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cendre enfuite par les vallées du revers oppofé ,
dans les parties inférieures où ces vallées abou-
tiflent à des gorges ou cols pour arriver dans
la plaine.
Ceft ainfi qu'en Italie, en 1744, M. de Mire-
poix , pofté vers Pontedi-Nava , avoit le double
avantage de défendre à-la-fois la tête de plu-
üeurs vallées, où les troupes du roi de Sardaigne
pouvaient, de l'intérieur de fes Etats ,
gagner les fommets de l'Appenin & la tête de
pluiieurs autres vallées, par ou les mêmes troupes
parvenues^ jufqu'à ce point fans obftacles, au-
roient pu à-la-fois déboucher fur pluiieurs points
de la côte de Gênes, & attaquer dans fa marche
l'armée combinée.
GOUJAT. On diftinguoit jadis les valets,
les laquais & les goujats : les laquais & les valets
étoient à la fuite de h cavalerie & les goujats
à la fuite de l'infanterie. Boivin de Villars, parlant
dé l'ordre que le premier maréchal de BriiTac
vouloit mettre dans l'armée, qu'il fe propofoit
de conduire au fecours ^Je la fienne., dit, que
la cavalerie n'auroit qu'un feul valet fans laquais,
& les gens de pied" de quatre en quatre un
goujat, & qu’ils feroient par les fourriers a inii
rangés par camarades. On peut juger d'après ce
pa(Tage, combien on prenoit plus de foin autrefois
de foulager les foldats. En effet il faut avoir
fait la guerre, avoir été témoin, ou avoir partagé
les peines qu'éprouvent furtout les fan-
taffins dans les marches & dans les campemens,
par la privation des fubfiftances & la difficulté
de préparer les matières qui doivent les nourr
ir , pour fe convaincre combien il feroit im-,
portant de prendre les moyens les plus furs &
les moins onéreux, pour diminuer les peines
fouvent trop exceffives des foldàts. Le maréchal
de Saxe, qui adonné de ii grandes preuves de
fes connoiflances militaires en tous genres, pro-
pofe des vivandiers, deftinés dans chaque compagnie
à préparer la nourriture du fôldat j on
pourra revenir fur cet objet au mot vivandier.
En adoptant cette idée, on auroit réuffi à diminuer
infiniment les peines du foldat, & à en
conferver pluiieurs qui pérififent accablés par la
fatigue & l’impoffibilité de réparer à tems leurs
forces épuifées. En faifant ufage des boeufs qui
doivent être mangés dans les armées, on pour-
roit encore foulager les foldats, en les débar-
raflant des poids énormes dont ils font quelquefois
accablés. Dans les troupes étrangères,
les officiers ont des domeftiques connus chez
quelques puiifances fous le nom de traban. Ces
hommes , en les armant, peuvent e.ncore être
utiles comme foldats, dans les marches, dans
la garde des camps , dans le fer vice & le transport
des bleifés pendant les combats j pn pourrait
les prentlre parmi les enfans-trouvas, de
même que les tnuficiçns , tambours , ouvriers, 8cc,
( Voye% ces différens mots ).
GOURMANDISE. Horace l'appelle ingrata
ingluvies. Tout ce que j'ai donné à mon ventre,
a difparu , difoit Callimaque , & j'ai • conlervé
toute la pâture que j'ai donnée à mon efprit.
Les Romains fuccombèrçnt fous le poids de
leur grandeur, quand la tempérance tomba dans
le mépris , & qu'on vit fucceder à la frugalité
des Curtius & a s Fabricius, la fenfualité des
Cacius & des Apicius.
t Homère avoit fait fenrir à fes contemporains
1 importance de la fobriété, en ne faiiant fervir
que du boeuf rôti fur la table des capitaines
grecs, les héros de fon Iliade , & n'exceptant
de cette règle ni le tems des noces , ni les fef-
tins d'Alcinoüs, ni là vieillefle de Neftor , ni
même les débauches dés amans de Péneloppe.
La chère la plus délicieufe eft celle dont l'appétit
feul fait les frais. La fraîcheur & l'heu-
reufe vieillefle des Perfes & des Chaldéens ,
étoient un bien qu'ils dévoient à leur pain d'orge
& à leur eau de fontaine.
Mais fi la gourmandife eft nuifible à l'homme
habitant paifiblement fes foyers , comment pour-
roit-on la tolérer parmi des hommes livrés aux
fatigues de la guerre, fi fouvent expofés aux
privations les plus dures , & parmi lefquels la
gourmandife entraîneroit des maux aufii nombreux?
Malheur aux généraux & aux officiers
qui ne donnent pas aux foldats l'exemple de la
plus auftère fobriété ! bientôt, fi l'occafion s*en
préfente, ils n'auront fous leurs ordres que des
pillards & des ivrognes j les habitans des pays
par où^ l'on paflera feront vexés, les denrées
difparoîtront , la difcipline fe perdra , le détordre
régnera , l'infubordination deviendra un
befoin , les hôpitaux fè rempliront, la défertion
fera fréquente , & il faudra bien peu de tems
pour n’avoir que le fimulacre d'une armée , ou
des foldats fur lefpuels il feroit dangereux de
compter pour continuer la guerre avec quelque
fuccès. ( Voyei Frug a l ité . )
GOUVERNEMENT. (On croit utile de rap-
peller ici quelques traits des entretiens de Pho-
cion fur l’union de la morale & de la politique,
qui regardent effentiellement la manière de conf-
tituer la force publique dans un gouvernement
républicain. Cela viendra à. l'appui de ce que.
l'on a pu dire relativement à, cet objet, & lui
fervira de développement.
