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embarras fans nombre, & peut'vous faire effuyer
les plus grandes pertes.
La cavalerie n’ eft pas d’un grand ufage dans les
montagnes , excepté dans les vallées qui s’ élar-
giflent à leurs embouchures & qui donnent dans
les plaines.
Toutes les opérations de guerre dans les montagnes
font en général fort difficiles , & on eft
expofé à y faire les plus grandes fautes fi Ton n’a
une connoiffance parfaite du pays : il feroit important
de le reconnoître foi-même 5 mais lorfque
cela eft impoffible, il faut le faire reconnoître par
d’autres , & rechercher tous les renfeignemens
qu’on peut fe procurer : joignez aux cartes & aux
mémoires les plus détaillés, le rapport des habi-
tans du pays , furtout des chafieurs & des bergers,
qui les connoiffent ordinairement mieux que les
autres 3 & qu’il fera facile de vous attacher en
les récompenfant.
On diftingue trois fortes de vallées. On nomme
fîmplement vallées 3 celles qui fervent de lit à des
torrens, & qui ont des côtés , des iffues libres ;
détroits, celles où les torrens prennent leur four-
çe j & gorges , celles qui sont refferrées entre
deux montagnes, fans renfermer de plaines ni de
torrens.
Les cols font des paffages très-étroits.
Un général habile, chargé de faire une guerre
de montagne , doit fentir que le fuçcès dépendra
de la foupleffe de fes mouvemens & des rapports
immédiats qu’ils auront avec la nature du
pays : c’eft pourquoi il ne doit régler l ’état de
la guerre que d’après les connoiffances qu’il a
pu acquérir fur cet objet & fur le cara&ère du
général ennemi j il ne doit jamais perdre de vue
les lieux & les poftes, puifque ce n’eft que d’après
leurs avantages ou leurs inconvéniens qu’il
doit former fes deffeins & calculer fes reffources
dans telles ou telles circonftances j il doit pouffer
auffi loin que poffible , & même jufqu’à la certitude
3 fes Spéculations, afin que la pratique n’apporte
aucun changement quand il s’agira d’exécuter
j il faut prévoir les événemens futurs & connaître
la portée des mouvemens, au point de pouvoir
diftinguer ceux que l’ennemi confidérera comme
des pièges , de ceux dont il fera la dupe.
Il faut cependant convenir que la guerre de
montagne donne un avantage que ne procurent
point les autres guerres 5 c’ eft de pouvoir être
affuré des lieux où l’ennemi campera , de la nature
de ceux qu’il traverfera dans fa marche j ce
qui met à même de juger à peu près de l’objet
d’une démarche quelconque ; il faut donc combiner
tous fes deffeins de manière que leur exécution
en indique d’autres oppofés , en totalité
ou en partie , à ceux que l’on médite réellement.
La guerre offenfive dans les montagnes eft infiniment
plus facile que la défenfive, même pour
une armée inférieure.
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Un général médiocre peut conduire une offen-
five; mais pour la défenfive, il faut les plus grands
talens , une prévoyance fans bornes & un efprit
extraordinairement jufte, & même avec ces qualités
( à moins qu’ il n’y ait qu’ un paffage à garder
) il elt impoffibîe a échapper aux marches &
aux manoeuvres d’un ennemi vigilant qui vous
tient divifé & fans ceffe en échec dans tous vos
poftes, & qui finira par en tourner quelques-uns
& pénétrer dans le pays que vous couvrez j ce
qui eft d’autant plus a craindre, qu’il n’y a point
de montagnes, quelqu’impraticables qu’elles pa-
roiffent, qui n’aient des revers, & fi un'homme
peut y pafler , dix mille y pafferont : le meilleur
moyen eft de tourner la défenfive en offenfive dès
que l’occafion s’ en préfente : un général qui a la
confiance du gouvernement, doit avoir la per-
miffion d'agir , à cet égard , d’après les circonstances.
