
joindre par fes découvreurs , par Ton avant-garde i
& Ton arrière-garde, fe jettera à droite & à
gauche du chemin, dans un endroit très-favorable
à l’infanterie & inacceffible à la cavalerie. Tel fe-
roit un champ féparé du chemin par un folîé dont
les bords feroient très-relevés, comme on en
voit dans quelques départemens de la France,
dans le Calvados, la Seine-Inférieure , &c. Par
^emple, il paflera encore , s’il fe peut, un ravin
large & profond, dont les talus feront très-
rapides ; il s’enfermera dans un jardin enclos dé
murs} il fe mettra derrière une forte haie ; il fe
retirera dans un bois, une vigne, une maifon ,
une églife > un cimetière, un hameau, un village
, Sec. Auflitôt qu’il aura gagné une de ces
retraites , il la fortifiera par un des moyens donnés
au mot M a i s o n , Supplément ,* il gardera alors .
fon pofte, & le défendra. Dès l'inirant où il fe
verra ainfi prefle, il détachera quelques hommes
adroits & intelligens , qui iront faire con-
noîcre au commandant de l’armée ou du corps le
plus voifin, la pofition facheufe dans laquelle le
détachement fe trouve.
Auflitôt que la cavalerie fe retirera, le commandant
du détachement ferafortir les plus adroits
de fes découvreurs d’avant-gàrde ; ils fuivront
l’ennemi avec la précaution & l’adrefle que nous
avons exigées. Auflitôt que le détachement n’aura
plus rien à craindre , parce que la cavalerie fe fera
retirée au loin, les découvreurs en avertiront le
commandant du détachement : celui-ci fera fortir
Ton avant-garde, & puis fe remettra en marche.
Quand le commandant du détachement ne trouvera
aucun endroit favorable pour s’y retirer, &
quand il verra que la cavalerie eft déterminée à
né pas l’abandonner , il fera fa retraite vers l’endroit
d’où il fera parti, & il emploiera les moyens f
dont on a parlé au mot R e t r a i t e .
Un détachement chargé d’une opération particulière
doit, comme nous l’avons dit, ne s’occuper
que du moyen de l’exécuter avec promptitude :
quoiqu’il rencontre un parti ennemi beaucoup
moins confidérable que lui , il fe gardera de chercher
à le combattre. Ce parti peut avoir été envoyé
pour amufer le détachement & pour retarder
fa marche. Le détachement continuera donc à
s’avancer vers le lieu qui lui aura été indiqué,
ayant le foin de marcher avec beaucoup d'ordre ,
& de détacher de tems en tems quelques tirailleurs
très-leftes pour éloigner ceux des ennemis
qui pourroient venir le troubler.
Si un parti ennemi, à peu près égal au détachement,
fe préfente fur la route que celui-ci doit
tenir & veut l’empêcher de paner, il faut bien
que la force en décide. Le commandant du détachement
formera alors fes troupes en colonne ferrée
, fera mettre la baïonète au bout du canon,
&■ donnera tête baiflee au milieu des ennemis. S'il
parvient à les mettre en défordre, il continuera
fa route avec promptitude, & il portera toute
fon attention fur fon'srrière-garde. S i, après deux
ou.trois attaques vives, il voit qu’il ne peut réuf-
fir à faire une trouée , il fe retirera vers l’endroit
d’où il fera parti, à moins qu’il ne trouve quelque
pofition favorable qui le mette en fureté, fans
trop s’éloigner de fon objet.
Quand un parti, mêlé de cavalerie & d’infanterie
, & qui fera beaucoup plus fort que le détachement,
fe préfentera à lui, celui-ci, fans chercher
à livrer un combat, dont l’iffue même la
plus heureufe lui feroit funefte , parce qu’elle le
mettroit dans l’impoflibilité d’exécuter l’opération
dont on l’auroit chargé, fe retirera de bonne
heure dans un endroit fort par fa nature.
S’il ne trouve aucun endroit qui puifle lui
fervir de fort, ce qui eft prefqu’impoflible, il
enverra une partie de fa troupe efcarmoucher
avec l’ennemi. Pendant ce petit combat, les travailleurs
, mafqués par quelques foldats, pourront,
ou conftruire un abatis , ou couper le chemin
par un fofle large & profond, dont les terres
formeront une efpèce de parapet : cet ouvrage,
défendu par de braves gens, peut tenir long-
tems.
