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ceux qui fe piquent de les imiter j mais encore avec
les habitudes devenues néceffaires à toute la partie
cl à peuple occupée à cette portion des manufactures
qui exigent des ouvriers fédentaires , les ouvrages
en foie, laine, coton , toile, les filatures , les broderies,
les ouvrages en linge, robes, habits, fou-
liers , bas , bonnet , &c. &c. , en grande partie
ignorés chez les anciens, ou peut-être plus politiquement
abandonnés aux femmes, qui devroient feules
y être occupées. Et qu’on ne dife pas que notre manière
de faire la guene, depuis la découverte de la
poudre à canon, exige moins d’adrefTe & de force
corporelle; nos foldats font fou vent chargés de poids
àuffi forts ; il leur faut autant & peut - être plus
d’adreffe pour manier le fufil, le'charger, le tirer,
s’en fervir comme arme offenfive & défenfive, qu’il
en falloit aux anciens pour lancer le javelot, pré-
fencer la pique ou fe fervir de l’épée. Quelle adreffe,
quelle force, quelle inftruétion ne faut-il pas à nos
foldats d'artillerie ; Combien nos fiéges ne font-ils
pas plus meurtriers , nos marches plus fatigantes ,
la garde de nos armées plus pénible , nos manoeuvres
plus difficiles par rapport à l’immenficé de nos
fronts & au peu de profondeur de nos files ? Combien
nos foidats ne font-ils pas expofés à fouffrir
davantage par la privation des fubfiftances, les dif-
triburions 8c les préparations étant bien plus difficiles
& plus lentes ? Quels embarras , quelles lenteurs
dans nos marches, quels inconvéniens, quelles fatigues
en font la fuite 1 Les anciens arrivoient toujours
de très-bonne heure dans leurs camps; bientôt
ils les avoient fortifiés, & ils étoient en fureté. Nous
n’arrivons jamais dans les nôtres qu’infiniment tard ,
& nous ne les défendons qu’au moyen d’une foule
innombrable de gardes ; nouveau fujet de peines
exceffives pour le foldat. A approfondir* cet objets,
on fe convaincroit facilement combien les fatigues
& les dangers font devenus p'us forts pour les foldats,
dans la manière a&aelle de faire la guerre ;
& cependant jamais on ne s’occupa moins d’y préparer
pendant la paix, je ne dis pas feulemei t les
recrues & les nouveaux foldats , mais encore tous
les citoyens, auxquels d’ailleurs ces fo.tes d’exercices
affiircroient un: Enté plus robufte. Les anciens,
convaincus de l’importance de ces exercices , en
avoient fait un objet en apparence d’amufement &
de jeux pour le peuple, toujours avide de fpectacîcs ;
mais ce n’étoit pas funique but des anciens dans
l'inftitu:ion des jeux publics de la Grèce & de l'Italie
, ils avoient principalement en vue d’endurcir
les corps au travail, & en leur procurant par - là
une fanté plus vigoureufe , les rendre plus propres
au pénible métier des armes. C ’eft à quoi tendoit
originairement toute leur gymnaftique, & les homn.es
y rrouvoient des rcffources merveilleufcs pour la
croiffance dé leurs fo ces & de leur agil.té ; ces deux
qualités s’y perfeétionnoient plus ou moins, fuivant
le choix des exercices; il y en avoir quelques-uns
par l’ufage defquels le corps entier devenoit plus
robufte ou plus fouple. La lutte , par exemple, & !
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le pancrace produifoient le premier; la danfc & la
, paume produifoient le fécond. 11 y en avoit d’autres
qui n’opéroient que fur certaines parties ; c’eft
ainli que les jambes acquéroicnt à la courte une plus,
grande légèreté;.que le pugilat augmcntoitla vigueur
& la foupldfç des bras : mais nul exercice ne 1 s
fortifioit plus efficacement que celui du dtfque ou
pallet. Quelle force en effet ne fallait-il pas à un
achlete non-feulement pour foutenit d’une maiu
une mafTeïl’une pefanteur énorme, mais encore pour
la jetter en l’ait 8c la pouffer à une diftance con-
fidérable 1 car c’eft uniquement de quoi il s’agilioit
dans l’exercice du difque ; un bras accoutumé in-
(cnfiblement, 8c comme par degiés, au maniement
d un fcmblable fardeau , ne rencontrait dans les
combats rien qui pût réfiiter à les coups ; les javelots
& les piques les plus groifes en partoient avec
toute i’impctuofité néccflaire pour renverfer l’ennemi
d’oti il paroit que l ’art militaire droit un
lecours très-important Sc très-férieux de ce qui, en
apparence, n’étaic qu’un divertiflement.
