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miration s’y joint. Elle fuppofe toujours des
chofes éclatantes en actions, en vertus en talens ,
& toujours de grandes difficultés furmontées.
Céfar , Alexandre ont de la gloire ; Attila eut
beaucoup d’éclat, mais il n’eut pointde gloire ,
parce que 1 hiftoire ne lui donne point de vertus j
Charles XII a encore de la gloire, parce que
fa valeur, fon défintéreffement, fa libéralité ont
été extrêmes. Les fuccès fuffifent pour la réputation
, mais non pas pour la gloire } celle d’Henri IV
a beaucoup augmenté,. parce -que le tems a fait
connoître toutes fes vertus qui étoient incomparablement
plus grandes que fes défauts. »
« La vaine gloire eft une petite ambition qui
fe contente des apparences , qui s’étale dans le
grand fafte, 8c qui ne s’élève jamais aux grandes
chofes.
«-La faufife gloire tient fouvent à la vaine,
mais feulement , elle porte à des excès 5 la vaine
gloire fe renferme plus dans des petite fies. »
Que le roi de Prufle, Frédéric-le-Grand, après
Rosbac & Lifta, & après avoir été le légifla-
t e u r 1 hiftorien, le poète & le philofophe de
fa patrie, aime pafiionnément la gloire, on le
lui.pardonnera j & s’ il eft aflez habile pour être
modéfie, il enTera glorifié davantage.
ec Mais la gloire & le repos, comme dit Montagne,
font chofes qui ne peuvent loger en même
gifte : auffi de toutes les rêveries du monde la
plus reçue, ajoute-t-il, eft le foin de la gloire
que nous efpoufons jufqu’à quitter les richefles,.
le repos , la vie 8c la fanté qui font biens effec-
tueîs & fubftanciaux» pour fuivre cette vaine
image & cette fimple voix qui n’a ni corps ni.
prife. *»,
Et cependant fans cet amour de la gloire,
fans cette renommée qui, comme le dit le Tafie,
enchante les fupêrbes mortels par la douceur de
fa voix & paroït fi raviffante, quels feroient les
hommes qui fe foumettroient à autant de privations,
qui s'expoferoient à d’aufli grands périls
, à des peines.aufliexceflives ? Oh ! fans doute,
feroit-il plus heureux de devoir les grandes actions
à la vertu 5. mais celle-ci ne penfe point
tirer /a. récompenfe ni fon prix de l’opinion
d autrui 5 lés honneurs ne l ’éblouiffënt point,
au contraire elle les-, fuit j tandis que les mora-
liftes même, comme • le dit Cicéron, veulent
que leur, nom paroifie à la -tête’ des ouvrages où
*f£ Ja combattent, & fe rendent glorieux de ce
Qu’ils ont méprifé la gloire. Il faut donc céder
à la faibleffe humaine, 8c pours’âflurer de grandes
avions, inoculer de. bonne-heure l’amour de '
la gloire a tous les citoyens dans- une nation,
c’eft-d-dire cette, émulation générale qui-fe
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répand' depuis le fouverain magiftrat jufque dans
■ toutes les claffes de la fociété, qui anime tous
les arts, relève toutes les profeffions, car toutes
tiennent à la gloire d’une nation, foit par des
rapports de grandeur, foit par des rapports d’utilité
publique. Quand une fois cet élément de vie
circule dans toutes les branchés du corps politique
j alors tout fermente, tout prend du mouvement,
chacun tend à le diftinguer dans ce qu’il
fait ou dans ce qui lui eft confié.
L’efpoir des récompenfes , des honneurs , des
diftinftions, du refpeét, de l’eftime, des préférences,
doit être un puifiant motif pour exciter
les hommes à acquérir de la gloire ; mais dans
aucun état fans doute, on n’a autant befoin de
faire chérir la gloire , que dans celui où elle doit
être proportionnée aux efforts qu’elle coûte.
