
trop înjuftement rabaiffé les talens, malgré la
fagefle de fes plans pour pénétrer en Silésie par
la Luface, les voit d’abord renverfés en partie par
la deftruction de les magafins à Gorlitz, 8c bientôt
tout-à-fait détruits , obligé comme il l’eft ,
d'accourir au fecours des Saxons battus à Keffeldorf;
& malgré la fupërioriré de fes forces,
de laifièr prendre Drefde 8c de fe retirer en
Bohême.
K e j f e ld o r f — 174J. — i y d é c em b r e .
vDans cette bataille livrée aux Saxons par le
vieux prince d’Anhalt, .on voit combien déjà le
roi de PruflTe avoit imbu fes généraux de fes principes
en ta&ique. Le général, après avoir examiné
la polïtion des ennemis,. décide d'attaquer
leur gauche j en conféquence il fait dépafler par
la cavalerie de fa droite le front du village de
Keffeldorf qui fermoit la gauche des ennemis , 8c
il fait attaquer le village par des grenadiers 5 deux
fois cette attaque eft nul’neureufe mais les grenadiers
qui défendoient le village, enhardis par
leurs fuccès, fortent pour mieux repouffer lés
affaillans ; le prince voit ce mouvement ; il juge
cju'il peut en profiter. Aussitôt il fait précipiter
à bride abattue un régiment de dragons fur ces
grenadiers ; les dragons les culbutent, entrent
avec eux dans le village 5 8c tandis qu’ils en font
une horrible boucherie, quelques bataillons s'emparent
des batteries & du pofte. Alors des cui-
rafiiers fe portant à droite, chaflent des défilés
& des hauteurs tout ce qu'il y avoit d'infanterie,
& parviennent fur le flanc de l’armée ennemie ;
bientôt après l'affaire devient générale, l’aîle
gauche eft entièrement tournée , & la déroute
fut obligé de fe retirer devant l’armée vaincue &
d’abandonner les fruits de fon triomphe. Les mon-
ragnes qui entourent la Bohême , les gorges qui la
féparent de la Siléfie, la difficulté de nourrir les
troupes, la fupériorité de l’ennemi en troupes légères,
& enfin i’affoiblifTement de l’armée, fourniflent la
folution de ce problème. Si le roi eût Voulu établir
fes quartiers d’hiver dans ce royaume, voici les
difficultés qui fe préfentoient. Tout le pays étoit
entièrement fourragé, la plupart des villes , très-
rares dans ces contrées, font petites & entourées de
mauvaifes murailles; il auroit fallu , pour la fureté ,
y entaffer les foldatsles uns fur les autres-, ce qui
auroit ruiné l’armée, par des maladies contagieuses. A peine avoit-oa des chatriots pour les farines ;
comment en auroit-on. trouvé pour conduire le fourrage
de la cavalerie? En quittant la Bohême, au
contraire, le roi pouvoir remonter, recruter, équiper
fes troupes, les mettre dans l’abondance, & leur
donner du repos, afin de pouvoir s’en feryir au commencement
du printems.
eft des plus entière (i). Ce fut la dernière a&ion
de guerre du vieux prince d’Anhalt, qui com-
battoit depuis quarante ans à la tête de cette
infanterie pruffienne dont il avoit été le créateur.
Après cette bataille, le prince Charles fut obligé
de fe retirer en Bohême, Drefde fe rendit ;
8c Frédéric , après y être entré en vainqueur,
di<5ta la paix au roi de Pologne & à la cour de
Vienne.
A-peu-près dans le même tems où Frédéric
développoit des talens militafres auffi nouveaux,
(1) Avant de faire part des réflexions du roi fur
cette bataille, nous croyons uti'e pour l’inftruâion ,
de parler de deux événemens qui prouvent combien
la moindre négligence devient une faute à la guerre»
dont on eft fouvent trop puni, car l’ennemi ne pardonne
jamais.
P r em ie r é v èn em en t.
