
de Ces foldats} laiffant là Alexandre, Parmenîcm ,
David , Apias claudius , Cincinnatus , le dictateur
Papirius, Annibal , Lucullus & Céfar lui-
même ; paffant encore fur les commencemens de
la monarchie françoife, nous fixerons nos premiers
regards fur le règne du roi Jean. Pourquoi
ce prince , que nous ne confidérons ici
que comme général 3 fut-il battu à Maupertuis ?
Il commit> fans doute , pendant cette bataille
des fautes bien grandes ; mais ce n'eft point uniquement
à ces fautes qu'il commit, fur le champ
de bataille, qu'on doit imputer fa défaite > fes
malheurs eurent pour caufe le mépris qu’il fai-
foit de fes foldats, les propos durs qu'il leur !
adreffoit 3 & le peu de foin qu’ il prenoit de
gagner leur coeur. La réponfe que lui fit le fé-
néchal de Beaucaire après la bataille de Poitiers
eft la preuve de ce que j'avance. C e n'eft pas ,
lui dit-il , parce que vos foldats ont manqué de
bravoure & vos généraux d’habileté , que vous
avez perdu la b a t a i lle c 'e ft parce qu'il vous
manquoit, à vous , la meilleure pièce de votre
harnois, Y amour de votre nobleffe , le coeur de
vos foldats.
Jamais on ne donna aux rois , aux généraux
de leçon plus utile. Suivons Duguëfclin , des
inftruétions , non moins grandes , s'offriront à
nous , mais fous des formes plus agréables. Comment
ce général, dénué d'argent, & prefque
abandonné par fon maître, parvint-il à former
des armées nombreufes , à les tenir raffemblées,
à les rendre viétorieufes ? Comment parvint-il à
délivrer la France des grandes compagnies qui
la défoloient ? C'eft parce qu'il méricoitle furnom
de bon 3 dont il fut honoré par fes troupes ; je
dis honoré 3 ce furnom eft en effet le plus glorieux
qu'un général puiffe obtenir. A quoi la
plupart des hiftoriens attribuent-ils les défaites
de Bonnivet, celles de Lautrec , & les fuccès
de Pefcaire ? C'eft au foin que ce dernier prenoit
pour fe concilier Y amour de fes foldats , &
au peu de prix que Ies-premiers attachoient à ce
fentimenr. Pourquoi le connétable de Bourbon,
cet homme fi fier avec fes fupérieurs, fi froid
avec fes égaux , fi haut avec les courtifans, étoit-
il doux , affable avec les foldats ? pourquoi af-
fecloit-il avec eux le ton de Légalité ? C'eft qu’il
favoit qu’un général ne fait rien de grand quand il
n'a point obtenu les coeurs de fon armée. Pourquoi
le connétable de Montmorenci, q u i, juf-
qu'en 15 $r» ^ fut dur avec fes foldats, réfervé,
haut avec les officiers > changea-t-il de méthode
devant Avignon ? C'eft parce qu'il reconnut que
l'affe&ion des hommes eft le grand , le premier
principe de l'obéiffance. Pourquoi l’armée de
Louis de Cortdé confentit elle non-feulement à
ne point recevoir de paye , mais encore à payer
elle-même les auxiliaires que ce prince avoit à
fa folde ? C ’eft parce qu’elle aimoi; fon général
avec pafiïon. Henri IV eut-il jamais conquis fes
Etats, s'il n’eut auparavant conquis le coeur de
fes foldats ? Cortès eut-il rangé le Mexique fous
fes loix 3 s ’il n'eut allumé dans le coeur de fes
compagnons un v if attachement pour fa per-
fonne ? Turenne, que fes foldats uppelloient
leur père , dut beaucoup à fes grands talens pour
la guerre, mais plus encore à Yamour de fes troupes
j quelque chofe qu'il leur propofât, qu'il leur
fit exécuter, jamais ils ne fe permettoient le plus
léger murmure, jamais l'empreinte du mécontentement
n'étoit gravée fur leur front. Pourquoi
le maréchal de Villeroi ne p u t - il jamais
obtenir des prifonniers qu'il avoit faits 3 le plus
petit éclairciffement fur la pofition du prince
Eugène 1 Parce que l'armée de ce prince avoit
pour lui un grand amour. Pourquoi, vers la fin
de 170 1 , les foldats de l'empereur fupportoient-
ils fans fe plaindre toutes les rigueurs du froid y
& prefque les horreurs de la famine , tandis que
ceux de l'armée françoife, parmi lefquels la di-
fette fe faifoit peu fentir, abandonnoient leurs
drapeaux en foule ? C ’eft parce que le prince
Eugène, général de l'empereur, étoic aimé, &
que celui du roi de France ne l'étoit point ?
