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fojt digne de fa curiofîté, & encore moins 4
qui pu Ife contribuer à fon inftruûion. C'eft [-
un tifiu de meurtres, de crimes & de brigandages;
les foldats vendent l'empire au lieu de
le détendre; Rome ne peut plus réfifter à tant
de corruption 5 des peuples venant en foule
du Nord, attaquent 1Jempire avec d'autant plus
-de fuccès, qu'on ne leur oppofe ni courage
ni difcipline, & l'univers étonné ne tarde pas
de fe fouvenir à peine de cette puitfance qui
l'avoit affervi.
"Pendant un moment, on eut dû peut-être
efpérer de voir améliorer le fort des peuples ,
.& l’art militaire reprendre quelque faveur ; ce
.tems fut celui où l'Europe étonnée vit régner
JÇ.harlemagne (1 ). Mais après ce règne trop
(1) Dès le tems de Charlemagne, l'armure étoit
devenue plus pefante. Ce prince parvint à diminuer
infiniment les énormes abus qui s'étaient introduits
dans la forme de la levée & de la com-
compoficion des armées ; dès le moment où des
hommes plus püiifâns que leurs pères avoient dirigé
leurs principaux efforts, pour arracher des mains
des monarques quelque partie de leur autorité. Si
.ce grand .homme en rendant à la clalfe du peup e ,
déjà trop méprifëe & trop furchargée, une partie
de ce droit naturel, inhér.ent à tout homme d'exercer
•de l’influence fur ce qui le regarde .perfonnellemenr,
vint à bout de réprimer que ques abus criants d’autorité
chez ceux qui .en écoient les principaux dif-
penfateurs, fa mort tarda peu .à renverfer le bel
édifice mais trop peu foüde, qu’il ayoit commencé
ça é.ever, par la force d’équi ibre de pouvoir où
ilavoit mis les différentes claffes de la nation.
Dans ce moment, les comtes fe retrouvèrent affez
de force pour ne faire fervir, comme avant fon
"fègne, que ceux qui n’avoieat ni l’argent, ni le
crédit néceffaires pour s’en faire difpenfer. Alors
les foldats furent pris conftamment dans la plus vile
& la plus néceffiteufe populace. Sans doute meme
beaucoup d’entr’eux n’avoient nullement le moyen
de fe procurer un boucjier, une lance, un arc,
des flèches, & les autres uftenfi.es militaires pref-
crits par Charlemagne à chaque caballarius, d'apporter
avec lu i, /iiivant la décifion qui fut accompagnée
d’une autre, qui ordonne à tout pofleffeur
de trente arpens de faire le fervice militaire ; & à
ceux qui en pofTédoient moins de s’arranger entr’enx
pour en partager La peine & la dépenfo.
Mais ces effort« pa-ffagers, de retour à l'ordre,
cédèrent bientôt aux fecouffes aufti violentes que
^.continuelles, qu’excitèrent les guerres interminables
dont l’Europe étoit déchirée. Si à l’aide de quelques
réformes utiles dans la compofition de fes foldats,
ce grand prince vint à bout des Lombards, des
Savons, des Sarrasins, des Goths, des Huns , des
court, la barbarie reprit fon empire, des prêtres
régnèrent à Rome, des tartares à Confianti-
nople.} & dès cet inftant la fcience militaire
fe perdit entièrement en Europe , pour y repa-
.roitre trois ou quatre fiècles après.
Pendant tout cet intervalle, l’Europe fut fans
taérique, fans difcipline & ' fans troupes exercées.
