit une pofirion.
que le prince Eugène fur forcé de refpeéter : on ne
peut mieux manoeuvrer ; & tant que fon armée eut
occupé cet excellent porte, le prince Eugène n’eût
pas ofé palTer le Mincio, D’abord il n’eût pu
laifle l’armée des deux couronnes derrière lui ; en
fécond lieu, Villafranca eft à trois7 lieues de Pef-
chiera, où le Mincio fort du lac de Garde ; il eft a
égalé diftance de Manroue dont il craverfe le lac.
En entreprenant de passer cette rivière au-deflus ou
au-de flous de Villafranca , le prince Eugène auroit
pu craindre de voir le maréchal tomber fur la moitié
de fon armée ; il n’y a peut-être point de meilleures-
manières de défendre le paflage d’une r iv iè re q u e
celles de fe tenir dans une bonne pofirion , du même
côté où l’ennemi veut au peut la parier. Si l’armée a
. repaflé le Mincio & fait enfuite plufîeurs maiches
rétrogrades-, ce fut la faute du duc de Savoie, qui
commandoit en chef.
La victoire remportée à Fridlinguen , par Villars,
fut remarquable non par la fcience de la difpofitiorr
„qui l’avoit préparée, mais par la preuve de l’aud.ace
donc Villars étoit capable, & l’audace eft le premier
des dons qu’un militaire pairie recevoir de la nature.
Pour une occafion où les Fabius fervent utilement ,
il y en a cent où il faut des Annibal. D’ailleurs, la
1 première de ces qualités n’exclut pas la fécondé..:
Nous n’appelions pas audace de la témérité : il faut
fans doute des âpparences de fuccès* pour fe déterminer
; mais on manque rarement à les réalifér
quand on y fait employer l’impétuofité de fes moa-
vemens. En un mot, on n’éft point général fi l’on
balance en préfence dé l’ennemi : l’éviter fi l’on n’eft
pas dans l’intention d’engager une affaire ; mais fe
précipiter fur lui dès qu’on s’eft mis à portée de Tac-,
taquer 5 de là l’on peut juger combien eft eflentiel le
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poür fe former & pour les imiter, aucune orga-
nifatioti dans les armées, aucuns principes. Aufli
après eux tomba-t-on dans la nuit de l'ignorance,
choix d’un ordre avec lequel on puifle combattre
comme l’on fe trouve en arrivant.
Après ayoir gagné la première bataille d’Hoëstedt,
Villars avoit demandé fa retraite, & il avoit été
rèmplacé par Tallard, qui vint fe faire battre à ce même
Hoëftedt par Malboroug : l’effet meurtrier du feu
de l’infanterie angloife - mit la cavalerie de Tallard
dans un fi grand défordre , qu’elle ne put être ralliée
que très en arrière; Marfin ,-qui avoir eu quelqu’ap-
parence de fuccès à la gauche, n’en fut pas allez
pour faire porter fur fa droite une partie de fa fécondé
ligne; ce mouvement l’auroit mis en état de charger
avec avantage la cavalerie de Malboroug, qui, après
avoir pénétré dans -.Qber-Kian & PI ntheim, s étoit
un peu éparpillée pour piller & faire des prifon-
niers.,
L’embarras de réunir une armée empêchoit alors
de fonger à autre chofe qu’à la bien porter. De ce
principe confus , il réfultoic qu’on occupoit les villages
dont la fituation paroifloit. favorable, pour
favorifer la défenfe de,la pofirion qu’on a'voit prife.
Dès-lors l’armée fe troüvoit comme dans une place
fortifiée ; on ne pouvoit plus tirer parti de fes
troupes que d’une manière connue à l’ennemi ; on
ne pouvoit .profiter ni des rideaux, ni des hauteurs
pour fe porter, eu force fur la partie de l’armée ennemie
la plus aifée à aborder.
