
Dans cette même campagne de 1674, l ’éle&eur
de Brandebourg vouloit forcer M. de'Turenne à
abandonner l’Alface ou à combattre avec défaprefîer,
&: il eut la fatisfa&ion de faire repaffer le
■Rhin tome cette armée.
Ainfi, dans dix-huit jours feulement, la capacité
& la fcience militaire vinrent à bout de chaffer une
armée ennemie avec une qui lui étoit.inférieure de
près de .moitié.
On ne peut fe refufer de rappeller le fouvenir de
faits fi mémorables, ni de brûler fon petit grain d’en-
cens en l ’honneur de l’homme miraculeux qui les a
opérés 3 rien ne doit inspirer plus de vénération, que
d’auffï grandes facultés dans le génie militaire.
Quelle diftance énorme d’un., chef de cetce efpèce,
à tous ceux qui parviennent à de femb labiés com-
mandemens 1 La préfompcion les aveugle, l'orgueil
les domine , la craints , fi lle de l’incapacité, les
gouverne. S'ils font égaux en forces, ils fe tiennent
fur la défenfive, laiflent tout faire à leur ennemi,
toujours dans la crainte de fe compromettre Ils font
des marches fans objet, des retraites fans néceflîtéj
ni précifion dans lours mouvemens, ni vues utiles 5
& leurs campagnes finirent de la façon la plus brillante,
dit-on, ïorfqu’ils n’ont point été battus.
D.ans la fayante campagne de 1675, le vicomte,
de Turenne prévint fon rival, en paffant le Rhin
avant qu’il eut fait défendre ,1a Kinch , & furtout
Élit occuper ?en forces le point important de Wil-
ûedt.
Prévenu ainfi par le vicomte , Montécuculli voulut
à Cbn tour l'inquiéter fur fes ponts 3 & s’étant étendu
au-deffus de Wilstedt, le long de la Kinch, OfFen-
bonrg devint-fon quartier-général.
Il peut fans doute paroîtré fingulier que ce général
| maître de la rive droite de la Kinch, n’ait pas
entrepris fur le pofte de 'Wiilftedt, fitué fur cette
même rive , & conféquemment féparé de l’armée du
.vicomte par la rivière, quoique petite & guéable
prefque partout^ des Impériaux alors auroient pu
combattre avec avantage -l’armée françaife, fi elle
.avoir pris le parti de la palier vis-à-vis d’eux pour
défendre le château. Si, au contraire, .elle ne s’y
étoit pas décidée , Montécuculli auroit pu .entrer
prendre avec fuccès Air le po-fte de Wilftedt.
La vue du terrain peut confirmer ces idées , lçs
environs de Wilftedt offrant des pofiitions excellentes
pour ’défendre le paffàge de la Kinch & pour couvrir
l’attaque de cette petite ville.
Montécuculli ayant marché ,de la Kinch au ruif-
feau de la Schutfër, vers Fabbaie de ce noçn . força
le vicomte de" venir s’oppofer à lui, & l’obligea à
defcendre à Allënheim, Ion pont placé à Ottenheim.
Ce .changement engagea Montécuculli à fe jrapprovantage.
Mais le mar-édhal le plaçoît toujours
de manière à avoir fa retraite affurée pour reprendre
une nouvelle pofition,, fans craindre
d’être attaqué dans fa marche, & fe tenoit avec
hardieffe à portée de combattre. Il en impofoit
par-là à l’éledL ur, & dès la nuit il alloit prendre
une autre pofition avantageufe, par ce moyeu
favant & hardi, M. de Turenne abandonnoit toujours
un pays confommé, &: mettoiç l’éleéteur
dans rimpoflibiiité de rien entreprendre fur aucune
place.
Les manoeuvres de M. de Turenne, en 167 f ,
pour forcer Montécuculli à abandonner le pays
qui eft entre le Rhin &: les montagnes du Wir-
temberg, ne sont pas moins infiniment favantes-,
& fervent à prouver combien la fcience de la
guerre avoir fait de grands progrès Vis-à-vis
cher du Rhin & à prendre pofte à Rhenshenloch. Le
vicomte vint fe camper à Dufchem. La Renchen ,
petit ruiffeau, coule dans un vallon très-marécageux,
des deux côtés duquel règne un bois très-fourré, de
cinq à fix cents pas de large. Cette pofition réciproque
empêchoit les deux armées de rien entreprendre
l’une fur l’autre fans fe compromettre.