Si tous ces moyens font impraticables, le
commandant fera fa retraite.
Quand le-déiachement rencontrera un défilé,
il s’aflurera, avant d’y entrer, que l’avant-garde
s’eft emparée de l’entrée, de la Tôrtie & des hauteurs
: malgré ces précautions, il paflera le défilé
avec vitèfle. Les troupes qui fortiront, remettront
en bataille , faifant face en dehors j l’arrière-
garde prendra la place de l’avant-garde, & la
confervera jufqu’à ce que le corps du détachement
ait rétab’i la diftance qui doit exifter toujours
entre ces deux divifîons.
Lé paflage d’un ravin, d’un gué , d’un pont,
s’exécutera comme nous venons de le dire en
parlant d’un défilé ; il en fera de même d’un paf-
fage de rivière dans des bateaux. >
Quant aux villages, on les tournera comme
nous l’avons dit en parlant des découvreurs & de
l’avant-garde.
L’arrière-garde aura du canon toutes les fois
qu’on le pourra.
Tel eft lë réfultat des principes que les auteurs
militaires ont donnés fur la manière dont un officier
particulier doit fè conduire quand il eft
chargé de diriger une marche en avant ; quant aux
marches rétrogrades, cela regarde les retraites.
§. y .
D e s m a rch es d a n s /’ in té r ieu r d e la r épublique.
Nos troupes voyagent dans l’intérieur de la
république, comme elles voyageoient il y a près de
deux cents ans. Prefqu’aucune des perfonnes qui
approchent les miniftres & qui jouiflent de leur con-
I fiance, ne font vivement intéreflees à ce qu’on
fafle des changemens à nos routes militaires, à
nos logemens, à nos étapes, &c. Aucun officier-
général, aucun chef-de-brigade n’eft obligé de
fuivre im régiment pendant une longue marche
dans l’intérieur de la république, où aucun d’eux
ne fe fouvient des obfervations qu’il peut y avoir
faites dansfa jeunefle. Les officiers fubalternes, qui
éprouvent journellement les abus attachés à cette
manière de faire voyager les troupes, font donc
les feuls intérefles à les dévoiler, & les feuls qui
puiflent les mettre dans leur vrai jour. Eux feuls
peuvent dire : Le logement en nature gêne le citoyen
aifé, incommode lé pauvre, foule l ’indigent
j eux feuls peuvent dire : Les corvées en
chariots & en chevaux font à charge au peuple j
eux feuls voient un miférable cultivateur remettre,
prefque la larme à l’oe il, à un jeune officier
, le feul cheval qu’il ait s eux feuls entendent
la voix fuppliante de ce malheureux > eux feuls
lifent fur fon vifage. la crainte qu’il a de voir fon
cheval excédé par des courfes rapides qu’on lui
fera faire, ou par les chofes abfolument nouvelles
qu’on lui demandera & qu’on le forcera d’exécuter
en lui ouvrant lès flancs $ eux feuls peuvent
rendre compte des prières que font les payfans
qui font obligés de conduire les équipages des
bataillons ou régimens, afin qu’on ne furcharge
point leurs atelages ou qu’on ne hâte point trop
vivement leur marche} eux feuls entendent les
regrets qu’arrache aux cultivateurs la perte de
deux pu trois journées qu’ils auroient employées
utilement aux travaux de la terre} eux feuls peuvent
dire combien la difeipline perd de fa force
pendant une route longue & difficile j le foldat,
difperfé dans la campagne, logé loin de fes officiers
& de fes fousmfficiers , devient quelquefois
un hôte dangereux} eux feuls enfin peuvent af-
furer qu’il eft infiniment difficile de contenir &
de raffembler un régiment qui, dans plufieurs lo-
gemens d’une longue route, occupe un efpace
de plufieurs milles,
Tout le monde convient que les foldats efluient
de grandes fatigues, même lorfqu’ils voyagent
pendant de beaux jours, par des chemins commodes,
&r qu'ils éprouvent fouvent des dégoûts,
même lorfqu’ils font logés chez des hôtes honnêtes.
