
état, perd une grande partie de fes droits au nom
facré de père , puifqu’ il compromet le bonheur
de fes enfans : j’ ai fenti en commençant cët
article, toute la force de cette objection, mais elle
ne m’ a point étonné. Je n’ ai point cru qu’il dût
y avoir avant l’àge de 16 ans une éducation
différente pour les magiftrats, lès adminiftrateurs,
les eccléfiafliques & les militaires ; fortifier le
corps , préparer l’efprit à l’iriftruâion , & diriger
le coeur ,. voilà le vrai but de la première éducation
, & il eft commun à celle de toutes les
elaffes de la fociété. Si l’éducation qui convient
plus particulièrement aux militaires exige quelques
modifications, elles font légères 8c ne peuvent
produire aucun effet funefte chez un peuple qui a
comme le françois un goût v if pour la guerre, &
qui, pour confsrver fon heureufe conftitution , doit
délirer que tous fes enfans foïent aptes à la
profeffton des armes. Il eft d’ ailleurs certain que
tout enfant qui aura reçu une éducation dirigée
vers l’état militaire acquerra les connoiffances
néceffaires à un guerrier , & contractera les goûrs
& l’h umeur belliqueufe. Cette opinion n’eft point
exagérée , je le prouverai dans le cours de cet
article.
Z ’éducation militaire privée peut-être divifée
en deux époques -, la première commence avec
celui qui doit la recevoir , & finit vers le~moment
où il approche de fa feizième année : ce fera de
la première de ces divifions dont nous nous
occuperons dans cet article : le fécondé , qui eft
la véritable éducation , fera traitée dans les
articles M e n t o r , C a p i t a i n e , L i e u t e n a n t ,
É co l e s m i l i t a i r e s , E x a m e n , & c.
De Pédùcation phyjîque ou de Vart de procurer
au corps le plus haut degré de force & de fanté.
Les peuples de l’antiquité que nous citons fi
fbuvent, 8c que nous imitons fi peu , donnoient
l ’attention la plus grande à cette première partie
de l’éducation des enfans : je ne retracerai point
les lois de Licurgue , je ne ferai point le tableau
desufages de Rome , ces détails appartiennent
au dictionnaire des antiquités -, je dois convenir
d’ailleurs que l’exemple des Grecs & des Romains
ne feroient point d’une grande utilité à un père -,
un Gymnafe , un champ de Mars , des jeux
publics , tous ces objets ne fe trouvent que dans
nos livres.
Les François des premiers fiècles donnoient
auffi des foins infinis à l’art de procurer aux'
enfans un grand degré de force & de fanté,
c’ étoit le principal & prefque l’unique but de leur
éducation. Je ne rapporterai qu’un exemple à
l^ar.pui d'j cette vérité , c’eft l’éducation donnée
au jeune Boucicaut, « dont maintenant , dit
l ’hiftorien cet homme célèbre , s’effayoit à faillir
Sar un courfier tout armé , puis autrefois couroit
ou alloit longuement à pied , pour s’accoutumer
à avoir longue haleine , & fouffrir longuement
travail. Autrefois fériffoit d’une coignée, ou d’un
mail grand pièce , 8c longuement, pour bien fe
duire aux harnois, & endurcir fes bras 8c fes
mains à longuement ferrir, & qu’ il s’accouftumaft
à légèrement lever fes bras. Pour les chofes
exercer duifit tellement fon corps , que en fon
temps n’ a efté un nul autre gentilhomme de
pareille appertife ; car il faifoit foubrelaut' armé
de toutes pièces , forts le bacinet , & en danfant
le faifoit armé d’une cotte d’ acier. Item , failloit
fans mettre le pied à l’eftrier fur un courfier
armé de toutes pièces. Item , à un grand homme,
monté fur un grand cheval, failloit de terre à
chevauchon fur fes épaules , en prenant ledit
homme par la manche à une main, fans autre
avantage. Item , en mettant une main lur l’arçon
de la fellè d’un grand courfier , 8c de l’autre
empres les oreilles , le prenoit par les crins en
pleine terre , & failloit par entre fes bras de
l’autre part du courfier. Item , fi deux parois
de plâtre fuffent de la haulteur d une tour , à
force de bras & de jambes , fans autre ailde ,
montoit au plus hault, fans cheoir au monter, ne
au dévaler. Item , il montoit au rèvers d’ une
grande échelle dreffée contre un mur tout au
plus hault, fans toucher des pieds, mais feulement
fautant des deux mains enlëmble d’elchellon
en elchellon, armé d’une courte d’ acier , & oftée
la cotte , à une main fans plus montoit plufieurs
efchelions. Et ces chofes font vraies, & à maintes
autres grandes appertifes fe ; duifit tellement fon
corps , que à peine peuft-on trouver fon pareil ;
puis quand il eftoit au. logis , s'effayoit avec les
autres efcuyers à jetter la lance , ou à autres
effais de guerre , ne jà ne cefloit ».