Ces exercices étoient d’autant plus avantageux ,
qu’ils infpiroient aux élevés le courage du coeur, en
attendant qu’ils puffent acquérir celui de l’efprit. Ce
courage du coeur eft bien plus une affaire de l’éducation
qu’un don de la nature; c’eft une vertu male
qui naît du fendaient de fes propres forces, qui fût
braver le danger 8c Ces fuites ; pour avoir ce fendaient
de fes forces , il faut les avoir mifes à l’épreuve
5 & c’eft ce que fait faire la gymnaf-
dque. .
Par exemple, ta pear qu’on nous fait de l’eau,
corda pavor pulfans, 8c l’imagination , no . s empêchent
de nager naturellement comme les animaux;
el es nous ôtent la planche que la nature nous a donnée
, en nous faifanc amphibies pour nous lauver du
naufrage; on *'iut trop tôt former i’efprit, & on
rend le corps délicat & foible ; nous fommes plus
déliés, plus madères & moins robuftes. Comparez
les Français du 18e. fîècle à ceux du temps de Céfar;
l’homme bien-né au matin ou au payfan exercé ,
accoutumé à braver depuis fon enfance tous les dangers,
tous les élémens, toutes les intempéries d s
laifons : à la place d'un Spartiate , vous 11’aurez
qu’un Sybarite.
L’époque de la deftruétion des empires anciens
fut en même tems celle de la barbarie & des irruptions
de cette foule de peuples qui, du fond de
l’Afie & du Nord, vint changer la face de la terre ;
mais ici la force contribua encore plus que la multitude
à décider la tfétoire, & ces conquérans étonnèrent
l’univers par leur farouche bravoure 8c leur
intrépide valeur. Quels prodiges en effet ne lit on
pas dans les annales des Arabes 1 quelle ha'dicfie
dans les projecs 1 quelle célérité dans l’aélion 1 quelle
rapidité de conquêtes 8c de fuccès 1 On voit ce«
peuples parcourir, fous differens noms, l'Afie, l’Europe
& l’Afrique, 8c conquéiir plus de provinces
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dans l’efpace de deux fiècles, que les Rcmains n’en
fournirent pendant plus de cinq cents ans. Mais aufli
d’où fortoient ces conquérans? quelle aveit été leur
éducation? quelles étoient leurs habitudes? Ecoutez
l’éloquent Gibbon, parlant de l’Arabie; on ne peur
l’avoir lu une fois fan1! céder au defir de tranfmettie ,
aux autres fes idées’ fi fortement fondes 8c fi énergiquement
rendues fur ces peuples célebes à tant
de titres. Dans cet cfpace vide entre la Perfe , la
Syrie , l’Egypte 8c TEthyopie , fe trouve la péninfule
do j’ Arabie ; fon entière lui face eft. quatre fois plus
grande que celle de la France 8c de l’Allemagne ;
mais la plus gtande partie a été, pour a in fi dire,
notée d’infamie par les épithètes do pierreufe & de
fabloneule ; les parties mêmes-les plus fauvages de
la Tarcatic font ornées, par la natme, de grands
arbres & d’une végétation abondante ; le voyageur
folitâirc trouve une forte d'adouciffement 8c de lb-
c.été dans la jouifiance de la vie végétale : mais dans
les affreux pays incultes de l’Arabie , des plaines im-
menfes de lablc ne font coupées que par quelques
montagnes aiguës 8c arid s , & la furface du défert,
fans aucun ombrage ni abri, eft brûlée par les rayons
directs & intenfes du foleil du Tropique. Au heu
d’une brife rafraîchiiLnte , les vent' y répandent une
vapeur nuifible & même mortelle.; les montagnes de
fable qu’ils élevent alternativement & qu’ils di per-
fent,, font comparables aux'trombe s de i’O éan, &
des caravanes, des armées même tout entières ont
été quelquefois englouties dans ces tourbillons : dans
ces lieux arides , l’eau eft un objet de d fi: & de
ccnteftarion, & le bois y eft tellement rare, qu’il
faut'beaucoup d’art pour préferver ou multiplier cet
élément du feu. L ’Arabie eft privée de rivières navigables
qui puifltnt fertilifet fon fol. Les torrents
qui tombent des montagnes font bus par la terre altérée
; les plantes robuftes du tama in & de l’acacia,
qui prennent racine dans les fentes des rochers, ne
font nourries que par les rofées de la nuit : l’eau de
la pluie eft ramaffee avec foin dans des citernes^ les