Le clergé empêchoit les arts de renaître,
il poffédoit tous les livres des Anciens, il main-
tenoit l’Europe dans des ténèbres qui faifoient
la grandeur des miniftres du feigneur. On ne
faifoit pas moins la guerre, mais comment &
avec quels foldats ? dans chaque état perfonne
n'étoit exempt de porter les armes j chaque
province dans les occafions de guerre, four-
nifloit un certain nombre de troupes, comme
aujourd'hùi les cercles en Allemagne ; les évêques,
les abbés y envoyoient leurs fujets, & les comtes,
les ducs, &c. j y menoient la dixième partie
de leurs ferfs ou efclaves. Bientôt les fouverains
imaginèrent de donner des terres de leur domaine
pour un tems ou à v ie , à quelques-uns d~ leurs
fujets, fous la condition de mener à b guerre
une plus grande quantité de combattans que les
autres,. Ces bénéfices qui reffembloient aux
timars chez les Turcs, devinrent enfuite ce.que
l’ on appela des fiefs ; les princes .par ce nouvel
arrangement, s'affaroient une plus grande quantité
de fujets, prêts à les fervir lorfqu'ils vou-
droient faire la guerre. Mais l'ambition de dominer
s'arrête rarement dans de juftes bornes 5 les oppo-
fitions trop fréquentes qu'eprouvoient les fou-
veraius de la part des feigneurs leur fervirent
de prétexte pour chercher des moyens de s’ y
fouliraire, & vils imaginèrent la milice des
communes. On.la leva dans les villes auxquelles
pour cette raifon. on tranfporta les fondions des
baillis & des vicomtes, en impofant dans chacune
à leurs habitans, la charge du fervice
militaire. Mais pour donner aux villes le pouvoir
de lever des troupes, 00 fit un corps des
principaux bourgeois auquel ce pouvoir fut
conféré ; de-là les écheyins , les maires & la
jurisdi&ion des maifons de ville , qui fut établie
à^J’époque de la milice des communes & par
rapport à e l le , connue & mjfe e n . ufage la
première .en France, & bientôt auffi connue
mife en ufage dans la plus grande partie de
l'Europe.
Abares, c’eft que ces derniers avoieut des foldats
•encore plus mal armés & plus mal difciplinés que
les fiens. C ’eft que leur manière de combattre fe
bornant à fe mêler confufément, fans obferver ni
rangs ni files, fans pouvoir exécuter par confé-
quent le moindre mouvement en corps & encore
moins en lig n e i l s dévoient fans celle être battus
par ceux qui obfervoient du moins quelques-uns
des princip.es les plus triviaux de l’art de la guerre.
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Ces milices des communes, çompofées feu-
lèment de bourgeois, étoient obligées de marcher
à leurs frais, jufqu'à une certaine d i f i a n c e
de leur demeure ; fi on les menoit plus loin,
c 'é t o i t ‘ au roi à les défrayer > les communes
dJun pays faifoient un corps à part auquel on
donnoit le nom de légion.
Les feigneurs ne voulant pas fe confondre
avec les communes , combattirent à cheval &
fourni ent des cavaliers. D e - l à cette inftitution
militaire de la chevalerie qui peut être envié
par un fiècle de lumière à ces tems d'ignorance ;
mais cette inftitution qui étoit celle de la valeur,
n'étoit pas celle de la fcience ( j)>
(1) Les feigneurs en fe couvrant de fer,-eux
& leurs chevaux, crurent avoir établi de plus en
plus leur fupériorité fur de vils vaffaux, condamnés
à combattre à pied, fans pouvoir fe fervir des
épées & des armes défenfîves refervées aux feuls
nobles. Les pauvres roturiers furent ainfi traînés ;
à la fuite de leurs feigneurs , fans autres armes
que des frondes, quelquefois des arcs & des épées,
des demi-piques & un pavois trop petit pour, être
utile.'
Dans cet état trop peu fait pour combattre avec
avantage , ils n’avoient ni les moyens ni le courage
de s’oppofer aux efforts d’une gendarmerie,'
compofée de tous ceux qu’ils étoient accoutumés
de regarder comme leurs maîtres . : ainfi la plus
prompte fuite étoit la feule reffoutee de ces malheureux
appelés alors vilains ; heureufement leurs
maîtres firent réduire le fervice militaire d’obligation.
à trente ou quarante jours. La cavalerie
fut le feul moyen de fortir de l’obfcurité de fa
condition, & elle maintint dans le coeur des Français
cet amour de la gloire & ces paffions nobles, qui
fe trouvent fi rarement dans les âmes des tyrans
ou des efclaves.