Ainfi l’auftérité de la difcipline à laquelle on
foumet le défenfeur de la patrie ^ la rigueur
des travaux qu’il s’impofe, les dangers affreux
qu’il va courir, en un mot les facrifices mul-
. tipiiés de fa liberté, de fon repos 8c de fa vie ,
ne peuvent être dignement payés que par la
gloire. A cette gloire qui doit accompagner la
valeur pure 8c généreufe, fe joint encore la
gloire des talens qui, dans un grand capitaine,
éclairent, fécondent & couronnent la vàleur.
Sous ce point de vue, il n’eft point de gloire
comparable à celle des guerriers : car celk-même
des légiflateurs, exige, peut-être plus de talens ,
mais beaucoup moins de facrifices : leurs tra^
vaux font afiidus & pénibles, mais rarement
dangereux. C’eft donc peu d-honorer le mérite
qui commande, il faut encore honorer la valeur
qui obéit. Il doit y avoir une maffe de gloire
pour le corps qui fe diftingue, car fi la gloire
n’eft pas l’objet de chaque foldat en particulier
, elle eft l’objet de la multitude réunie 3,-
un légionnaire peutpenfer en homme, une;,légion
penfe en héros, & ce qu’on appelle l’efprit du.
corps ne peut avoir d’autre aliment mobile que
la gloire.
On fe plaint que notre hiftoire eft froide 8c
fèche, en comparaifon de celle des Grecs & des
Romains. La raifon en eft bien fenfible î J’hif-
, toire ancienne eft celle des hommes, l’ hiftoire
mpderne eft celle dé deux ou trois hommes,
un roi , un miniftre, un général.
Dans le régiment de Champagne, un officier
demande pour un coup de main douze hommes
de bonne volonté : tout le corps refte immobile
& perfonne ne répond. Trois fois la même
demande.-& trois fois le même filence. Hé ! quoi
dit l’officier, l’on ne m’entend point ! L’on"vous
entend} mais qu’appelez-vous douze hommes,
de bonne volonté ? nous le Tommes, tous , vous,
n’avez qu’ à choifir;-
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La tranchée de Philisbourg étoit inondée ,
le foldat y marchoit dans l’eairplufqu'à demi-
corps 5 un très-jeune officier, à qui fon âge ne
permettoit pas de marcher de même , s’y faifoit
porter de main en main. Un grenadier le pré-
féntoit à fon camarade > mets-le fur mon dos}
s’il- y a un coup de fufil à recevoir, je le lui
épargnerai.
Le militaire français a mille traits de cette
beauté, que Plutarque & Tacite auroient eu
foin de recueil ir. Nous les reléguons dans les
mémoires particuliers, comme peu dignes de
la majefté de l’hiftoire ; nous délirons qu’un
hiftorien philofophe s’affranchiffe de ce préjugé.
Blâmons, j’y confens, 8c cela peut être très-
utile, ces fcélérats qui enivrés, d’orgueil, n’ont
employé leur courage & leurs talents qu’à opprimer
leur patrie & à la détruire. Dételions ces
monftres affamés de carnage, qui femblentn'àvoir
vécu que pour verfer le fang humain, qui n’ont
parcouru le monde que pour le ravager & l’af-
fujettir } mais gardons-nous bien dé croire que
l’amour de la gloire leur ait infpiré tant de barbarie.
Ainfi , quoique la valeur foit une vertu ,
& que de la vertu naifle la gloire, ce feroit une
erreur groffière que'de s’imaginer que ces conquérants
fi célèbres & prefque fabuleux, par leur
audace dans les entreprifes , par leur intrépidité
dans les dangers, par la rapidité de leurs,
fticeès , qui ont détruit tant de villes, donné
des lois à tant de nations , aient mérité 8c obtenu
une gloire immortelle. La valeur eft une vertu ,
mais pour être vertu, elle doit en avoir le caractère
effentiel} ce caraélère, c’eft d’être bien-
faifante & avantageufe à la fociété > dès qu’elle
lui eft pernicieufe, elle eft un crime, c’eft fureur ,
férocité, brutale cruauté, &c-
Gn né peut donc trop répéter que le héros1
n-eft pas feulement un vaillant homme, mais un-
homme bon , jufte, humain i fage , modefte }
qui ne fe précipite pas dans les dangers, qui
ne verfe pas le fang, comme les bêtes féroces,
par l’amour du carnage ou par l’efpoir de la
proie} mais par la néceflité de fervir fon pays,
de réprimer les méchans, de recourir les mal
heureux, & d’être utile s'il fe peut, à tout le
genre humain.