Mais les officiers fubalternes favent feuls
tout ce que leurs foldats ont à fouffrir lorfqu’ils
ont une longue traite , a faire par des chemins de
traverfe, lorfqu’ils'font logés dans une grande ville
ou difperfés dans la campagne, & qu’ils ont des
hôtes peu complaifans ou peu aifés.
Beaucoup de calculateurs ont prouvé que l’état
gagneroit à fupprimer les étapes, mais les officiers
fubalternes peuvent feuls rendre compte des peines
qu’elles font éprouver au foldat,des malver-
fations de «quelques étapiers & de la mauvaife foi
de certains fourni fleurs > en un mot, eux feuls
peuvent parler avec corinoiflance de caufe des
abus fans nombre auxquels notre manière militaire
de voyager donne naiflance.
»» Il eft malheureux fans doute, dit Fauteur du
S o ld a t c i t o y e n , le général Servan , qui pouvoit
parler favamment de tous ces objets } il eft malheureux
de trouver autant de chofes à refaire;
mais tel eft le for.t des meilleures inftitutions : les
abus s’y glifient infenfiblement, le tems les augmente
, on s’y habitue, & on ne croit plus qu’il
foit néceflaire de les corriger. » Cet auteur efti-
mable, vivement frappé.des abus attachés à notre
manière de faire voyager les troupes dans l’intérieur
de la république , a cherché à les faire dif-
paroître, & il a cru, avec raifon, que c’étoit feulement
en faifant camper les troupes que l’on pouvoit
y réuflir. Si l’on faifoit camper les troupes
qui voyagent dans l’intérieur de la république,
les citoyens de tous les ordres, & furtout les plus
indigens, feroient débarrafles du poids du logement
en nature, & des inconvéniens qu’il entraîne
après lui} les troupes voyageroient en plus grand
nombre qu’aujourd'hui} elles fuivroient toujours
les routes les plus courtes & les meilleures} elles
feroient des journées proportionnées aux faifons
& aux circonftancesle foldat apprendroit à tendre
une tente, à obferver la police des camps, &c. ;
il feroit à l’abri des fatigues que l’étape lui occa-
fionne} on obtïendroit, en un mot, un grand nombre
d’avantages, & on feroit difparoître prefque
tous les vices que nous avons reconnus. Pour
prouver fans réplique que la méthode du général
Serv-an eft bonne & la meilleure , levons d’avance
les objections auxquelles elle pourroit donner lieu.
Pour faire camper des troupes 3 il faudroit des
tentes, & tous les régimens n'en ont pas : pour
faire camper des troupès, il faut des ultenfiles de
campement, & les troupes n’en font pas pourvues :
cela eft vrai en partie ; mais n’eft-il pas vrai aufli
qu’il eft eflentiei d’être poutvu de tous ces objets
en tems de paix pour les camps d’exercice, & en
tems de guerre pour marcher contre l’ennemi? Il
eft donc indifpenfàble de les avoir.
Mais ces tentes & ces uftenliles s’uferont, à la
bonne heure , infiniment moins cependant qu’en-
taffées dans' des magafins -militaires, où elles feroient
dépofées, oubliées & bientôt pourries.
Où camperoient les, troupes ? Sur un champ en
jachère , dans une prairie proche d’une ville ou
d’un village , & , s’il le faut, fur le grand chemin
même..
Qui fournira les chevaux des officiers? Ceux
âgés feuls' en auront befoin, & il fera facile d'en
procurer le petit nombre qui fera néceflaire.
Qui transportera les tentes, les uftenfiles de
campemens , &c. ? Les régimens eux mêmes. On
n’auroit pour cela qu’à faire conftruire les chariots
qu’on devra donner à chacun d’eux pendant la
guerre, & à leur laifler le foin, moyennant une
fomme fixe pour chaque jour de marche, de fe
procurer les chevaux qui leur feroient néceflaires.
Il y. a de la cruauté, dira-t-on peut-être ; à reléguer
le foldat fous la tente, pendant qu’on peut