On trouve cependant quelque trace de capacité
militaire à la journée d’Haftings. Les Anglais y
combattirent à rangs ferrés, comme les Ambrons
& les Cimbres faifoient au tems de Marius & fans
doute à une grande profondeur. Cette manière de'
combattre leur avoir.fait difputer la viétoire, depuis
fix heures du ..matin jufqu’a trois heures du foir;
Guillaume employa alors une manoeuvre, qui prouve
de la difcipline parmi fes foldats ; il fit fonner la
retraite, & fes troupes fe retirèrent en défordre.
Dès-lors cette efpèce de phalange ang'oile rompit
fon ordonnance fi redoutable , pour pourfuivre lés
Normands, qui, à un nouveau figna! de leur général,
furent fe rallier.. avec affez d’ordre & de promptitude
pour cha ger les Anglais défunis, & les mettre
facilement en déroute.
La nouvelle milice des communes fe trouvant
indépendante de tous as.tres feigneurs, ne duc pas
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La taérique reftoit bornée à quelques ufages,
dénués de calculs & de combinaifons, point de'
proportions ni de rapports entre les différentes
tarder à devenir fupérieare en courage, en difcipline
& en armure aux milices féodales.-
Il ne paroît pas cependant que ces nouvelles ■
milices euflent acquis ' une grande fupériorité , lors
de la bataille de Bouvines. Ce fut entre la cavalerie
des deux armées, que fe pafla tout le fort
de l’aérion 3 mais ce fut la force & l’adreffe de chaque
combattant, & non les manoeuvres d’une- ou de
plusieurs bannières qui. décidèrent la viétoire.
On commença à faire ufage d’un corps de ré-
ferve dès le treizième fiècle ; on doit le, renouvellement
d’une des maximes les plus utiles de
la guerre à Errard de Valéry .; ayant fait placer
huit cents chevaux derrière une colline , hors de
la vue des ennemis, il parvint à contenir le courage
bouillant de Charles; jufqu’au moment ©u
après avoir été témoin de la déroute de fa cavalerie,
il eut vu les- ennemis livrés au défordre,
qui étoit fi habituel à des foldats à-peu-près maîtres
de leurs aérions, & furtout de s’abandonner à leur
ardeur pour le pillage. Dans le moment où iis
étoient épars, les huit cents chevaux venant a fondre
fur eux en bon ordre, tuèrent ou diflipèrent tout
ce qui fe trouva fur leur pafikge; & ayant rallié
les fuyards, ils fe trouvèrent en état de choquer
& d’enfoncer le corps viétoricux-, commandé par
Henri de- Castille.
Ainfi cette bataille qui donna le trône de Naples
& de Sicile à 1 heureux Char es, fut entièrement
gagnée au moyen d’une réferve de cavalerie.
On devroit- s’attendre à voir faire des progrès
en France à l’art militaire , depuis l ’inftant où
Philippe Augufte eut pris la coutume d’avoir quelques
troupes à fa folde, fi toutefois il en a- eu d’autres
que les fergens d’armes j mais nous ne pouvons
citer aucun autre trait que celui précédent.
La préfomption , la légèreté, l’ignorance , continuèrent
àffurément d’être le trifre partage des-1
guerriers du tems de Philippe-'e-Beî ; on dut a-
ces dangereux défauts, malheureufemenr trop ordinaires
aux Français par eur chevalerefque ignorance,
la défaite fous Courtrai, par des vilains à peine
échappés de l'efclavage, des cheva iers français,
de fept mil'e hommes de cette gendarmerie fi
: connue & furtout fi vantée par fes proueiles, iou-
tenus par quarante mille hommes de pied , fous
les ordres d’un prince du fang français, regardé
par tous les guerriers du tems comme un des plus
. grandi,capitaines.
i Cette armée perdit plus de vingt mille hommes ,,
i deux cents cheva'iers, un nombre infini d’écuyers,
' deux maréchaux de France, le connétable , quatorze