- GORGE. C’eft ainfi qu'on nomme un col ou
un paffage étroit entre deux montagnes, con-
dffifant ordinairement dans une vallée. La fagefle
recommande, à la guerre,, les plus grandes précautions,
foit pour paffer une gorge, foit pour
empêcher l’ennemi de la paffer pour arriver jufqu’à
vous} les fouiller avec exactitude, les
retrancher, s'emparer des hauteurs qui les dominent,
empêcher- enfin l'ennemi d'y arriver, ou
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les traverfer avant qu'il puifle s’y oppofer , font
des moyens ufités & qui peuvent afliirer des
fuccès. Mais l’homme de güerre très-inftruit ne
s’arrête pas à ces routines ordinaires, il obferve
avec foin les routes 8c les paffages les plus praticables
dans l'intérieur des montagnes, 8c bientôt
il découvre que ces routes fuivent toujours les
vallées ou vallons, où coulent les ruiffeaux ou
rivières : il ne s’arrête pas à ces premières obfer-
vations, il veut connoître les fources principales
de ces rivières , & il les trouve en général
& par l’ordre confiant de la nature , placés dans
lés contre-forts des montagnes les plus élevées ,
& dont la difpofition intérieure a favorifé davantage
avec le- tems l’infiltration plus lente 8c le
dépôt de ces eaux primitives, qui abreuvent les
ruiffeaux, les rivières 8c les fleuves. Il en ré fui te
que cès ‘vallées s’écartant entr’elles à des dif-
tancés ‘ considérables , dans les longs dévelop-
pemens de leurs cours & vers les points où les
gorges leur fervent de débouché, fe trouvent
cependant prefque toujours réunies , ou du
moins très-rapprochées vers leur naiffance. Et
par conféquent le même corps dé troupes qui,
pour défendre les gorgés de quatre vallées,
auroit, je l'e fuppofe, à fe divifer fur cinq à
lïx lieues de tertein, peut quelquefois en fe
portant à la naiffance dé ces vallées , fé réunir
en un. point dominant d’où il puiffe également
défendre leurs entrées.
On peut voir d’après'ces‘ rernarques , comment
un gén: ral a fouvent à tirer parti des ob-'
fervations du phyficien , combien il lui féroit
utile, de l’être lui-même, comment on a rai fon
d’attacher une grande & vafte idée aux talens
d’un vrai général, comment par un lai éternelle
& immuable toutes les fciè'nces fè tiennent
8c Te touchent, & devroiént réunir les favans
aulieu de Tes divifer & de' les partager y -comment
il faut établir pour-premier principe de
guerre, dans tous les-pays de montagnes, de
porter des corps d’obfervations fur ces fom-
mités, d'ou les eaux fe difperfeut en diverfes
directions , attendu que de ce point feul on peut
défendre un grand efpace en occupant un petit
tetrein..
Il faut remarquer à Tappui de ce principe de
guerre, qu’en plaçant un corps à la naiffance
des vallées, qui vont déboucher au loin dans
la part je où l’on veut empêcher l’ennemi de pénétrer
à différentes hauteurs à-Ia-fois, on fournit
ace corps d’obfervation, non-feulemenrle moyen
dé défendre d’un Teul point l'entrée de plufieurs
vallées, mais de ce même point il peut encore
avec avantage , déféndre la naiffance des vallées
du revers oppofé de la même chaîne de montagnes,
par lesquelles-l’ennemi eft cenfé remonter
jufqu’àu point du pendant des eaux, pour def-;