Pendant que l’infanterie du prince d’Anhalt entroit
dans MeifTen, les cavaliers, qui avoient un chemin
creux à traverfer, le paflbient un à un ; deux régi-
mens de dragons qui fe trouvoient les derniers ,
mirent pied à terre pour attendre leur tour ; un officier
faxon s’en apperçut, fondit à l’improvifte fur
eux, & leur enleva deux paires de timbales, trois
étendards & cent quatre-vingts hommes. Ces Saxons
étoient fortis d’un bois auprès duquel on avoit pafle,
qu’on avoit négligé de faire reconnoître.
S e c o n d év èn em en t.
Le miniftre faxon ,' qui dominoit les généraux, &
ne comprenoit pas qu’un pont pût contribuer à la
perte d’un pays, ne voulut jamais confentir à la
démolition du pont de l’Elbe, & ce pont fervit à faire
pafler le corps du général Lewhald, & à faciliter fa
jonétion avec le prince d’Anhalt.
Si l’on examine les fautes commifes de part &
d’autre dans la bataille de Keffeldorf, on trouve
d’abord le général faxon s’étant occupé uniquement,
dans fon pofte, de la fûreté de fa droite , & ayant
laiffô fa gauche en l’air, & le village de Keffeldorf
expofé à être tourné. Et en effet, fi le prince d’Anhalt
avoit pris , en arrivant, davantage fur fa droite,
le village auroit été emporté à très-peu de frais.. La
plus grande faute des Saxons fut fans doute de fortir
du village, car ils empêchèrent par-là leur propre
canon d’agir contre les Pruffiens, & c’étoit leur
meilleure défenfe. Une faute non moins confidé-
îable, fut d’avoir mis l’infanterie , poftée de Keffel-
dorf à Benerich, non pas fur la crête des hauteurs,
mais en arrière de plus de cent pas 5 de maniéré
qu’elle ne put défendre avec les petites armes le
paffage du précipice, & le laiffa efcalader, fe réfer-
vant à tirer lorlque l’ennemi auroit yaineu la plus
grande difficulté.
la valeur françoife fe montroft d'une manière
brillante en Autriche, en Bohême, en Italie,
en Flandre (1).
La guerre, qui recommença en 1755 , vint
fournir au roi de Prüfte les occafions 8c les
moyens de développer encore davantage toute
l’étendue de fon génie militaire, & de mettre
à profit les différentes leçons données par lui-
même à fes troupes dans fes camps de paix, dans 1
(1) La prife de Prague , mais bi/în mieux encore
la retraite du maréchal de Belleisle de cette même
place ; le combat de Sahay ; les belles difpofitions
du maréchal de Noailles fur les bords du Mein ; la
belle campagne de Courtrai par M. de Saxe , où ce
maréchal profita de la tranquillité du camp de ce
nom , pour exercer l’infanterie à faire un feu mieux
nourri & plus fourni ; ce camp bien choifi , & le
mouvement hardi fait par le maréchal pour attaquer
une partie de l’armée ennemie qui avoit fait la faute
de fe féparer par le ruiffeau des Pierres , profond &
encaiffé, fans le couvrir de pont, fuffirenr pour
contenir une armée bien fupérieure en nombre à
celle des Français.
Cette glorieufe campagne prouva la vérité du
principe de Montéeuculli, que le choix des poftes &
des camps décide des campagnes.* i ‘
Cependant, malgré les foins du maréchal de Saxe
pour rendre fon armée inftruite & capable d’exécuter
de grandes manoeuvres, elle prouva, à la bataille
de Fontenoy, combien elle avoit fait peu de progrès.