De tous les généraux anciens & modernes , celui
qui doit le plus à Y amour des foldats y c'elt
fans contredit le duc de Vendôme: on a prétendu
que ce général ne favoit point la guerre
par principes , qu'il ne l’avoit jamais étudiée y
qu'il n'avoit jamais réfléchi fur cet art fi difficile
; qu'il n'affembloit jamais de confeil, qu’il
.étoit inacceffible aux avis des hommes qui n’a-
voient pas gagné fa confiance par une baffe adulation
j eh ! quels confeils de vils flatteurs peuvent
ils donner ! Qu'il portoit la dépravation de»
moeursauffiloinqu'Antoine, la pareffe plus loin
qu'aucun autre génei al ; qu'il n’étoit ni exaét nï
ponétuel ; qu’il entroit en campagne fans plan
fixe , qu’il vivoit au jour la journée : cependant
il foutint pendant quatre campagnes la gloire des
armes françoifes en Italie} cependant il replaça
& affermit Philippe V fur le trône d'Efpagne *
cependant il vainquit le général, le plus favanc
militaire de fon fiècle , celui qui pourvoyoit le
mieux à to u t, qui favoit le mieux, l'art de faire
fubfifter une armée & de la conduire avec fa-
geffe , fang-froid & réflexion. Qui nous donnera
le mot de cet énigme ? Vendôme avoit la bravoure
de Henri IV j mais Eugène n'étoit pas
moins brave que lui. Vendôme avoit le coup-
d'oeil jufte & rapide, & comme le grand Condé ,
des illuminations fubites } mars Eugène portoit
auffi à un degré éminent ces qualités prè-
cieufes, ces talens fi rares. C e ne fut donc
point à fort habileté que Vendôme dut fes fuccès
) mais à Y amour qu'il avoit infpiré à fes foldats.
Généraux qui voulez , comme lu i , rendre
à votre patrie des fervices importans , acquérir
des droits à notre reconnoiftWe, &• aux
louanges de la jufte poftérité , cherchez à captiver
le coeur de vos foldats, & vous pourrez
prefque vous paffer d’expérience & d'étude ;
vous pourrez prefque impunément faire des fautes
graves. Les moyens de mériter Yamour de
vos foldats-font nombreux} je vais les expofer
fous vos yeu x, ce fera à vous à choifir enfuite
ceux qui conviendront le mieux au caraélère ,
aux moeurs du peuple que vous commanderez,
& fur - tout aux circonftances dans lefquelles
vous vous trouverez. Confiant dans mes principes,
je ne vous dirai point ce que vous devez
faire , mais ce qu'ont fait les hommes les plus
dignes de vous fervir de modèle.
Le premier , le plus grand , le plus fiür moyen
de fe faire aimer de fes foldats , c’ eft de leur
prouver qu'on les aime. L * amour des inférieurs
pour leurs chefs n’eft produit ni par le rapport
des caractères , ni par la reffemblance des goûts,
ni par un vain caprice , ni par des avantages*
extérieurs , ni même par des objets de convention.
L'amour peut feul faire naître Yamour y celui
qui tient un langage différent, eft ou un vil
adulateur , ou un homme égaré par de vieux préjugés.