Telles étoient, dans les temps reculés, les
leçons que recevoient prefque tous les hommes
qui fe deftinoient à la profeflion militaire: on
donnoit alors beaucoup trop , fans douté , a cétte
partie de l’ éducation •, mais nous , nous lui donnons
beaucoup trop peu. Entre les deux extrêmes
il eft un jufte milieu, 8c c’eft ce point que je vais
effayer de trouver.
Si j’avois à élever ou mon fils ou celui de
mon ami, & fi je deftinois cet enfant, qui me
feroit cher , à devenir l’ un des défenlèurs de fon
pays , c’eft à la campagne qu’il, feroit allaité par
1a mère , & qu’ il pafferoit les douze premières
années de fa vie : il n’eft point d’homme fait qui
ne foit affez inftruit pour être jufqu’à cet âge le directeur des études , l’ inftituteur , le guide de
fon fils. Jamais fes membres délicats ne fenti-
roient les dures étreintes du maillot , & jamais
on ne le provoqueroit au fommeil , pas même par
des chanfons. 11 pafferoit la journée prefque
entière dans les champs ; on le vèrroit raremen
dans les bras de fa bonne , mais prefque tou jour
folâtrant librement fur le gazon , ou dans la
maifon fur une natte épaiffe : on ne chercheroit
cependant point à hâter le moment où la nature
permet à l’homme de fe tenir debout & de
marcher. Une tunique de toile , une chauffure
d’un cuir doux , feroit fon vêtement de toutes les
(àifons. Chaque jour un bain pur recevroit les
membres délicats & leur donneroit une nouvelle
force. Une paillaffe placée fur le parquet, & une
couverture légère formeroient toujours fon l i t , 8c jamais ce lit ne feroit entouré de rideaux. Des
alimens fains , abondans , mais communs & prefque tous froids , feroient fa nourriture. Il
fortiroit pendant toutes les faifons , à toutes les
heures du jour & de la nuit ; ainfi il s’habitueroit
à l’obfcurité , aux ardeurs du foleil , & aux
rigueurs du froid. Ses jeux fe prolongeroient
quelquefois long-temps après que le jour auroit
ceffé, afin que la privation de la lumière ne
réveillât point dans fon efpiit des idées triftes.
Dès que fes membres raffermis lui permettroient
de former des pas affurés , j’effaierois de Je rendre
léger à la courfe ;■ bientôt je l’exercerois à courir
fur toute efpècé de terrain , à gravir contre des
rochers efearpés , à monter à des échelles prefque
droites, à grimper leftement fur des arbres,
a franchir des foffés & des haies, & enfin à
traverfer des canaux , des rivières à la nage.
Il apprendroit en même temps à juger des hauteurs
, des diftances, des dimenfions des corps,
de l’él oignement d’une lumière qu’il apercevroit
pendant la. nuit, & de celui du foyer d’un fon
qui frapperoit fon oreille ; il fauroit marcher
à petit bruit & retrouver' fon chemin
aufli aifément pendant la nuit que pendant le
jour. Ce feroit l’effet des fréquentes promenades
nocturnes qu’il feroit, foit dans les bois, foit
dans de vaftes édifices, foit dans les temples,
foit dans les lieux confacrés au filence de
la mort. Il ne connoitroit point l’art de conduire
un cheval, mais il fauroit s’élancer deffus
fans fecours étranger le guider fans bride,
le monter fans felle , l ’attaquer fans crainte-,
cet art, il l’auroit appris des jeunes pâtres dont
il feroit le rival & l’ami. Vers fa dixième année
il fauroit déjà frapper un but éloigné'à coups
de piftolet & de fufil *, bientôt la chàffe deviendront
la fource de fes plaifirs les plus ordinaires.