Quelques officiers accufent auffi le maréchal de
n’avoir pas fait de bonnes difpofitions. Le village de
Fontenoy, difent-ils, une fois emporté, les lignes
qui étoient fur la droite & fur la gauche, auroient
eu leurs flancs découverts, & les auroient. préfentés
à l’ennemi ; refte à favoir fi ce village étoit facile
à emporter. Sa pofition , à la pointe d’un angle
faillant, préfentoit deux flancs, & donnoit confé-
qùemment toute la prife poffible à l’artillerie. Les
nuit pièces, dont quelques-unes de quatre, qui
défendoient ce village, ne pouvoient pas réfifter au
feu de quarante de gros calibre, & à celui de dix
mortiers & obus , avec lefquels pouvoient le
battre les ennemis. Une fois 'e village emporté, les
alliés, avec leur formidable artillerie , pouvoient
battre le flanc des lignes à droite & à gauche.
L’inexpérience ou l’ignorance du duc de Cumberland
l’empêchèrent de diriger fes principaux efforts
fur ce village, & fauvèrcnt l ’armée françoife. Les
mêmes caules lui firent auffi commettre la faute,
après avoir percé les lignes avec fa colonne, de ne
pas lui avoir fait embrafler à fon gré ou Fontenoy
ou la redoute du bois de Barry : elle fe trouvoit déjà
établie fur le flanc de la ligne françoife, & la tête de
la colonne avoit déjà dépaflé de beaucoup la gorge
d» village de Fontenoy.
lefquels il avoit rendu l’inftruétion fi folide, fi
lumineufe, fi fimple & fi profonde, par la double
combinaifon de la théorie & de la pratique. Tout
es que les anciens & les modernes avoient laifle
de leçons de tous genres, Frédéric avoit fu les
raflembler pour en faire la bafe de fa tactique 8c
de fes manoeuvres ; ainfî l'art de manoeuvrer devant
l'ennemi pour lui donner le change, pour
le déborder enfuite brufquement par une grande
évolution, & embraffer fon flanc par la formation
même de l’ordre de bataille, il l'étudia dans
celles d’Iffus 8c d’Arbeltes, 8c dans les principes
indiqués par les maréchaux de Turenne, de Pui-
fégur, de Luxembourg, &c. Céfar, à Pharfale,
avoit placé des troupes en potence ; le roi en prit
la méthode, d’avoir des brigades de flanc , 8c
de placer derrière la pointe de fes ailes de cavalerie
, des réferves de huffards en échelons ou
en colonnes, pour envelopper l ’ennemi au moment
de la charge.
L o v o j l t s . — 17ƒ6* — Icc* o t to b r e .
Le tems étoit arrivé où Frédéric devoit recueillir
le fruit de tant de travaux. Au mois de
septembre 17y6 , il envahit la Saxe avec deux
armées, bloque avec l’une les troupes faxonnes
qui s’étoient réfugiées dans le camp de Pirna, 8c
pénètre avec l’autre en Bohême , où, le premier
o&obre, il attaque les Autrichiens à Lovofitz
avec des forces très-inférieures, & les bat apiès
un cpmbat long & fanglant.
On ne peut lire fans admiration la lettre de
Frédéric au généralSchwerin après cette bataille,
fes détails fi précieux , fi vrais, fi modeftes ;
combien de fang-froid dans le général ! combien
de difcipline, d’inftru&ion & de bravoure dans
les troupes ! Cette cavalerie repouflee deux
fois, 8c placée enfuite derrière l’ infanterie par
des mouvemens exécutés comme dans une manoeuvre
de paix !
Toute cette gauche d’infanterie marchant par
échelons, faifant un quart de coriVerfion, & prenant
en flanc la ville de Lovofitz 8c l’infanterie
de l’ennemi, emportant ce pofte, & obligeant
toute l’armée ennemie à prendre la fuite.
Pirna,— I7jfi. — 14 octobre.
Quatorze jours après, les Saxons réduits à la
difette dans un de cescamps rendus inexpugnables
par la nature, mais qui, par la même raifon, deviennent
des pièges pour l’armée qui s’y renferme,
mettent bas les armes, 8c le roi de Pruffe
convertit vingt - deux batail ons faxons en dix
régime»s pruffiens. Quelle confiance ne marquoit-
il pas dans fa difcipline & dans lui-même, en
ofant ainfi incorporer dans fon armée des régimens
Pppp 2