§. Ier.
Marches dans les montagnes.
Si vous avez à traverfer un pays de montagnes
fans traité qui vous en affure le paffage, le secret,
le.boa ordre & Ia?diligence font les feuls moyens
d'empêcher les habîtans de s’affembler affez en
force pour vous le difputer.
Ayez de bons guides , renvoyez-les fatisfaits,
pour engager ceux qui leur fuccèdent, à être
fidèles.
Ayez une avant-garde confidérable, composée
de troupes légères à cheval & à pied, & de pl.u-
fieurs compagnies de grenadiers : partagez-la en
trois corps, qui fe tiendront un peu éloignés les
uns des autres , & de manière qu’ils fe communiquent
par leurs détachemens refpeêtifs. Le plus
avancé de ces corps occupera les paffages impor-
tans où il attendra l’armée j s’il a une ou deux
marches en avant, & qu’ il ait rencontré des détroits
, pas ou torrens difficiles à paffer, il aura
dû y laiffer un détachement pour prévenir ou
chaffer les payfans ou les troupes qui voudroient
le garder, ou s’y retrancher avec des abatis ou
autrement. En un mot, établiffez-vous partout
où vous mettrez le pied , & affurez-vous des paffages
importans, auffi loin qu’il vous fera poffible.
- .
Réglez toujours l’ordre de marche du gros de
l’armée , de manière à pouvoir lui faire prendre
fucceffivement la difpoution la plus relative aux
lieux qu’elle parcourt, & que les différentes armes
fe prêtent un appui réciproque 1 un des meilleurs
moyens d’y parvenir eft de faire marcher les bataillons
& les efcadrons alternativement, & d’augmenter
le front quand le terrein le permettra.
Réunifiez les équipages de chaque corps quand le
pays s’ouvrira, rempliffez-le autant que vous le
pourrez 5 faites marcher l'infanterie des deux
j côtés sur la croupe des montagnes, fi elles font
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jtcceflîbles j les colonnes d’infanterie s’approcheront
du sommet autant que poflïble : ayez une
arrière-garde compofée de la tête de vos troupes j
enfin, réglez vos précautions félon vos craintes ,
Je pays & les circonftances. Pour marcher fûre-
ment dans les montagnes il faut être affuré , auffi
loin qu’on le pourra, du pays dont on eft environné.
§. IL
Des actions dans les montagnes.
Les a&ions dans les montagnes font ordinairement
meurtrières , peu décifives & rarement
générales } elles ne confident guère que dans de
petits combats, fur lefquels on ne peut donner
aucuns préceptes particuliers : totat y dépend du
terrein & des circonftances. L’ennemi peut, quand
il le juge à propos, choifir un terrein reflèrré, &
rendre par-là votre fupériorité inutile 5 car il eft
impoflible de lui oppofer un front plus étendu
que celui qu’ il vous préfente : on doit obferver
que l’on ae‘ doit attaquer l’ennemi de front que
quand il n’y a point d’ autre parti à prendre : il
faut donc toujours faire en forte de le tourner ,
mais furtout quand on eft obligé de le combattre ;
dans une fituation de difficile accès. 11 faut auffi
éviter les attaques de bas en haut, qui paffent
pour défavantageufes j enfin, pour avoir la fupériorité
fur l’ennemi , il faut toujours occuper les
hauteurs qui le dominent, ou qui le voient de revers
ou en flanc : les reffources font infinies pour
l’armée vaincue, & fa retraite eft affurée f i , ce qui
doit toujours être, elle a fait occuper par des poftes
les hauteurs fituées fur les derrières & à l’entrée
des vallées. Quand même l’ennemi s’emparerait
de ces poftes , la crainte de tomber dans des
embufcades l’empêcheroit de pourfuivre bien loin
le vaincu j s’ il le faifoit, les détours dans des che-
. mins étroits & bordés de précipices pourroient
bientôt faire changer la chance, en fuppofant que
le vaincu en fût profiter.