Il fauroit conduire un chariot, peut-être même
manier groffièrement la hache du charpentier,
le marteau du maçon , le cifeau du menuifier ;
ce ne feroit point la crainte d’un avenir incertain
qui m^auroit infpiré le défir de lui rendre
ces arts familiers , mais le befoin d’affouplir,
de fortifier fes m em b r e s c ’eft par les mêmes
motifs qu’il s’adonneroit aux travaux de la campagne
il ennobliroit & fortifieroit fes bras en
guidant la charrue, maniant le hoyau, la faux
& la ferpette ce feroit encore 8c pour l’exercer
& pour empêcher la vanité de fe développer
dans fon coeur, que je l’habituetois à ne point
recourir pour fon fervice perfonnel à des mains
étrangères -, il feroit pour lui-même tout ce qu’il
pourroit faire. Des vêtemens auffi fimples que
ceux qu’ il portoit dans l’on enfance , 'feroient
ceux qu’ il préféreroit parce qu’ils lui feroient les
plus commodes •, il auroit indifféremment la tête
nue ou légèrement couverte. Je n’aurois point ordonné
à fa nourrice, comme Licurgue l’avoit pref-
crit aux femmes de Sparte, de ne point lui donner
toute la nourriture dont il auroit befoin, & même
quelquefois de le faire jeûner, mais vers fa huitième
année, je commencerois à ne plus rendre
l’heure de fes repas toujours la même , 8c je
parviendrois bientôt à lui faire fupporter la faim
pendant quelques heures fans fe plaindre. Tous
Les liquides qui peuvent fervir à défaltérer lui
paroitroient égaux pour fa boiffon, & tous Jes
alimens fains pour fa,nourriture. Vers fa douzième
année il pafferoit quelques mois de
chaque année dans une ville pour y apprendre
les principes de l’équitation, de l’elcrime, des
exercices militaires & de .la danfe , fes maîtres
chèrcheroient moins dans ces premiers momens
à lui faire acquérir de l’adreffe que de la force,
de la grâce que de la fouplefle. Ce feroit au
milieu de ces jeux & de ces plaifirs qu’il arri-
veroit enfin au moment où il iroit - recevoir
P éducation militaire publique.
Comme nous nous fommes défendus les details
, nous allons indiquer à nos lecteurs les
ouvrages qu’ils peuvent confulter fur Y éducation
phyfique. Voyez les effais de Michel Montagne ;
en annonçant que l’immortel citoyen de Genève
a beaucoup puifé dans cette fource, nous
en faifons l’éloge. Voyez le SyJIême de Locke
fur /’éducation des enfans. Voyez Emile de J. J.
Rouffeau. Voyeç un ouvrage du baron Haller
intitulé de PEducation \ voye[ celui d’Helvétius
qui porte le même titre. Il eft encore d’autres
ouvrages qui renferment d’excellens préceptes
fur Véducation phyfique; il en eft fur-tout dont
les principes m’ont paru excellens ; il eft intitulé
de YÂrt d’élever les enfans , avec cette
épigraphe Experientia magijler arduni. Nous ne
pouvons trop recommander la leéture de ce livre
aux perfonnes qui veulent donner à leurs enfans
un corps fort & robufte ; voye[ enfin l’article
E d u c a t i o n dans le dictionnaire de l’économie
politique.
De PinjUtution ou de Part d’éclairer l’ efprit &
de lui procurer le plus haut degré de jufleffè &
de capacité quil peut obtenir.
Quoique nous n’ayons , ,pour ainfi dire, fait
qu’effleurer l’éducation phyfique des enfans que
l’on deftine à l’état militaire, nous toucherons
plus légèrement encore à la première éducation
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