
de l’efprit. tes pères & les inftituttfsrs ont pour
cette partie de Véducation ' un nombre de guides
bien plus grand que pour celle qui regarde le
corps & le coeur. de leurs élèves.
S’il n’étoit point démontré que. l’homme qui-dès
fon^ enfance n’auroit point été habitué à étudier
& a réfléchir, fènoit peut - être toujours inca- '
pable d’une grande application, je n’occuperois
mon eleve, jufqu’à la douzième, .année , qu’à, être '
libre & heureux i mais convaincu qu’il eft. aulîi
nçceflaiie d’exercer ' 'l ’efprit que le corps, je
commencerai fon inftitution vers la fepjtième
année , ..ou même un peu plutôt s’il en a' un
.extrême défir , fi ion caractère 6c l’a lancé me .!
le permettent. Un enfant bien portant, d’un naturel.
gai, eft bien plus capable diiiftm&ion qu’un
enfant valétudinaire, trille ou'lèriéux. Ma prin- ;
cipale attention fera cependant, dans le cours ;
entier de cette pre'mière époque , de préferver
fbn .efprit de: faufles imprelîions, 8c d’empccher
qu’il n’apprenne rien qu’il l’oit obligé d’oublier j
an jour.
Parmi les différentes connoiflanees que les
hommes peuvent acquérir , il en eû qui l’ont
nécelfaires à tous, d’autres qui leur font- utiles,
d’autres qui ne leur -font qu’agréables , &
d’autres enfin qui ne font nécelfaires qu’à un
petit nombre d’entre eux. Bien diftinguer, bien
daller les différentes connoiflanees humaines,
c’eft un art difficile , & dont on ne s’eft point
encore affez occupé; J’èflaierai de faire pour
mon élève.cette clarification importante & qui
me fervira conftamment de . régulateur. Trop
embrafler , ou embrafler tout d’une ardeur
égale, c’efb un moyen prefque certain de ne
rien conferver. On trouvera dans l’article Capitaine
quelques idées .fur l’ordre & l’importance
des connoiflanees nécelfaires à-un citoyen
que l’on deftine à l’état militaire.
Je ne fais quel moyen j’emploirai pour lui
apprendre à lire-, mais ce dont!je fuis certain,
c’eft que cette étude pénible fera pour lui
une efpèce dé jeu -, ce que je puis affirmer encore
, c’eft que les droits de l’homme feront
le livre fur lequel il fixera fa première attention
: avec cet ouvragé ; je! ferai concourir une
eolîeéiion de gravures choifies, elle préfentera
l’image des guerriers célèbres & dé toiis les
hommes qui te font illuftrés par leur patrio-
tifme ou des écrits utiles -, il diftinguer a tous
ces bons , citoyens par leurs traits , ou plutôt
par* leurs vertus -, il apprendra, s’il le veut',
quelques anecdotes fur chacun d’eux ; je les
lui réciterai moi-même, je les aurai préparées
de manière qu’elles atteignent le double but
d’éclairer fon efprit & d’éduquer fon coeur.
Il délirera d’apprendre à écrire en voyant
tous les hommes faits tirer de grands avantages
de l’écriture -, mais il n’auroit de maître
en ce genre que lorfqu’ il ne pourroit abfolument
s’en p a fié r y jufqu’à ce moment il n’ aura pour
inftituteurs que des modèles qui lui offriront
tous une même efpèce d’écriture: en variant les
modèles que l’on offre à l’imitation des enfans,
on ne parvient qu’à leur faire acquérir une ëf-
pèce d’écriture fans proportion 8c fans grâces
Il apprendra à deffiner comme il aura appris
à écrirè. Imite fera le leul conlëil , la feule Te'çon
qu’ il recevra. Ce ne fera point des déifias que
j’ofhirai à fon imitation , mais la nature elle-
même. Je ne conçois point comment on n’a
pas. encore fenti qu’en obligeant les enfans à
imiter des copies on double leur travail & on
les dégoûte d’un art qu’ils ai me roi en t avec
paillon, fi on leur offroit d’abord la nature pour
modèle; je conçois moins encore comment on
leur donne d’abord à imiter ! les parties de la
figure humaine les plus difficiles à repréfenter-,
un vafe, une chaife, un arbre, feront les objets
que j’offrirai d’abord à fon imitation , ainfi je
me conformerai à la loi générale qui nous prel-
crit d’aller du fimple au compofé , &: du facile-
au difficile.