Au milieu de cet efprit de brigandage dont la terre
eft infectée, & que rien ne peut extirper j au
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milieu des dangers dont tous les peuples font
menacés, ii ne fume donc point à une république
de n’avoir.rien à craindre de fes propres paf-
fions, il faut qu’elle fe défie de celles des étrangers
, & foit en état de les contenir & de les
réprimer. La juftice , ia bonne fo i , la modération
& la bienfaifance qu'infpire l'amour de
l'humanité , font fans doute propres à concilier
l'eftime & l’affeéUon des étrangers , & par con-
féquent à fervir de rempart contre leurs paf-
fions > mais ce rempart n'eft pas impénétrable à
la méchanceté des hommes. Attendez - vous à
voir les paffions s’égarer dans leur ivreffie, juf^
qu'à méprifer & haïr les vertus 5 réprimez - les
alors par la crainte j c'eft-à-dire que la politique
vous fait une loi de ne cultiver la paix qu'en
étant toujours prêt à faire heureufement la
guerre.
Je fais qu'un peuple tempérant, qui aime le
travail & la gloire & craint les dieux , aura né-
ceflairement du courage dans les combats , de \
la patience , dans les fatigues & de la fermeté
dans les revers j mais fi la paix même n’offre pas
dans une république l'imagé de la guerre, file s
efprits ne font pas accoutumés avec l'idée des
périls, fi les citoyens ne font pas préparés par leur
éducation à êtte foldats , craignez que la vue du
danger & leur inexpérience ne les confternent.
La crainte eft une paffion des plus naturelles au
coeur humain, & des plus dangereufes $ empê->;
chez que l'ame n'y foit ouverte : quand la crainte
engourdit les fens & trouble la raifon , il n'eft
plus tems d’y remédier.
Que votre république foit donc militaire, que
tout citoyen foit deftiné à défendre fa patrie ,
que chaque jour il foit exercé à manier fes armes
, que dans la ville il contrarie l'habitude
de la difcipline néceflaire dans un camp $ non-
feulement vous formerez par cette politique des
foldats invincibles, mais vous donnerez encore
une nouvelle force aux lois & aux vertus civiles
5 vous' empêcherez que les douceurs & les
occupations de la paix n’amollifient & ne corrompent
j infenfiblement les moeurs : car fi les
vertus civiles ,' la tempérance , l’amour du travail
& de la gloire préparent aux vertus militaires
, celles-ci leur fervent à leur tout d’ appui.
Dans les gouvernemens , où , pour favorifer
la parefte & la lâcheté , on a permis de féparer
les fonctions civiles & militaires, on n’a ni c itoyens
ni foldats. Des hommes qui croient n’avoir
plus befoin de courage , ne tardent pas à
ne s occuper que de plaifirs ou d’ intrigues } leur
caractère ne conferve ni forme ni noblefle, &
« ï vo**.eft cependant comptée dans le fenat
& les affemblées publiques : de-là naiftent des
decrets honteux & une certaine mollette dans
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1 efprit national qui ne permet aucun retour vers
le bien. Les armées ne font plus compofées
que de la lie de la république. Les foldats comparent
leur fort avec celui des citoyens riches ,
oififs & voluptueux, qui vivent dans leurs mai-
fons. Ils portent les armes avec dégoût , la
guerre leur paroît le dernier des métiers, & ils
oe la font plus que dans l’efpérance de piller,
& de jouir un jour du fruit de leurs rapines.
Comment feroit-il poffible de former une pareille
milice à cette difcipline auftère & régulière
, fans laquelle le courage même devient
inutile ; comment parviendroit-on à donner à
ces foldats avares & mercénaires les fentimens
de générofité que doivent avoir les défenfeurs
de la patrie.
Combien les citoyens riches feroient infen-
fés de vouloir confier à d’autres qu’à eux-mêmes
la garde^ de la république, & de ne pas prévoir
qu’ils s'expofent à perdre cette liberté , ces
richelfes, cette oifiveté , ces plaifirs dont ils
font fi jaloux. Chaque jour l'aviliffement augmente
avec la corruption. Ou l’on s'expofe à
être vaincu par les ennemis , ou à être détruit
de fes propres mains. Il ne faut pas fe flatter
qu'il règne pendant long-tems un certain accord
entre les riches qui ne contribuent qu'avec chagrin
aux frais de la gu e r r e& les pauvres qui
la font en murmurant aux dépens de leur fang ;
ils fe méprifent déjà fecrettement, & dès que
la ^ méfintelligence aura éclaté entr'eux , leur
haine doit être irréconciliable. Si ceux-ci triomphent
, ils oppriment leur patrie, & lui donnent
un tyran , pour fé fare un protecteur qui
les enrichiffe & les venge j fi les autres , par
un hafard difficile à prévoir , acquièrent l'empire
fans fe divifer, ils régneront en tremblant ;
& , pour fe délivrer d'une crainte importune, ne
voudront avoir qu'une milice mercenaire , toujours
redoutable à des citoyens oififs, & cependant
incapable de fervir de rempart à la république
contre des ennemis courageux & difei-
plinés.
On parle fouvent de Carthage, dont les citoyens
n’étoient occupés que de leur commerce
& de leurs richefles , tandis que des foldats ,
achetés à prix d'argent , lui avoient acquis &
lui confervoient l'empire de l'Afrique. Mais cet
exemple ne raflure pas. Si cette république m’é-
taloit fes richefles , fon pouvoir , fes armées ,
fes vaifteaux , comme CréfuS fit voir autrefois à
Solon les richeffes de fon tréfor , pour lui prouver
qu’il étoit l’homme de l'univers le plus
heureux , je répondrois aux Carthaginois : j’ai
vu une petite république qui ne couvre point la
mer dp fes vaifteaux , qui aime fa pauvreté, qui
n'a point de fujets , dont tous les citoyens font
foldàts, & je crois fon bonheur mieux affermi