En 1707, on fut encore plus obligé de fe convaincre
du mauvais effet du mélange de la cavalerie
avec l’infanterie. Galloway, à Almanza, fentant la
foiblefle de fa cavalerie, avoit imaginé, pour y
remédier, de mettre cinq efcadrons, enfuite cinq
bataillons à fa droite : fon ordre de bataille avoit
été rangé, entièrement fur ce plan. Les cinq
efcadrons, chargés par l’aîle entière de Berwick,
furent bientôt renverfés : le feu des bataillons repouffa
, il èft vrai , la cavalerie de l’armée
des deux couronnes, au point de lui faire abandonner
fa place à l'aîle droite; mais Berwick s’étant
apperçu de l’intention de Galloway, d’attaquer ce
flanc découvert, fit marcher de fa fécondé ligne la
brigade du Maine, qui rompit & chaffa les An-
glois. Les efçadrons placés a la première ligne,
ayant voulu protéger cés bataillons battus, furent
enfoncés & difllpés eux-mêmes.
L ’aîle droite ennemie s’étoit tenue en arrière pen^
dant ce tems, & n’avoit pu foutenir à propos lé
fuccès du centre , qui avoit pénétré au travers des
deux lignes ennemies ; fuccès qui auroit peut-être
été décifif fi, au lieu de poufler les troupes battues
& de s’ifoler du refte de l’armée ; la brigade hollan-
doif’e s’ étoit portée fur le -flanc gauche 8t' fur le
derrière de l’aile droite de l’armée des kletfx cou-
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& la ta&ique fut encore une routine étroite &
bornée ; on ne favoit comment entrer dans un
camp, ni comment en fortir j on ne favoit ni
ronnës. Peut-être l’auroit-elle battue & auroit-elie
évité d’être entourée par les troupes de la fécondé
ligne, & détruite prefqu’en entier. Alors le maréchal
fit marcher toute fon aile gauche ; les efcadrons
portugais prirent la fuite, & l’infanterie, entièrement
abandonnée, fut plus facilement battue.
Cette bataille auroit été abfolument en ordre
parallèle, fi les alliés n’av.oient pas un peu refufé
leur droite ; il fembleroic qu’ils auroient dû la re-
fufer ou beaucoup plus , ou ne la point refufer du
tout. Dans le premier cas, le mélange des armes
devenoit nuifible ; il empêchoit la cavalerie de fe
porter rapidement fur un point quelconque pour
fairé un effort ; dans le fécond , il auroit fallu
ranger l ’ infanterie de manière à pouvoir foutenir la
cavalerie fi elle étoit battue, & lui aflùrer les moyens
de fe rallier. ...
D’un autre côté, en louant le courage , la prudence
& les taîens de Berwick, ne peur-on' pas lui
reprocher d’avoir négligé de former une réferve de
fix ou huit efcadrons , & de deux ou quatre bataillons,
qui lauroit mis à l’abri de courir aucun
rifque ?
Il paroît réfulter des différens témoignages fur la
bataille de Malplaqûet, que Villars craignoic d’ex-
pofer aux hafards d’une défaite la feulé, armée qui
pût couvrir la France du côté de la Flandre. En
conféquence fés.démarches, furtout celles néceffaires
pour garder les lignes de la Trouille , furent très-
rimides, & il y fut prévenu par l’armée ennemie.
Ce même efprit l’empêcha fans doute encore de fe
porter au-delà de la trouée, & de combattre le
prince Eugène au moment où il lui étoit encore
fùpérieur, ou du moins de le forcer a iepafler la
Trouille.
Cependant il prit un parti qui fut fur le point de
lui réuffir. Sans la néceflité de garnir fon centre
d’infanterie, il feroit probablement venu à bout de-
repouffer les alliés, & d’empêcher ainfi le éiège 8c
■ la prife de Mons. Sa pofirion paroît avoir été dé-
feéiueufe, en ce quelle pouvoit être attaquée fur
des points i f o l é s & en cas de non fuccès, les alliés
en auroient été quittes pour la perte de quelques
hommes ; & en réufîilî'ant, l’armée françoife pouvoit
êrre détruire.
En conféquence, le prince Eugène tint une partie
de fes troupes en colonnes pendant prefque toute
l’aéHon ,•& fe fer vit ainfi d’une ^méthode qui paroît
avoir été mife en ufage pour la première fois.
Habitué à des fuccès, le prince Eugène ne regardent
rien comme impoffihle ; ainsi, après s’être emparé
de la petite ville du Quefnoy, malgré les dan