Dans cette pofition, l’armée françoife étant mal
à l’aife, le vicomte fe décida à s’établir au-deffus de
ia Renchen, fur le flanc gauche des ennemis.
Peut-être Montécuculli auroit pu le faire repentir
de cette hardieffe. L’attaque projettée fur le pofte
du gué de la Renchen fut manqué par l’égarement
dans les chemins, des quatre mille hommes destinés,
à cette attaque. Celle-ci n’ayant pas donné le lignai
convenu, le duc de Lorraine, deftiné à en faire une
autre par derrière , fe borna à une efcarmouche
entre ion avant-garde & une partie de la première
ligne d’infanterie du vicomte. Le défaut de lignai
convenu arrêta également F attaque de Montécuculii
fur le camp de Freystedt,en y marchant par le défilé
de Renchenloch, dont il avoit confervé” le pont &
empêché le vicomte de «’en emparer.
Ce fut dans cette même campagne de i£ yj que
la France perdit, le 17 juillet, le maréchal de Turenne,
âgé de foixante-quatre ans : les généraux de Lorges
& de Vaubrun ramenèrent l’armée de Turenne fur
le Rhin 3 Montécuculli la pourfuivît & l’attaqua à
Altenheim. L’avantage fut à-peu-près égal des deux
CQtés : le courage feul des troupes françoifes les
garantit d’une entière défaite. Elles fe mirent en
bataille manoeuvrèrent d’elles-mêmes avec tant
d’intelligence & de fermeté, qu’elles pafsèrent le
Rhin , après le combat, fans obftacle de ia part, de
l ’ennemi.
D’autres généraux parurent avec des talens plus
ou moins inférieurs a ce grand homme & à fon
antagonifte : il peut être inftruétiFde lés obferver,
d’un
d’un homme du mérite de Montécuculli, il fal-
loit agir d’une manière bien fupérieure pour espérer
des fuccès 5 il falloit donc lui furprendre
une marches & comment le faire, étant pour
ainfi dire en présence, & f é p a r é feulement par
une petite rivière & quelques boisîC’ette entreprife
étoit d’autant plus épineufe pour M. de Turenne ,
que l’on ignoroit alors le grand art de mouvoir &
de développer les corps de troupes 3 ce qui fort
à augmenter davantage le mérite de faction.
M- de Turenne fut même blâmé de toute fon
armée , lorsqu’elle lui vit abandonner toute fa
fécondé ligne furie flanc de celle de Montécuculli,
mais il vouloit occafionner des incertitudes a fon
adverfaire} &iléioit bien fûr d’arriver toujours à
tems pour secourir cette fécondé ligne & obliger
Montécuculli à décamper.
Et cependant un militaire très-novice a ofé
dire de ce grand homme, qu’il n’avoit pas médité
le métier de la guerre. Non, fans doute} il ne
l’avoit pas médité à la manière de nos taÛiciens
modernes, qui fe croient des généraux , parce
qu’ils exercent un bataillon fur des glacis 5 mais
il l’avoit créé, fi nous ofons le dire, ce grand
art de deviner jufqu’à la penfée du général ennemi,
ou de le forcer à faire des fautes pour en
profiter. Il ne commandoit pas, il eft vrai, à des
troupes manoeuvrières 5 mais avec ces mêmes
troupes, donc les mouvemens & les déploiemens
étoient fi lents, il agiffoit en raifon de leur inf-
truftion & de leur formation, & n’en déployoit
pas moins le génie le plus vafte dans les marches,
les campemens, les pofitions favantes, &c.