Aimez vos foldats & ils vous aimeront;
mais que votre amour pour eux ne fe borne point
à de vaines paroles , à d’inutiles démonftrations ;
car il nedes tromperoit point, ou il ne les trorn-
peroit pas long-tems. Pour que Yamour du général
faffe naître Yamour des foldats , il faut non-
feulement qu'il fe faffe connoître par des effets , i
mais encore qu’il foit fincère , généreux, uni-
verfel, perfévérant, dominant, & même unique;
je veux dire que le général foit fenfîble à tous les
maux qui afliègent l’armée, compatiffant à tout
c e qui l’afflige, empreffé pour fes befoins & même
pour fes plaifirs ; que les obftacles n’arrêtent point
l ’on z è le , que l’ingratitude ne l'éteigne pas , qu'il
embraffetous les membres de l'armée, & qu'il s'étende
à touuLe général qui portera à fon armée un
amour tel que je viens de le dépeindre , verra
tous les individus qui la compofent pénétrés poiir
lui d’ un même fentiment , tous animés d’une
grande ardeur pour fa gloire , tous difpofés à
facrifier pour lui leur liberté & leur vie.
Le fécond moyen que le général doit employer
pour obtenir Yamour de fes foldats , c’eft
de mériter leur eftime & de gagner leur confiance.
C e n'eft que par fes vertus & fes talens
que le chef d'une armée fe concilie ces fenti-
mens^ Si f hiftoire nous offre un général aimé
maigre la dépravation de fes moeurs , elle nous
en montre un grand nombre , que des moeurs
diffolues ont rendu l'objet de la haine de fes
troupes. Voyeç Moeurs ; & le paragraphe X V III
de 1 article Gén ér a l . Si elle nous préfente un
général aimé pour avoir laifle -flotter les rênes
de la difcipline, elle nous en montre mille qu'une
molle condefcendance a fait méprifer, & çnfln
haïr. Voye{ D iscipxine. Non , le chef d’une
armée ne peut fûrement obtenir &: conferver
pendant long-tems Yamour de fes foldats , s'il ne
réunit aux connoiffances & aux talens faits pour
gagner leur confiance , les qualités & les vertus
dignes de leur eftime. En un m o t , comme V o ltaire
le difoit des princes , une armée n’aimera
pas long - tems un général qui ne fera pas un
grand général. Voye^, relativement aux talens &
aux connoiffances néeeffaires au général-, les deux
premières feélions de l'article G énéral , & relativement
à fes qualités Sz à fes vertus les mots
A c c e s s ib l e , A f fa b il ité , A c t i v i t é , Br a v
o u r e , C ou r ag e , D é s in tére ssem en t ,
Ex a c t itu d e , Exemple , Fidélité a s a p a role
, H u m a n it é , J u s t i c e , M o d e s t ie ,
O b é is sa n c e , P o l it e s s e , P r ud enc e ; & dans
l'article G én éra l , les paragraphes confacrés à
ces mêmes qualités.
A ces moyens généraux , on doit en joindre
quelques autres de détail. Le chef qui fuccède
à un général aimé , doit confirmer fes loix , continuer
fes ouvrages , imiter fes manières, adopter
fes coutumes , ne. changer qu’avec précaution
, & même qu'avec lenteur , ce qui mérite
le plus d’éprouver des changemens ; ainfi il réunira
fur lui les fentimens d’amour que fon pré-
déceffeur avoit obtenus, & ceux qu’ il mérite
lui-même. Le fucceffeur d ’un ch e f haï ou méfef-
timé , s’informera avec foin des fautes- qui ont
attiré à celui qu’ il remplace l’inimitié de fes troupes
, & il les évitera avec attention. Le général
fage éloignera des affaires ou du commandement
tout homme peu agréable à l'armée ; c’eft toujours
fur le chef que retombent la haine ou Yamour
qu'on porte à fes fubordonnés.
C e que nous venons de dire du général, par
rapport à fon armée, eft également applicable
au relie des chefs militaires , aux gouverneurs
des places, aux c o l o n e l s ,m ê m e aux capitaines
; les fentimens qu'ils obtiennent de leurs
foldats font leur bonheur ou leur malheur, leur
fortune ou leur infortune, leur gloire ou leur
honte ; & comme le dit Tacite , invifo femel
'principe , feu bene , feu maVe fafta premunt.
A N C IE N N E T É . On fe fert du mot ancien-
neté pour exprimer la priorité dans un corps oa
dans un grade militaire.
§• I.
Quels font les droits & les prérogatives qu'on doit
attribuer à Vancienneté ?
LaTolution de ce problème a été préparée dans
les articles A v a n c em en t & L ieu t en a n t -c o -
' lonel ; nous tranferirons cependant ici une par*
1 tie du mot A ncienneté du di&ionnaire mili-
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