Comme je n’oublierai jamais que j’éleve un
militaire, 8c que les François auront toujours
fans doute des aflernblées nationales 8c administratives,
je m’occuperai de bonne heure, à former
la voix de mon pupille -, cët organe- eft fuicep-
tible, comme tous les autres , d’acquérir, par
un exercice continuel, un haut degré de perfection.
Je l’habituerai aulîi de bonne heure à parler
en public,'mais fur-tout à écouter. Ce dernier
eft bien plus difficile 8c plus important qu’on
ne l’a cru jufqu’à ce jour. Nos jeunes gens
accoutumés à lire toujours eux-mêmes dans des
livres, ayant la facilité de relire les endroits
qui les ont l;e plus vivement frappés, de fuivre
au moyen des titres ou des tables des matières
la férié des idées & des preuves d’un écrivain,
s'égarent avec une extrême facilité dès que ces
fils leur manquent 3 ils font d’ailleurs aifés à
-féduiré par un fophifme adroit, à étonner par
les dehors impol’ans 8c par les grands mots
donc fait' ufage un orateur difërt -. ils favent
peut-être répondre , dan.s leur’ cabinet , à un
raifonnement vicieux, repoufler une attaque mal
formée ; mais improvifér 8c furtout répliquer fans
préparation eft un art inconnu à la plupart
d’entre eux. Ma méthode pour parvenir à ces réfui
rats nécelfaires fera de lire ou débiter devant
lui un difeours feu confidérable, dont les divi-
fions feront fenfibles, les vices de raifonnement
fràppans, & d’exiger qu’il enfafle tout de fuitele
rélumé 8c la critique : bientôt l’opinion que je lui
donnerai à combattre fera plus développée , la contexture
en fera moins marquée, & les fophilmes
plus adroits -, je finirai enfin .par employer pour
le l'éduire tout ce que l’éloquence aura de plus
impofan-t , & par exiger qu’il ne réponde -que
le Jendémain à l’attaque que j’aurai dirigée
contre lui. Quand il aura acquis une certaine
hibileré dans cette efpèce de lutte y ’ je m’occuperai
à lui faire acquérir l’art de prendre des
notes avec une grande promptitude , je veux
dire, à faire de lui un bon tachygraphe.
Les mathématiques feront comme ,on l’imagine
bien, un des objets vers lefquelsjë tournerai
mon attention; elles font le meilleur cours de logique
-, mais il ne recourra aux livres que lôrfqu’il
pofledera la pratique : il aura fouvent mefuré
l'on jardin, avant de jeter les yeux fur un traité
de trigonométrie , il fe fera convaincu de même,
par des oblèrvations ou par des expériences
fouvent réitérées, de la vérité de la plupart des
propofitions de géométrie avant de connoître
l’art d’en démontrer l’évidence-, ainfi tandis qué
dans les éducations ordinaires , & fur-tout dans
les éducations publiques, on néglige les chofes
pour les mots , lui il négligera les mots pour
les chofes.
La même marche que j’aurai fuivie pour les
fciencës mathématiques , je la fuîvrai encore
pour l’étude de la nature-, il connoitra toujours
les faits avant les fyftêmes, les règles particulières
avant les maximes générales ; je’ lui laif-
ferai aufli le foin de trouver ces maximes & d’é- 1
lever ou de choifir à fon gré, quand il aura fait
ou répété un très-grand nombre d’obfervations ,
le fyftême qui lui paroitra le plus probable.