En même-cems où Condé, Turenne , Montécuculli
s’immortalifoient, en exécutant des marches
favantes & en gagnant des batailles, Luxembourg
( 1 ) , Catinat, Vendôme, Créqui , Eu-
(1) Dès 1671, le duc de Luxembourg, avec un
•corps de troupes très-peu confîdérable, parvint à
faire échouer tous les projets offenfifs du stadhouder,
& dès-lors il commença à prendre fur ce prince l’af-
cendant qu’il fut toujours conferver depuis. En
1688, Louvois fut forcé de recourir aux talens de
Luxembourg 3 mais il tâcha vainement de lui lier
les mains pour nuire à fa réputation 3 il commença
brillamment la campagne de 1690, en fe portant de
Leuze à Deinze, après avoir traverfé l’Efcaut. Cette
pofition prife dans les derniers jours de mai , obligea
les troupes hollandoifes de fe couvrir du canal de
Bruges, & tint allez en refpeâ: celles des Efpagnols,
pour ne fe pas compromettre en avant de Bruxelles.
Quelques femaines après il atteignit & battit les
ennemis à Fieu rus.
On ia remarqué avec raifon queWaldeck avoit
eu a F leur us un momènt bien favorable pour battre
Art M ilic. Suppl. Tome IV .
gène marchoient fur leurs traces» Cohorn &
Vaubâa perfeélionnoient l’attaque des places y
genre dans lequel les modernes lurent pour ainfi
Luxembourg. Ce moment étoit celui où il mit ea
déroute l’aile gauche françoife 3 s’il avoit pouffé
cet avantage, il fe feroit trouvé fur. le flanc gauche
de l’infanterie 3 & s’il l'avoit battue, il lui auroit été
aifé de s’emparer de fes bagagês & des ponts jertës
fur la Salubre.
Dans la campagne fuivante, on vit des pofitions
favantes , non - feulement mettre en fureté l’armée
qui les occupoit, mais encore couvrir Un pays inté-
reffant à garder, & menacer plufieurs parties de celui
qué l’ennemi avoit intérêt de défendre.
Une de celles qui paroîc avoir le mieux rempli
ces grands objets , eft celle du Bois-Seigneur Ifaac ,
à une petite lieue de Nivelle.
Soit pour fe mettre à portée de confommer les
fourrages du pays entre les fources de la Dyle &
de la Senne, foit pour protéger à-la-fois les places
de la Sambre & inquiéter Bruxelles & même Louvain
, foit pour avoir un camp fur en fe couvrant
des coteaux ôc des ruiffeaux qui coulent aux pieds ,
on trouvera à s’y établir fùrement & commodément
avec cinquante mille hommes.
Bientôt Luxembourg conçut, par les difpofirions
du roi Guillaume, iupérieur en infanterie, qu’il:
vouloit engager une affaire où ce corps eût la principale
influence 3 & il avoue lui-même dans une
lettre au roi, y avoir été amené malgré lui 3 ce qui
conftate d’une manière bien indubitable la gloire &
les talens du prince d’Orange, d’avoir manoeuvré
affez habilement pour forcer Luxembourg à combattre
avec défavantage.
Ayant occupé, le z août, la pofition de Stein-
kerken, quoique partie de la droite de Luxembourg
fût couverte par des bois & par la Senne , le roi
d’Angleterre ne l’attaqua pas moins, dès le 5 au
matin, par cette même ' droite 3 & malgré la difficulté
du terrain, il s’empara de la hauteui de Stre-
: guins , du bois qui couvroit le refte de la droite , &
de fix pièces de canon qui la défendoient. Si les
efforts de cette gauche avoient été fécondés par la
droite 5 si l’armée du maréchal de Bouflers ne fût
pas accourue de fon camp affez vite pour aider à
repouffer le prince d’Orange qui menoit lui-même
les bataillons à la charge il eft très - probable
que ce prince auroit retiré le fruit de fes favantes
difpofitions en battant complettement fon rival de
1 gloire.
Feuquières reproche à Guillaume d’avoir perdu
un tems précieux à mettre les colonnes de fa première
ligne régulièrement en bataille. 11 auroit fallu
Ifans doute faire pénétrer fa première ligne en colonnes
fur.un front de demi-bataillon au moins 3
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