puits & les fontaines font les tréfors cachés de ce
défert; 8c les pèlerins de la Mecque, ap ès plufieu s
marches étouffantes , font rebutés par les ea x qui
ont roulé fur un lit de foufre & d: fel. Le moindrè
bofq uet ombragé, un pâturage un peu verd, un courant
d’eau fraîche, font fuffifans pour attirer une
colonie d’Arabes fédentaires, dans l’efpérance de fe
procurer & à leurs beftiaux des rafraîchiffemens &
de la nourriture, 8c de pouvoir cultiver la vigne &
l’arbre du palmier. Les générations & les temps fe
feroient écoulés dans un filencicux oubli, & l’arabe
faùvage ferait refié fans fecours pour multiplier fa
race, fi j dans les premiers périodes de i’antiqui-.é3
de grands corps de cette nation , fortant de, ces
fcènes de misère 8c de ces déferts nuds qui ne pou-
voient les entietcmr, n’eu lient changé leur condition
de peuple chafieur, dans celle plus fure & plus abondante
de peuple pafteur. Mais le portrait des modernes
Bédouins peut nous tracer encore les traits de
leurs ancêtres. Deux animaux précieux vinrent bien-
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tôt affurcr 8S augmenter leurs jouifTances : le cheval,
dont les naturaliftes regardent l’Arabie comme le
pays original & naturel, & le chameau, ce préfent
lacré & fi précieux pour ces contrées arides 8c déferres
; le chameau * cette bête de fomme robufte
& patiente, qui peut exécuter une traite de plufieurs
jours, fans boire ni manger, transporter des poids
de mille livies 8c devancer lecourfierle plus agile;
qui, vivante ou morte , eft ferviable à l’homme.
Son lait eft abondari?& nourrilïant : jeune, fa chair
vaut celle du veau ; fon urine fournit un ftl précieux
, fa fiente eft employée à faire du feu , fon
long poil qui tombe & fe renouvelle tous les ans,
eft manufacturé pour les habillemens > les meubles
& les tentes des Bédouins.
Lu vie de l’Arabe vagabond eft une vie de danger,
de détreffe & de privai ion, & le moindre citoyen ,
obfcur en Europe, eft entouré d’un luxe plus folice
& plus agréable, que l’émir le plus orgueilleux ,
marchant à la tête de mille, chevaux dans les déferts
de l’Arabie.
Le corps de la nation échappa au joug des plus
puiflantes monarchies; les armées de SefofHs & de
Cyrns, de Pompée & de Trajan, ne purent jam-is
achever la conquête de l’Arabie; le foaverain même
aétuel des Tuics peut exercer fur eux une ombre de
jurifdiélion ; mais fon orgueil eft réduit ajollicitet
l ’amitié d’un peuple qu’il eft dangereux de provoquer
& i utile d’d traquer. Les caufes ordinaires de
leur liberté font infentes dans le caractère & la fitua-
tion du pays des Arabes. Plufieurs fiècles avgnt Mahomet,
leur intrépide valeur avoit été févèremert
fentie p.ir leurs voifins , dans la gueire offenfive &
défenfive. Les vertus pa-tentes & actives du foldat
fort infenfiblement formées & entretenues dans les
habitudes de la vie paftorale ; le foin des brebis
& des chameaux eft abandonné aux femmes de Ja
tribu ; mais la martiale je une fie , f'us la bannière
de l’émir, eft toujours à cheval 8c dans la campagne
à pratiquer l’exercice de l’arc, du javelot & d.u
cimetère; l ‘ S querelles domeftiqoes font fyfpendues
à l’approche d’un ennemi commun ; i’s fortifie) t
leurs âmes avec les vernis auftères du courage, de
la patience & de la fobriété : l’amour d: l’indépendance
exci e en eux l’habitude de fe commander eux-
mêmes, & la crainte du déshonneur les préferve de
la baffe appréhenfion des peines, des dangers 8c de
la morr.
La féparation des Arabes du refte du genre humain
, les avoit accoutumés à confondre les. idées
d’étranger & d’ennemi, & la pauvreté de leurs campagnes
avoit introduit parmi eux cette maxime de
jurifprudence , que, dans la divifion de la terre, les
contrées riches & fertiles ayant été affignées à d'autres
branches de la famille humaine ,. la poftérité de l’.n-
fortuné Ifmaël avoit les plus juSles droits de recouvrer
la portion de l’héritage dont elle avait été fi in-
jultemer.t privée,