Lorfqu’on veut combattre dans une plaine ref-
ferrée, il ne faut pas fe former fur beaucoup de
lignes, mais fur deux feulement & une réferve. On
peut donner à chacune de ces deux lignes, beaucoup
de profondeur : à l’ inftant du choc de la première
avec celle de l’ennemi, la fécondé doit paffer
par les intervalles, & tâcher d’aller attaquer
& renverfer la fécondé de l’ennemi : fi cela réuffit,
comme cela eft poffible , les autres lignes de l’ennemi
feront bientôt renverfées.
L’avantage d’attendre un ennemi fur une hauteur,
n’en eft un que pour l’infanterie , qui, dès
qu’elle eft à portée de celle de l’ennemi, peut
fondre fur elle avec une force de choc que la pente
favorife, en raifon de fa roideur. A l’égard de la
cavalerie , c ’eft tout le contraire, les chevaux
ayant plus de force en montant qu’en defcendant.
On a remarqué que, à nombre égal ou à peu
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près 3 la cavalerie qui charge en montant, a toujours
l’avantage fur celle qui defcend.
II eft par conféquent plus avantageux pour la
cavalerie, d'attendre l’ennemi sur la crête ou les
plateaux que -forment les montagnes.
11 faut ranger l’infanterie fur les hauteurs, avec
des diftances entre les bataillons, affez grandes
pour qu’on puiffe y faire paffer un ou deux efcadrons
, qui fondront fur l'ennemi dès qu’il fera
arrivé fur le plateau, & à cinquante ou foixante
pas de l’infanterie.
§ . I I I .
Des retranchemens dans les montagnes.
Une armée retranchée fur une hauteur a moins
d’avantage qu’on ne le c roit, fur celle qui l’attaque.
Beaucoup de militaires ont penfé & penfent
encore le contraire : ils allèguent qu’en allant attaquer
l’ennemi ainfi pofté & retranché , on eft
vu par lui de la tête aux pieds. Cette raifon n’eft
pas jufte, car les foldats enfermés derrière des
retranchemens élevés, font obligés, pour vifer en
bas, de s’élever beaucoup au deffus du parapet ;
ce qui les découvre : la plupart n’ofant pas le
faire, tirent très-vîte fans v ifer, & les coups portent
ordinairement ou trop haut ou trop bas ï ce
qui rend le feu peu redoutable. La feule occafion
qui peut le favorifer, c’ eft lorfque la pente de
la hauteur fur laquelle les retranchemens font
confiruits, eft affez rapide pour qu’il foit poffible
aux derniers rangs de tirer par-deffus les premiers.
§. I V .
De Vattaque des retranchemens dans les montagnes.
On attaque ordinairement une armée retranchée
en plaine auffitôt qu’on arrive en préfence ; mais
fi elle eft fur des montagnes de difficile accès ,
hériffées de rochers 8c coupées de ravins,. il faut
n’ agir qu’avec les plus grandes précautions.
Avant de vous déterminer à l ’attaque, faites
reconnoître la nature du terrein que vous devez
parcourir pour aller à l’ ennemi, les hauteurs qui
le dominent, la fituation de fes retranchemens 8c
\ leur force. Comme une reconnoiffance de cette
; nature tfeft pas ai fée à bien faire, il -faut que
ceux qu’on en charge, aient une expérience con-
fommée et le coup-d’oeil de la plus grande jufte
ffe. Comme il peut être très-difficile , même
de nuit, d’approtner des poftes de l’ennemi fans
courir les rifques de fe faire prendre ou tuer,
envoyez-en plufieurs & comparez leurs rapports :
joignez-y celui des déferteurs & des prifonniers,
dont vous ferez un auffi grand nombre qu’il vous
fera poffible.
C ’eft d’après toutes les connoiffances que vous
aurez jtequifes relativement à votre projet, que