La langue de fon pays fera la première qu’il
apprendra : il ne paflera aux langues étrangères
ou mortes que lorfqu’il pofledera l’art de bien
lire la fienne, que lorfqu’il aura acquis une prononciation
corrëéte , une orthographe exaéte , une
diction pure & régulière ; que lorfqu’il connoitra
l’étymologie des mots & la vraie acception des
termes. En voulant faire apprendre en même temps
plufieurslangues aux enfans, on les met dans l’im-
poüibiiité d’en apprendre aucune. Dès qu’il pofledera
fa langue maternelle par principes , il
paflera à une des-langues vivantes, mais cette
étude fera, précédée de celle d’une grammaire
générale , & de la connoifîance du vocabulaire
de la langue qu’il voudra apprendre. Quant aux
langues mortes, elles feront réfervées pour la
fécondé, éducation.
La critique ou l’art de juger les hommes & les
faits , fera encore un des grands objets de
mon travail. C’eft là ce qu’on néglige le plus
dans nos éducations publiques & particulières ,
& c’eft là cependant la partie à laquelle ©n doit
donner les foins les plus aflidus ^ elle eft l’origine
de la juftefle de l’efprit, de ce qu’on appelle bon
Jéns. C’eft cette juftefle d’elprit qui fera de lui un
bon adminiftrateur , un bon militaire , un
homme l'age-, c’eft elle qui lui apprendra à failir
l’état des queftions, le véritable point de vue
des affaires , à; diftinguër le vrai d’avec le f’pé-
cieux, le vraifemblàble d’avec le faux.
Comme il eft aufli malheureux qu’impolitique
de facrifier le bonheur aétuel à un bonheur
incertain, j’eflayerai toujours, de. répandre des
fleurs Jur la voie que je lui ferai tenir pour
arriver à l’inftruçtion : eh ’, comment peüt on
efpérer de faire aimer aux hommes les* fciences
8c les. arts quand on en fait haïr l’étude aux
enfans '. on ne fait point aflez que lés préjugés ,
les dégoûts de l’enfance fe reproduifent dans la
jeunefle fous mille formes différentes , & qu’ils
fe perpétuent même très-fouvent jufques dans un
âge avancé. Pour éviter cet écueil funefte , je
chercherai à exciter fa curiofité pour ce que je
voudrai qu’il apprenne -, je bannirai les études
abftraites , sèches, ennuyeufes -, je l’entretiendrai
dans la gaîté naturelle, à cet âge j je flatterai
fon amour propre, 8c fur - tout je lui ferai re-
connoître , fans le lui dire , le rapport que les
connoiffances que je veux lui donner ont non-
feulement avec ce qu’il fera un jour , mais même
avec ce qu’il eft aujourd’hui , avec ce qu’il fera
demain.
Les ouvrages qu’il importe le pbus de con-
fulter fur l’ éducation de l’efprit font, outre ceux
que nous avons cités dans le paragraphe. précédent
, le Traité des études de iiollin , les
oeuvres de l’abbé de Condillac , & un ouvrage
de M. de La Chalotais, ce procureur général du
Parlement de Bretagne , aufli célèbre par fes
talens & fes vertus que par fes malheurs y voye[
aufli les articles de ce Dictionnaire que nous
avons cités à la fin du paragraphe précédent.
De VEducation du coeur , ou dt P Art de faire
acquérir au caractère des Enfans le plus haut
degré pojjible d’élévation & de bonté..
Comme je ne puis & ne dois point me borner
à donner à la focjété un homme fort 8c lavant ,
je m’occuperai à former pour elle un citoyen
plein de courage & de vertu.
Beaucoup de gens prétendent que l’on naît
valeureux ou lâche , comme l’on naît peintre
ou poète : quant à moi je ne le crois point : fufle-
je dans l’erreur , me l’eût-on démontré , je n’en
publierois pas moins que la bravoure s’apprend.
Cette obftination dans une erreur que j’aurois
reconnue eft l’effet de la perfuafion intime où
je fuis , que fi tous les hommes croyoient qu’il
dépend de chacun d’eux d’être valeureux ou
lâches , on ne verroic parmi nous que des
braves. Cette opinion fût - elle une erreur, ne
produiroit que dès avantages -, l’opinion contraire
fût-e le une vérité ne pourroit produire que des
maux. Pour terminer cette dileufiion , je vais
prouver que l’humé tir belliqueufe fe donne , &
que la bravoure s’acquiert.
La nature a imprimé d’une main ferme dans